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Petits bonheurs de bédéphile

Les petits bonheurs d'IN`DIGEST

« Watchmen »

( « Les Gardiens » )

Édº originale: D.C. comics (1986)
1º édº française (1988~1992): Zenda
Édº française actuelle (1998):
Collection Contrebande
Delcourt

Scénariste Alan MOORE
Scénariste anglais qui déferla sur le comics américain durant les années 1980, il transforma « Swamp thing » (récemment traduit chez Delcourt), un nanar horrifique stagnant en chef d'oeuvre. Spécialiste des univers désespérés, il a aussi écrit « V pour Vandetta » (bientot ré-édité par Delcourt), mais sait aussi se défouler comme pour « Vaudou » (Image/Semic). Bref, il se pose comme un des sauveurs du comics qui se résignait à être "bon enfant" (comprenez: gnangnan), sans abandonner leur vécu. En témoigne les mini-séries « 1963 » (Image, 1993), reprise semi-parodique du style comics de l'Âge d'Or, « Awesome » et « Supreme » (Image/Génération comics). Très prolifique et multi-genre.

Dessinateur Dave GIBBONS
Il a connu Alan MOORE en Angleterre. Ils produisirent ensemble « Marvelman / Miracleman » pour le magazine 2000 A.D., puis partirent ensemble aux States. Il repris, toujours avec le même pote, « the Spirit », le personnage de Will EISNER (pour Dark Horse) puis participa à « 1963 ».

Coloriste John HIGGINS

Traducteur Patrick MANCHETTE
Auteur de polars, il fut le scénariste de Jacques TARDI pour « Griffu » (Casterman).

1985: l'horloge du Jugement dernier indique moins 5. Les Russes, bravant les États-Unis tout puissants (qui ont gagné au Vietnam), envahissent l'Afghanistan. Un ancien justicier du groupe des "Minutemen/Watchmen", le Comédien, est défenestré. Rorschach, un autre des "Watchmen", tueur névrosé et quasi-clochard, est persuadé qu'un tueur de super-héros sévit à New-York, il va mener sa propre enquête.

La première surprise : depuis 1977, seuls les super-héros et justiciers dûement approuvés par le Gouvernement fédéral ont droit d'exercer. Cette loi fut votée à l'initiative du sénateur Keene, suite à une grève des policiers qui a failli tourner à l'émeute généralisée.
Mais ce n'est pas la seule déconvenue de nos héros costumés. Jeunes adultes épris de justice, ils furent inspirés par les premiers comics de super-héros en 1938. Rapidement, il découvrirent que l'union fait la force, en "Minutemen" (comprendre cross-over !). Un groupe qui éclata par la Guerre, la prise d'intérêt de certains (impressario), les doutes (notamment le McCarthysme, référence au C.C.A.), les frictions (dont un viol!) et l'apparition d'un super-héros (Dr Manhattan qui a un réel super-pouvoir). Ajoûtez racisme, exclusion et la folie de certains (Rorschach n'est pas le plus incurable : l'Homme-Insecte est carrément à l'asile). Adrian "Ozymandias" Veidt, seul à s'en être sorti a créé une gamme de produits dérivés sur son propre personnage !
Bref, des justiciers minés, démolis, qui ont soit atteint la soixantaine (le premier Hibou, le Comédien), soit refusé de reprendre le rôle de leur prédécesseur (Miss Jupiter), tous loin de leur idéal. L'envers du décor, ou, pour reprendre le titre du livre fictif, « Sous le masque » (d'Hollis Mason, le premier Hibou), le revers d'être un justicier costumé.

Après le meurtre du Comédien, c'est le Dr Manhattan, accusé d'être cancérigène pour ses proches, qui s'enfuit de la Terre, alors qu'il était la base de la défense nucléaire américaine... L'horloge atomique marque une minute de plus ! De mystérieuses disparitions d'artistes, une tentative d'assassinat sur Veidt et Rorschach, piégé qui sera emprisonné... Bref quel peut être le nouvel ennemi de la Justice ? Elle-même ?!?

Un découpage dynamique, parfois déroutant, ne laissant aucune place au hasard ou à l'involontaire. Plusieurs images récurentes : un tag rageur (« Who watch the Watchmen ?» : qui surveille les Gardiens ?), des affiches de film, de pub, de spectacles, des unes de journaux et un smile à l'oeil barré de sang. La narration va-et-vient en tous sens (on est même souvent perdus), plongeant entre plusieurs décors et supports (du journal de Rorschach à un comics de pirate) et parfois le temps (sur lequel le Dr Manhattan a une vision globale). Bref la re-lecture se montre indispensable, surtout par les extraits d'interviewes et d'autobiographie. D'un point de vue psychologique, ces "Gardiens" se montrent sont extraordinairement déjantés, une histoire lourde à supporter et de nombreuses blessures mentales. D'une trame dense, histoire sublime au final apocalyptique, un best-seller international, un must !

Rarement un comics de superhéros n'a eu autant d'unanimité : Prix Hugo (haute distinction de la littérature s.f.), Alph'Art du meilleur album étranger,... pour les récompenses. Une histoire complète en 12 comicbooks, une somme de 400 pages qui vient d'être recompilé à raison par Delcourt : « Watchmen est pour moi le premier comic-book adulte publié aux États-Unis depuis la fin des E.C. comics. » (Jacques SADOUL, «93 ans de b.d.», J'ai Lu). Un background extrèmement cohérent, dans lequel aucun détail n'est fortuit. Des références historiques (à la Nuit de Cristal), filmographiques (« Le jour où la Terre s'arrêta »), b.d. (notamment les comics d'horreur des 1950s)... Un véritable régal, un feu d'artifice pour féter dignement les 60 ans des super-héros.

La morale ? Rangez vos panoplies de super-héros : l'habit ne fait pas le moine et la Justice a un goût bien amer.

Xavier MOUTON-DUBOSC
chroniqué: Web 27 XI 1998
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