Ceci est une partie du script de la release Ex0020 du programme CPU, diffusé Jeudi 18/02 à 11h. Plus d'infos sur le site de l'émission. logo de l'émission CPU

Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi dont la citoyenneté sera remise en cause parce que tu préfères gmail à notre webmail national de laposte.net, petit mécréant !

Aujourd'hui, nous allons te parler de cloud. De Cloud Souverain, avec le ridicule d'un mot d'anglais pour ne pas souffrir de sa risible traduction nuagique, et souverain parce que sa conception vient du fait du Prince, qui a géré avec une légèreté toute royale les caisses nationales sans qu'un cardinal ne vienne le sermonner sur lesdites dispendieuses dépenses.

Tel que le web fut imaginé au départ, dans une optique décentralisée, le cloud ne devrait pas vraiment exister. Si effectivement des services, notamment la gestion de nom de domaine ou les boites d'e-mail sont conçus dans l'idée de serveurs desservant des milliers d'utilisateurs, le premier navigateur web, celui codé par Tim Berners-Lee, permettait à tout-un-chacun d'éditer n'importe quelle page web, et d'en héberger le contenu modifié sur son ordinateur. Mais très rapidement, on est revenu à des notions de serveurs forts, centralisés, douillettement planqués dans des bâtiments climatisés avec redondance de liaisons spécialisées et lignes électriques.

Oui, le mot cloud qui est tant à la mode depuis 2006, ne fait que désigner un concept qui est vieux comme les centres serveurs et les Très Grands Ordinateurs Omniscients si chers aux romans d'Isaac Asimov (voilà qui ne nous rajeunit pas). Seulement, sur la plupart des centres serveurs et des services associés que nous utilisons au quotidien, la très grande majorité sont de nationalité américaine :
Amazon Web Services pour l'hébergement professionnel, Google Drive pour les suites bureautiques et Facebook pour les réseaux sociaux.

Oui, les services internet posent une question qui est politiquement fondamentale :

celle de la souveraineté, de la portée d'une législation nationale, du contrôle des données par les citoyens et des garde-fous juridiques.

Or bizarrement, Enfant du futur immédiat, ce n'est pas parce que tes données sont hébergées dans ton pays que tu es plus libre. Prends exemple sur Johnny Halliday, Jérôme Cahuzac, Yannick Noha et Florent Pagny. Leur domicile fiscal n'est bien évidemment pas en France pour sauver [leur] liberté de penser.

Et d'ailleurs, une des choses qu'on oublie de reprocher aux fameux GAFAM (Google Apple Facebook Amazon Microsoft, oui, on a créé une abréviation pour mieux stigmatiser leur complot mondial), c'est le premier amendement à la constitution Américaine, celui qui garanti la liberté d'expression. Un texte fondamental qui fait que pour supprimer des données publiques, l'expression d'une personne, il faut faire intervenir un juge.
Sache qu'en France, un tel droit n'a jamais été inscrit dans notre Constitution, mais pour s'empresser de nous retirer des droits fondamentaux, là, y'a du monde au Parlement.

Derrière le cloud souverain, il n'y a pas que ce vieux fond d'anti-américanisme cocardier,

...il y a aussi la question de la dépendance à des entreprises étrangères de services importants voire vitaux pour la Nation. Et qui dit étranger, dit Anti-France, et aussi la peur de l'espionnage. Après tout, Edward Snowden n'a fait que dévoiler au grand public un secret de polichinelle : les Grandes Oreilles américaines de la NSA piochent allègrement dans le contenu des serveurs hébergés chez eux pour mettre tout le monde sur écoute. Oui, les GAFAM sont méchants car Américains !
Comme si en France on n'avait pas la Loi Renseignement et ses séides.
Comme si les services de renseignement ne se partageaient pas déjà allègrement entre copains tout ce qu'ils récoltent massivement chacun de leur côté.
Bref, un argument nul et non-avenu.

Alors promouvoir un Cloud Souverain, est-ce une manière de créer quelques emplois localement ? Je dirais bien oui, mais en réalité, vraiment que quelques : un datacenter, une fois construit ne requiert pas plus d'une dizaine de salariés. Mais il est vrai que par exemple Facebook a son premier data-center non américain en Suède, deux sont prévus par Apple en Europe, Microsoft en prévoit 3, et il est question d'un troisième centre européen pour Amazon Web Services après l'Irlande et l'Allemagne.

En fait, le problème levé par des prestataires extérieurs à nos frontières est l'impossibilité pour nos acteurs nationaux industriellement lourdingues de répondre aussi bien commercialement qu'en efficacité. Je ne parle pas d'OVH, Ikoula, Gandi ou notre invité FullSave, je parle de nos Glorieuses Nationales SSII/ESN comme Bull, Atos et Cap Gemini. Eux qui eux-même s'affranchissent des standards auxquels sont conformes les mieux-disants qu'eux mais... étrangers.... au jeu des passe-plats entre fonctionnaires et ancien-fonctionnaires qui pantouflent chez lesdits champions du CAC 40, ceux qui décrochent un nombre record de commandes publiques, et que certains soupçonnent de dopage.

Psssschhhhhhhhhhhh...

Reparlons ainsi du gag cuisant arrivé en Juin 2013 dans le data center de Bull qui hébergeait le service Chorus, le logiciel comptable de l'État. Figurez-vous que le ministère du Budget ne pouvait plus effectuer une seule opération bancaire pendant une semaine. L'État n'était plus capable d'effectuer le moindre virement ou encaissement. Bercy était à sec ! Le serveur de Chorus était tombé pour une histoire de coup de perceuse ; officieusement, une alarme incendie d'un bureau s'était déclenché suite à un barbecue sur le parking. Heureusement pour Bull que vue la criticité du système, il y avait obligation de tenir une machine à plus de 300 km avec les données copiées en permanence. Ce serveur de secours était installé... exactement sous le serveur principal. Noyé lui aussi sous les sprinklers...
Belle douche froide pour la réputation de notre glorieux Cloud Souverain, et pourtant on n'avait pas encore vu les non-preuves de CloudWatt et Numergy.

Comment peut-on justifier qu'en payant plus cher, avec des sous-traitants de bien moindre qualité, on gagne en souveraineté numérique ? Surtout qu'au final, les-dits prestataires utilisent rarement du matériel français, mais plutôt d'importation américaine ou chinoise : le processeur vient de chez Intel, le routeur de chez Cisco. Et les-dits opérateurs finissent par installer des logiciels aussi opaques que ceux de leurs concurrents non-français. Et comme ils n'arrivent pas à les faire tourner, les frais de maintenance dérapent plus sérieusement que les coûts du porte-avion Charles de Gaulle.
Pauvre France ! Pauvre French Tech...

L'étape suivante sera l'OS souverain, mais comme nos visages sont rougis à force de se mettre des claques de rire, nous gardons un peu de notre mauvaise fois pour une prochaine fois.

Enfant du futur immédiat, au lieu de se plaindre que les pays étrangers menacent par leur savoir-faire notre indépendance, je te rappelle ce truisme : L'innovation ne se décide jamais par une décision bureaucratique. Or, les fées ministérielles qui ont présidé à la naissance du Cloud Souverain ont vite fait d'aller voir ailleurs avant sa première nuit.