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Cette page (émulée) fait partie d'un site archivé. Plus d'infos ici.Petits bonheurs de bédéphile
« Amer Béton »
Tekkonkinkurito
v.o. (Japon) Shogakukan
v.f. Éditions Tonkam
Scénariste/Dessinateur Taiyô MATSUMOTO
Issu de la b.d. underground japonaise, il eut la chance d'être publié dans la magazine Big split, mais avant de dessiner, il fut journaliste sur le Paris-Dakar et aussi novelliste. Auteur de mangas de sport sur le base-ball (« Straight », « Hana Otoko »), la boxe (« Zero »), ou encore « Ping Pong » son style fait exploser le genre par l'histoire, en général amorale et désespérée et son trait onirique qui renforce cette impression. Des dessins issues de son artbook « 100 » ont servi d'illustrations pour l'album « Little Playmate » de Kemuri (chez Roadrunner), le punk-ska décapant de ce groupe entrant en résonnance avec sa production. Plusieurs histoires courtes sont regroupés dans les recueils « Hana Otoko », « Aoi Haru » et « Nihon no Kyôdai ». À 29 ans (en 1997), après 10 ans de métier, sa venue en France à l'occasion de la publication d'« Amer Béton » lui permit de rencontrer ses maîtres graphiques européens, qu'il revendique ouvertement: Moebius, Michelangelo PRADO, Enki BILAL et Nicolas DE CRÉCY.
Noiro et Blanko ( Kuro et Shiro, en v.o.) sont deux jeunes orphelins, sans famille ni attaches, qui vivent dans la rue. Ils dorment dans une carcasse de voiture, sur un terrain vague, se lavent aux bains publics et sèment la terreur dans leur quartier. On les appellent les "chats volants", à cause de leur sauvagerie et de leurs voltiges.
Mais la spéculation immobilière va bouleverser leur univers: à la place d'une salle de jeux vidéos va en effet s'installer une sorte de parc d'attractions, couverture du futur quartier général de la mafia. À la place de leur relative petite délinquence, dont la société japonaise ne sait gérer, va s'installer la grande criminalité institutionnelle des yakuzas. Ils vont donc tout faire pour dissuader cette installation, même si le combat semble joué d'avance: les petits chats luttent pour garder leur nid avec des moyens dérisoires, là où le yakuza Kamura (déjà vu dans « Aoi Haru ») peut engager des tueurs.
Un bien bel objet: une reliure en forme de parpaing réunissant les trois tomes de cette histoire complète. Le contenu fut pour certains un véritable pavé dans la mare! Pourquoi? Tout simplement parce qu'il a fait tomber une idée reçue dans laquelle beaucoup d'amateurs européens du neuvième art s'enferment: La manga peut être belle et dessinée comme une b.d. française!
Preuve qu'il existe une scène underground au pays du soleil levant et de la b.d. industrielle, et Taiyô MATSUMOTO en est un de ses plus talentueux représentants. Son éditeur français a eu la bonne idée de le faire venir au Festival d'Angoulême en 1997 (voir entretien). Graphiquement, c'est un véritable choc: Par les accumulations à la Georf DARROW, par le trait qui mélange rêve et réalisme, par l'utilisation de diverses techniques d'aberrations optiques propres à la photographie (déformations d'images manière macro-objectif, fisheye) et par sa maîtrise du mouvement.
La personnalité trouble de ces frères jumeaux, l'innocence de Blanko et la vision "responsable" de Noiro nous surprend dans cette poésie pessimiste (?). Une famille qu'ils tentent vaguement de reconstituer: un vieillard ivrogne devient leur "grand-père", et Blanko se fera "adopter" par un policier. Leur look proprement improbable, la ville, personnage à part entière, qui pourrait se situer n'importe où, et leur vain espoir d'un lieu meilleur... on en ressort groggy, plus sensible sur notre monde qui génère notre violence. Kuro Tento, célèbre troupe théatrâle japonaise (déjà venu au festival d'Avignon en 1995), en a monté une adaptation, reprenant le désespoir de cet univers. Alors, nippon ni mauvais ?!?
Mention spéciale à l'excellent traducteur Frédéric GUYADER (« Vidéo Girl », « X », « Asatte dance »). Dommage qu'Amer Béton n'aie pas été nominé Alph'art meilleur album étranger 1997.
© Xavier MOUTON-DUBOSC <FMR> Mercis à Takanori UNO, Dominique VÉRET, Laurent NESPOULOUS chroniqués: «IN`DIGEST» XI 1996, XII 1996, II 1997 «Tu sais quoi» 10 IX 1997 Web 29 X 1997 |