Chronique lue pour l'émission radio CPU Ex0002 : Du cellulo aux pixels

1982 : Hollywood est dans une frénésie créatrice de films légendaires : « Star Wars », « Indiana Jones », « Ghostbusters », « Blade Runner », « E.T. », « Alien »... mais l'OVNI vint des studios Disney et s'appelle « Tron ».

« Tron » est un film emblématique mais il est aussi celui de l'époque où Walt Disney Productions tentait de brancher un public plus adulte. En ce début des années 1980s, les studios d'animation du groupe étaient dans une période de creux qualitatif avec « Bernard et Bianca » ou « Rox et Rouky », le succès Disney de l'époque est la franchise cinéma « La Coccinelle » avec ses ressorts vieillots et je ne parle pas que du véhicule, alors que le film de science-fiction « Le Trou Noir » de Gary Nelson en fut un, à peine éclipsé par « Le Chat de l'Espace » réalisé par Norman Tokar le bien-nommé. Le groupe de l'Oncle Picsou devait vite trouver une stratégie de renouvellement à moyen terme et de sortir du deuil de son regretté fondateur. La nomination comme Directeur Général du groupe de Ron Miller, beau-flls du regretté Walt Disney, s'accompagne de deux ambitions :

  1. créer des productions plus adultes, par exemple via le label Touchstone, et
  2. utiliser de nouvelles technologies pour garder une avance sur la réputation d'excellence.

Le scénario de « Tron » est amené par le réalisateur d'animation Steven Lisberger et Bonnie MacBird, laquelle se mariera en 1983 avec Alan Kay ; oui, le théoricien de la programmation objet et de l'interface graphique. À l'écran, le beau gosse Jeff Bridges donne la réplique à Bruce Boxleitner et David Warner. Jean “Moebius” Giraud, conçu les costumes, Syd Mead apporta son savoir faire sur les designs industriels et Peter Lloyd créa les décors. Steven Lisberger, réalisant son script, eu la lourde tâche de gérer une production monumentale en terme d'effets spéciaux.

Au final, le film Tron fut jugé comme commercialement peu rentable : 33M$ de recettes pour 17 M$ de budget, jugées comme très insuffisant par le board de Disney, très désappointés. Ron Miller, le patron du groupe fut débarqué et à sa place arrivèrent Michael Eisner, Frank Wells et Jeffrey Katzenberg, lesquels s'écartèrent un temps de l'infographie.
Pour mémoire, Katsenberg fut plus tard co-fondateur de Dreamworks, gérant les productions 3D. Ne pas rire.

Pourtant, Tron marqua durablement les esprits et allait introduire sur grand écran de nouveaux univers.
Il est probable que sans lui, l'idée du cyberespace des romans cyberpunks de William Gibson, le film « The Lawnmower Man » dix ans plus tard, et la trilogie « Matrix » auraient été popularisés mais bien plus tard. Sans compter un réel soutien moral à une génération de développeurs logiciels, à un moment où l'industrie vidéoludique allait connaître son premier crash retentissant.

Oui, je reconnais que, je me suis amusé à reprogrammer la fameuse course de motos, comme des milliers de jeunes de mon âge. Et depuis, on est passé de programmes en Basic qui ressemblait plus ou moins au jeu Snake sur Nokia, à de la 3D immersive à la première personne, en OpenGL et en réseau et avec des intelligences artificielles.

Au revisionnage du film séminal, comme on dit de nos jours, son rendu n'est pas parfait et pourrait meme sembler vieillot pour le public actuel. Il est constitué parfois de plus d'une dizaine de couches de pellicules compositées : images de synthèses (seulement présentes pendant 15 minutes du film), éléments de décors du films, acteurs, couches de peintures et effets de lumières fait à la gouache, caches et effets de rétro-éclairages.

Car oui, les techniques traditionnelles ne sont pas en reste : Le backlit animation, l'effet de halo néon si discooo est obtenu par un cache et un rétro-éclairage de la pellicule, technique très laborieuse et qui, à l'époque, ne pouvait être obtenue qu'artisanalement. Comme cet effet est très utilisé dans les scènes se déroulant dans le monde informatique, il fit lui aussi grimper astronomiquement le budget de production.

Le film marie donc des effets spéciaux tels que Méliès aurait pu les pratiquer et une technologie qui coûtaient encore horriblement cher dans les années 1980s : l'infographie.

À l'époque, des dizaines d'entreprises spécialisées, ou plus exactement de startups, furent sollicitées par les studios Disney pour cette production. Information International, Inc., MAGI, Robert Abel and Associates, et Digital Effects, qui travaillaient sur des PDP-10 et autres gros barebones qui valaient le prix d'une grosse villa. De ces sous-traitants, il n'en restait aucun dans ce secteur 5 années après la sortie du film : le marché n'était pas encore là. Seul Lucasfilm avait une division prometteuse qui allait survivre à ces heures héroïques, cette entreprise ne s'appelle pas encore Pixar, et « Toy Story », le premier long métrage intégralement en image de synthèse ne sortira que 13 ans après. Pendant ce temps là, l'animation informatique ne reste qu'une curiosité exhibée une fois par an au festival Imagina à Monaco.

28 ans après, le deuxième film a rafraîchi l'aspect visuel du long métrage originel.
Forcément, les cartes graphiques des ordinateurs protagonistes eurent des mises à jour.

La musique de Wendy Carlos reprise par les Daft Punk, la présence au casting du premier rôle d'origine, devenu depuis « The Big Lebowki » dans un film des frères Cohen, face à son double maléfique au visage rafraîchi par infographie, et surtout le fait que les jeux dérivés sur les consoles de salon ont maintenant un rendu très proche du cinéma, tous ces facteurs ont aidé à en faire un succès financier : 400 M$ de recettes, uniquement pour le film pour 170M$ de production.
Pourtant, contre toute attente, Disney annula la production du 3ème film en mai dernier. Devra-t-on attendre 30 ans de plus pour le prochain opus ?

Mais toute l'émotion reste celui de la réelle découverte, du choc émotionnel qui submergea les spectateurs sur grand écran, quand, au début des années 1980s, il découvre des images froides, géométriques, d'une lumière surnaturelle et clairement pas de ce monde...