Chronique lue en direct dans l'Hallucinarium FMR du 25/03/2015.
Réalisation : Eugène Lawn.

Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui nous écoutera dans quelques secondes.

Le brevet, non pas des collèges, bande de gamins, mais le brevet d'invention, protège une création technique permettant à son inventeur de disposer d'un temps déterminé d'exclusivité sur son invention avant que celle-ci ne soit entièrement dévoilée publiquement, permettant à n'importe qui d'en profiter.

Le brevet a cette intention de rémunérer son auteur et donc de favoriser l'innovation, tout en ne bloquant pas celle-ci en l'élevant dans un second temps dans le domaine public pour être reprise et améliorée. Durant sa période de protection, une trentaine d'années, l'invention est protégée par un service public : En France, ce rôle est assuré par l'Institut National de la Propriété Intellectuelle. L'équivalent artistique en est le droit d'auteur.

Et pendant que le brevet a cours, il peut figer l'innovation qui en découle. Par exemple, si un homme des cavernes tel qu'Alain Finkielkraut avait déposé l'addition et refuse d'en proposer une licence aux autres chasseurs-cueilleurs, ses voisins de tribu tels Éric Zemmour n'auraient pu inventer la soustraction ou la multiplication qu'au moment où le brevet expire. Heureusement pour nous, les formules mathématiques ne sont théoriquement pas brevetables en Europe. Quant aux deux personnages non-fictifs cités, ce sont des hommes de lettres, pas de chiffres.

Chaque année en France est déposé une dizaine de milliers de brevets, et forcément bien plus de demandes de brevets. Malheureusement, les brevets sont vite devenus un moyen de pression, je t'en ai déjà parlé avec les Bubblies qui furent indûment menacés par King.com. Là, je vais montrer un usage très ironique des brevets comme monopole, et comment son contournement a créé une gigantesque industrie.

Le cinéma est la combinaison de différentes trouvailles par des inventeurs géniaux : la pellicule souple, l'obturateur, la croix de Malte, les griffes et perforations et j'en passe. L'un des tout premiers films tournés est la fameuse sortie des usines Lumière, ce qui fait penser pour nous, Européens, que les Frères Lumières sont les vrais créateurs du cinéma. Mais nous serions aux États-Unis, nous penserions que le vrai génie du cinématographe n'est autre que le grand Thomas Edison.
Dans les années 1890 alors que le cinématographe n'était qu'un bébé balbutiant, tressautant et qui ne disait même pas un mot, l'inventeur businessman américain brevète un certain nombre de technologies du cinématographe, prétendant en être le créateur.

Comme Edison avait déjà une sacré expérience du business de l'invention, il constitua des entreprises spécialisées dans la perception de ses droits et engagea une armée mexicaine de juristes et autres hommes de mains.

En 1908, il s'associe avec d'autres entreprises pour former le Motion Picture Patents Company (MPPC), parfois dénommé Edison Trust. Son consortium était tellement menaçant qu'il faisait fermer les salles de cinéma qui osaient projeter des films importés d'Europe ne comportant pas le logo Edison. La société employait une armada d'avocats et d'inspecteurs de terrain. Mais il se trouve que ces inspecteurs patrouillaient surtout dans le Nord-Est des États-Unis. Quand les petits studios indépendants basés à New-York eurent marre de leurs relances incessantes, ils décidèrent de partir pour la Californie. David Wark Griffith y tourna en 1910 un premier film, « In Old California », qui fit office de plaquette publicitaire pour les autres. Là-bas, on peut très rapidement avoir de superbes décors en moins d'une heure de route pour des plages, des montages et des déserts. De quoi tourner du drame censé se passer en Asie ou des westerns. Mais surtout, aucun inspecteur du MPPC : le voyage depuis l'Est des États-Unis prenant à l'époque plus d'une dizaine de jours si tu ne loupais pas le 3h10 pour Yuma, les huissiers aux gros bras n'avaient pas envie d'aller frapper des portes aussi loin.

Hollywood fut donc créé par rébellion.

Pendant ce temps, les entreprises qui avaient créé le MPPC n'avaient toujours pas produit de film, que quelques petits courts métrages mais pas de features qui méritent une affiche et où donc la clientèle irait dépenser un nickel. Les studios qui étaient restés à l'Est étaient étranglés financièrement par le Trust. Les films importés du Vieux Continent avaient eux du succès à l'est d'Eden.
Or en 1914, la guerre éclate en Europe. Et donc les films qui venaient d'Allemagne, de France et d'Angleterre se firent beaucoup plus rares. Les studios indépendants en Californie profitèrent de l'aubaine et finir par partir à la conquête de l'Amérique puis du Monde.

Adolph Zukor, fondateur de la Paramount rencontra un jour Edison. Si le cinéma était à l'époque muet et en noir et blanc, la tirade qu'aurait lancé Zukor à Edison est haute-en-couleurs et mérite un beau carton intertitre : « j'ai traversé la moitié de l'Europe à pied pour échapper à des gens de ton genre. »
Nikola Tesla, autre inventeur génial fortement enquiquinée par Edison, n'aurait pas dit mieux.

En 1918, le gouvernement fédéral ouvra une enquête sur le MPPC, le soupçonnant de pratiques anti-concurrentielles. Le consortium fut alors démantelé par ses actionnaires et les avocats trouvèrent d'autres patent-trolls à défendre.

Enfant du futur immédiat, il est amusant de voir que l'industrie cinématographique américaine doit son succès à une bête tolérance et qu'elle a fini par prospérer malgré les menaces d'avocats. Il est encore plus amusant de constater qu'un siècle après, elle a tout fait pour bloquer la diffusion de films sur internet, pour finalement s'associer à des acteurs qui eux aussi eurent leurs petits moment d'illégalité lors de leurs toutes premières heures. Drôle d'happy end.


Du 27 au 29 mars, Startup Weekend de Toulouse à l'ICAM, avenue de Grande-Bretagne.