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Ce billet est dans le cycle « La Psychanalyse du Clavier ». Cliquez ici pour lire l'intro et les autres billets publiés.

Après avoir apprécié comment l'ordinateur a sauvé des forets complètes et de la marée blanche de Tipp-Ex™, nous allons mettre une pointe purement Francophone au débat : Poser l'accent sur une majuscule...
Ahahah, c'est tout un art, celui qui montre que non seulement vous avez le respect de la Langue Française, mais qu'en plus vous maîtrisez votre clavier bien mieux que la plèbe qui n'a pas lu « la Princesse de Clèves ».

Faut-il blâmer Microsoft de ne pas avoir prévu de frapper une lettre accentuée majuscule ou l'Imprimerie Nationale de ne pas avoir tapé sur les doigts de France Télécom pour avoir mis des É, È, À, Ô sur les premiers minitels et les avoir retirées ? Les “règles” ont toujours été très fluctuantes.

Quand les machines à écrire régnèrent sur le Monde (référence obligée à Jurassic Park, désolé), chaque touche n'avait que deux caractères possibles. Espace n'en avait bien évidemment qu'un seul. Chaque marteau associé à une touche avait une position basse (en général, les minuscules) et haute (les majuscules). Les touches ⇧Shift permettait de frapper en position haute à l'unité (première combo de l'Humanité), tandis que le verrouillage ⇪Caps.Lock bloquait la frappe en position haute tant que la touche était enfoncée.

Devant le coût de fabrication, il fallait choisir les possibilités les plus économiques. Sur les premières machines à écrire, le rang supérieur des chiffres présentait donc un vide exploitable en position majeure.


Image Wikimedia, CC Mohylek

Sur cette photo des marteaux d'une machine à écrire mécanique anglophone des années 1920s, on distingue bien les lettres minuscules en bas et les majuscules en haut de chaque marteau. Sur la partie haute des marteaux de chiffres, on y trouve donc des symboles comme l'esperluette &, les parenthèses (( et )),...
Pour une raison obscure, il se trouve que les claviers Français présentent les chiffres comme des Majuscules. La raison pourtant devient vite logique quand on réfléchit : parce que la demande pour les minuscules accentuées était plus forte que les majuscules. c'est ainsi que l'on mis en position basse du rang supérieur, celui qui en hautes faisait les chiffres, les lettres minuscules accentuées, mais uniquement avec les accents graves et aigus, ainsi que le “c” cédille. Donc point de “À” ou de “É” possibles. les circonflexes et trémas s'obtenaient en appuyant sur la touche ", une touche dite “morte” ou “muette” car son appui ne faisait pas avancer le chariot, laissant l'appui suivant s'imprimer à la même position. La position prévue des circonflexes et trémas n'était pas prévu pour la composition de majuscules accentuées. Point de “Ô” ou d'“Ë” sans gros patasse de colission symbolique.

Mais avec l'informatique, et le passage aux micros 8 bits devint possible la représentation de majuscules accentuées. Peut-être qu'à ce moment-là, ceux qui firent l'Européanisation des jeux de caractères Américains se sont emballés…

Les Majuscules accentuées sont-elles vraiment indispensables ?

Vaste débat que celui-là. Etant issu de la PAO, je peux dire que c'est un combat vieux presque comme le PC. Mais il est clair que le masochiste choisira un système Windows pour taper ses capitales accentuées.
Xylpho, lettreur papier repenti.

Tu me visais, là ? Depuis 12 ans, je suis full Linux, alors depuis qu'on a quitté l'Index, je te dis pas :)

L’accentuation des lettres majuscules est une hérésie si l’on se rapporte aux écrits de [Claude] Garamond, imprimeur royal sous Anchois pommier, propos respectés scrupuleusement par son fils spirituel Janson, qui lui succéda (et c’est pas des couenneries, c’que j’raconte) (pour une fois). On reconnaît un macintosheux au simple fait qu’il fiche des majuscules accentuées de partout, des espaces dans les noms de fichiers (voir des barres de fraction) et qu’il n’a toujours pas compris que les sigles de plus de trois lettres qui se prononcent sont écrits en bas de casse, et non en cap. Faut pas lui en vouloir, à force de le complaire dans ce behaviorisme décérébré…
Marc Olanié, maître des clés (WPA2, PGP et à pipe)

Nous aurions pu croire que le milieu professionnel et plus que séculier de l'imprimerie a suffisamment murît la question pour avoir une réponse cohérente. Hélas, il faut bien l'avouer, la thèse du complot s'impose une fois de plus : la lettre c cédille majuscule existe en imprimerie. Pourquoi un tel traitement de faveur ? Doit-on y voir là l'influence insoupçonnée des élus des villes de MONTLUÇON et de BESANÇON ? Ou celui de la gaudriole bien Française (et parfois Francophone) qui laisse ainsi un C en grande pompe laisser pendre par inadvertance sa queue ?

Regardons la typographie d'une lettre, avec les mots techniques du métier de typographe :
Planche anatomique d'une lettre
Extrait d'une planche anatomique d'une lettre, © Typographie et Civilisation

La raison de l'absence de majuscules accentuées est bien plus pragmatique que ça et remonte aux premiers siècles de l'imprimerie, comme Marc le faisait remarquer : un accent se situe au-dessus d'un caractère, n'étant pas solidaire lors du contact avec le papier, il est légèrement plus fragile. De plus, il est à un positionnement vertical plus rarement usité que celui de la cédille, qui lui se place dans le corps d'un caractère, à la hauteur de jambes de certaines consonnes (évidemment, si vous avez lu en diagonale cette phrase, vous venez d'avoir une vision nudiste qui ne regarde que vous et vos perverses pensées). Comme l'interlignage servait à racker les caractères au plomb, et au prix du papier, les imprimeurs François mirent donc à la trappe la fière accentuation de ces majuscules.

Mais c'est pas parce que Gutemberg inventa l'imprimerie avec une presse à raisins que le Guide Des Vins Anno 1450 est toujours d'actualité...

Tant qu'on y est, dans l'archéologie...

Pour en revenir aux tous premiers Minitels, on se souviendra de cette énigmatique touche sans inscription :

(Sur les Alcatel, elle était marron en haut à gauche de la ligne des symboles, et faisait furieusement penser à la touche Escape des micros familiaux de l'époque)
Un clavier de minitel norme 1 (source photo flickr, © chrisj_98)
détail d'une photo © Chrisj_98 source Flickr

Figurez-vous que la Touche mystère correspondait en fait à la fonction ⇧Shift, les accents étaient obtenues par des combos : le vulgaire “é” si présent dans notre belle Langue Française, s'obtenait par ⌈ ⇧Touche mystère+⇞Retour , e ⌋... Ça permettait peut-être de faire des majuscules accentuées, mais c'était pas franchement accessible au Très Grand Public des années 1980s ! Maintenant, cherchez le “ç”. Confirmation : des ingénieurs de la Glorieuse DGT réfléchissaient déjà de travers.
D'ailleurs, les majuscules accentuées, présentes dans le jeu 7 bits de ces premiers minitels, disparaîtra dans les versions futures. Si le code d'une majuscule accentuée étant malgré tout envoyé par un serveur, le terminal rabotait l'appendice par sa majuscule sans accent. Et comme ils ont dû se faire engueuler à “Besancon”, le “ç” devint accessible par ^Contrôle+⌫Correction (Si ! Si ! Véridique !). Un prêté pour un vomi.

Prenons des gens sérieux, des gens de métiers, ceux qui nous donnent tous les jours pour 1€40 Le Monde... En consultant le style du journal Le Monde, leur recommandation est de ne pas accentuer si seul une lettre est en majuscules. Si le mot entier l'est, accentuons. Car après tout, le jour où un journal titrera « FREDERIC LEFEBVRE CHAHUTE A L’ASSEMBLEE », vous n'aurez pas fini de vous gratter la tête : Faut-il faire intervenir les CRS pour sauver le haut-parleur de l'UMP ou l'équipe du Petit Journal de Yann Bartès pour alimenter les bétisiers ?
Selon le (fabuleux et librement disponible) « Orthotypographie, Orthographe & Typographie françaises, Dictionnaire raisonné » de Jean-Pierre Lacroux, tous les accents doivent impérativement être écrits, même en majuscule unique. Car pourquoi écrire « A voir » quand on aurait pu mettre « À voir » correctement... Une faute d'orthographe ou une phrase ambigüe, c'est encore moins pardonnable que les moyens techniques le permettent sans soucis. Qu'il est loin, l'heure de la composition au plomb... Diantre ! Que diable ? Pourquoi se limiter aux 96 caractères (espace compris) du charset ASCII alors que l'Unicode en accueille plus de 120 000 actuellement ?

Avé l'assent, c'est pourtant simple, Bonne-mère !

Pour les cas courants sur clavier Français : ⇪Caps.Lock, lettre accentuée = majuscule accentuée. Facile. Donc acheter un mac.
Vric, Séismologue spécialiste de la fracture numérique MS-Windows.

Idem sous Linux et X-Window. Donc installer Linux sur PC si vous n'avez pas les moyens d'acheter de l'Apple dans l'immédiat.

Pour nos amis malheureux sous MS-Windows, il existe un sur-pilote qui se greffe sur celui du clavier AZERTY Français pour atteindre plus facilement les caractères tant convoités, et d'autres tout aussi indispensables dans l'univers de l'édition. Chez les pros, quoi (oui, j'ai mis l'accent sur le troll).

Lors de notre prochaine séance, nous allons vous apprendre à rester Zen sur un clavier in English pour writter en bon French. Y'See ?