2010, Nokia fait appel à Stephen Elop, directeur Microsoft des solutions business, pour le redresser. À peine arrivé, il annonce un partenariat majeur avec son ex-employeur. Il a imposé une nouvelle gamme de téléphone, les Lumia, basé sur l'OS embarqué Windows Phone. Ce partenariat a permis à l'entreprise de survivre grace au prêt colossal (1Md$) accordé par Microsoft. Aujourd'hui, Microsoft rachette la marque symbole des années GSM pour 5.4Mds€ ; 3,79Mds pour la division mobile elle-même, 1,65Mds pour exploiter ses brevets durant dix ans.

Nokia la dernière marque des années florissantes du GSM Européen : Ericsson a été fondu dans Sony, Siemens s'est plombé avec ses Xelibri trop design, Philips est retourné à ses téléviseurs, les Français Alcatel et Sagem sont Chinois. Ce montant perd d'autant plus de sa superbe quand on sait que Microsoft avait tenté le même achat en 2011 pour 30Mds$.
Nokia n'est plus le viking conquérant d'antan. Samsung a survécu, et ce n'est pas un hasard.

Une infographie résume très ironiquement la situation
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Comment tomber de ses 40% de PDM

Oui, Nokia, c'était 40% des ventes de téléphones portables en 2006. Maintenant, ils ont du mal à faire plus de 10%. C'est dire le gadin qu'ils se sont pris sur les smartphones malgré leur avance sur des modèles comme le 7650 et le 3650. Tout est arrivé quand Steve Jobs a enfin sorti un téléphone PDA, 15 ans après le Newton.

Là où Nokia avait un catalogue plétorique, où la limite des 4 chiffres risque à tout moment d'être atteinte, Apple est arrivé en 2007 avec un unique téléphone : l'iPhone. Qui plus est, il n'était pas teinté par les opérateurs. Ça c'est la plus grande innovation de Steve Jobs.
Là où Nokia, comme tous ses concurrents (je pense à toi, infâme Motorola 1000) démultipliaient les boutons et les fonctions d'appels au point de paumer complètement l'utilisateur, Apple est allé vers la simplicité.

Appels manqués

Nokia tenta de répliquer avec un smartphone tactile, abandonnant le clavier numérique en dur, le Nokia Express Music 5800. J'en avais un, c'était une catastrophe : son Symbian S60 avait été bricolé, et pas toujours d'une manière très heureuse, l'écran plastique n'était pas des plus solides. Les années fastes du m-business avec des plans foireux comme le TLD .mobi, les années SMS+ semblèrent d'un coup plus fade. Les projets de smartphone en S90 et sous Linux furent encore plus démultipliés, ce qui n'aida pas à avoir une gamme de produit unique et à se concentrer sur quelque chose qui marche.
1309-nokia-3210.jpg La vache à lait, celle des téléphones sur la base du 3210 qui téléphonaient très bien en S40, permettant de maintenir à flots l'entreprise dans tous les pays émergeants. Mais cette gamme fut de plus en plus délaissée par la direction. Pas assez design pour l'équipe stylistique de Londres, pas assez innovante pour les ingénieurs d'Espoo, pas assez margeante pour le management. Les versions Linux furent fermées, comme la division Symbian fut externalisée.

Alors quand Stephen Elop, le nouveau patron fut débauché de chez Redmond, quand il a dit « on va faire du Windows Phone », en geek latiniste, je me suis exprimé

« ite missa est »

1309-nokia-lumia-920-yellow-front.jpg Les occasions ont été totalement gâchées : l'idée de faire du smartphone haut de gamme à destination des marchés européens et nord-américains était un échec par avance, surtout avec Microsoft derrière qui n'a jamais réussi dans ce secteur. Nokia a été le pion qu'on sacrifie, car unique constructeur qui a accompagné Microsoft dans le projet Windows 7 Phone. À côté de la diva Lumia, dont il faut reconnaitre que le matériel est d'une qualité exemplaire, le management a totalement oublié de relancer les produits dans les marchés émergeants.

Là où justement Mozilla Foundation et son smartphone FirefoxOs arrivent, avec des smartphones à des prix ridicules, 80€ et ça va encore baisser. Le Ubuntu Edge a failli se faire financer en crowdfounding. Et Android qui comme les deux autres tourne sur un linux de plus en plus abouti en embarqué. Windows en reste à son kernel au développement clos et difficilement versatile. Faire moins cher qu'un OS gratuit ? Il y est impossible de compéter dans un modèle de licence logicielle, à moins d'avoir des brevets fondamentaux, de farcir de pubs partout (et encore, qui mettra des pubs pour un public qui achète qu'à prix réduits ?) et les marges sur le marketplace embarqué.
Ah si, il reste un moyen de faire de l'argent : les brevet logiciels. Microsoft gagne bien plus d'argent quand un smartphone Android se vend que quand d'aventure un smartphone sous Windows se fait acheter

Dans les détails, Nokia n'est pas complètement acheté. Uniquement les divisions grands publics et les services logiciels “consumers”. La branche NSN qui produit le matériel pour les opérateurs et le logiciel de guidage Navteq resteront dans le groupe Nokia. Le seul relais de croissance est la 4G, et encore… le modèle de Free Mobile commence à faire des émules ailleurs et l'aggressivité de la concurrence dans ce secteur commence à se sentir pour l'équipement des opérateurs.

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La marque Nokia va sûrement disparaitre dans les gammes de produits Microsoft, ne va devenir qu'un logo parmis d'autres, rejoignant Skype qui va y mourir au bout de dix années d'une superbe carrière. L'acquisition permet au géant de Redmond de compéter avec Apple qui conçoit ses smartphones et Google qui s'est payé Motorola.
Mais au-delà de la conception, la motivation principale, c'est uniquement le portefeuille de brevet, très important aux États-Unis où logiciels font l'objets de combats homériques à la Pyrrus, au plus haut des prétoires perchés.

Last window, last chair, last Ballmer

L'acquisition de Nokia est l'ultime marque qu'aura laissée Steve Ballmer avant de s'être fait débarqué de la présidence de Microsoft. Car avec les flops des Surface RT, chiffres “misérables” de W7P/W8P, ventes froides de Windows 8 et l'annonce bourrée de bourdes de XBox One, il a perdu ces deux derniers mois sa crédibilité devant le board des actionnaires.

Les chaises respirent, les vitriers du Washington pleurent. Mais plus jamais nous n'entendront les ♬ tididi tiii tiii tididi des SMS faxés en morse.