Chronique lue en direct dans l'Hallucinarium FMR du 26/11/2014.
Avec Pouhiou, Marie et Eugène Lawn. Réalisation : Philippe Pitet.

Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui nous écoutera dans quelques secondes.

Je ne te cacherai pas qu'aujourd'hui, je suis très heureux de côtoyer The Bubblies, un groupe pop noise toulousain très créatif. Je dois même avoir quelque part chez moi un de leur premier single, « Electriclegoland », casé entre East17 et Salvadore Adamo. Oui, à Radio <FMR>, non seulement on est très éclectiques, mais en plus nous sommes sentimentaux : le single a 20 ans, ce qui ne nous rajeunit pas. Plus récemment, ces furieux ont fait un concert amplifié silencieux, à base d'un aquarium insonorisé sur la voie publique et d'écouteurs sans fils pour le public piéton ; et pan dans la gueule pour l'Office de la Tranquilité de la Mairie. Leur nouvel album est un jeu vidéo, où ils tournent en dérision leur combat contre un mal qui secoue internet : le troll.

Mais attention, je ne parle pas du troll par méchanceté qui martyrise la touche majuscule sur les forums, non, que nenni, je te cause du troll qui te menace de poursuites judiciaires pour contrefaçon. Alors, qu'est un troll ? Je veux dire, à part d'être une créature mythologique viking à l'alignement chaotique mauvais ?

Un patent troll est une société qui va déposer des brevets, des marques, des logos avec le champ d'application le plus flou, donc le plus vaste possible. Par exemple, le fait de cliquer sur un bouton pour ajouter un élément dans votre liste d'achat sur un site d'e-commerce est breveté. Alors que cela nous semble être tellement évident, et bien il y a matière à procès, condamnation et dédommagements.
Une société patent troll habite en général dans une boîte postale d'un cabinet d'avocat, sise dans une juridiction particulièrement agressive. Elle n'a pas besoin d'employés, juste d'un gros portefeuille de brevets, marques, logos particulièrement flous. Et tout se joue sur la peur : il leur suffit d'envoyer un papier d'avocat menaçant de procès pour gagner quasi automatiquement.
Pourquoi ? Parce que les frais juridiques des poursuites abusives ne sont pas remboursés dans la plupart des pays. En France, nous avons une chance : la partie perdante doit payer l'avocat adverse, au titre de l'article 700 de Procédure Civile. Donc, en dehors de France et particulièrement dans les pays Anglo-Saxons, plutôt qu'emprunter plusieurs centaines de milliers de dollars pour prouver que vous êtes dans votre bon droit, la plupart des gens préfèrent la conciliation à l'amiable, qui ne se monte qu'en dizaine de milliers de dollars.
Pour votre info, il existe une société pornographique allemande, Purzel video qui adressait des courriers plus ou moins aléatoirement à des internautes, les accusant de pirater leurs films cochons. Là, ce n'est pas la peur de ne pouvoir payer les avocats, mais la honte d'avoir son nom sur un document juridique vous traitant de pirate et d'obsédé sexuel qui font que les gens préfèrent céder. Ils ont été très fort à pomper du liquide sur des accusations phallocrates fallacieuses.

Pour en savoir plus, je vous recommande « Remix is everything » de Kirby Ferguson (rien à voir avec les émeutes) surtout le 4ème volet concluant la série, que j'ai traduit comme de par hasard…

Dans le cas des Bubblies, c'est une société qui a fait fortune dans le jeu faussement gratuit qui les a attaqués. King.com est une boîte qui n'a aucune originalité, ils reprennent des principes de jeu déjà connus depuis 20 ans, y mettent les deux escroqueries du jeu vidéo moderne à savoir le DLC et le in-game payment. King.com reproche aux Bubblies d'avoir un nom trop proche de leur « Bubble Witch Saga™ ». En clair, ces gens-là sont capables de poursuivre des fabricants de tubes de bulles de savon, sous prétexte qu'éclater des bulles colorées, c'est eux qui en ont inventé le principe. Et pas du tout Taito avec « Puzzle Bubble » en 1994.

Sauf que King.com n'est pas un vrai patent troll, mais un éditeur de jeux vidéos piège à cons attrape-gogos. Et l'immense bad buzz qu'ils commençaient à se prendre risquait de tuer leur business premier, le jeu au design kawaii coloré qui vous fait payer 0,50 € le droit de ne pas attendre ½ heure pour rejouer. Ils ont donc abandonné.

Mais les Bubblies sont taquins : ils en ont profité. Car, en France, tout finit par des chansons. Leur nouvel album de chanson est donc un jeu, « Bubblies Saga : The king of Bubble Pop » où ils trollent un wannabe patent troll.
Rien que pour ça, les Bubblies, ce sont nos héros de l'année.

Et c'est dans l'air du temps : Cette année, les patent trolls et leurs associés s'en sont pris plein la gueule : les sociétés qui ne vivent que de ça sont en pleine déconfiture boursière, et l'équivalent de l'article 700 (celui sur le remboursement des frais engagés par la partie adverse) est en cours d'adoption aux États-Unis pour justement permettre à n'importe qui de pouvoir se défendre contre des accusations abusives destinées à leur extorquer de l'argent. Pour votre information, c'est dans le cadre d'une relecture de la loi RICO, contre les comportements mafieux et le racket organisé. Tout le comportement d'un patent troll, quoi.

Enfant du futur immédiat, fait gaffe quand tu accuses un autre de plagiat. Assure-toi que tu as un très bon avocat, et surtout que tes prétentions ne soient pas trop floues, et avec une preuve d'antériorité avérée. Sinon tu vas te faire méchamment troller, façon Game Over.