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Cette page (émulée) fait partie d'un site archivé. Plus d'infos ici.Petits bonheurs de bédéphile
« Valérian & Laureline, ex-agents spatio-temporels »
Éditions Dargaud
Scénariste Pierre Christin
Journaliste (il fut prof à l'IUT de journalisme de Bordeaux), il aime aussi bien naviguer dans le réel que dans l'imaginaire. Outre son oeuvre avec Christin et ses romans de s.f., on le retrouve avec Enki Bilal dont il scénarisera la sombre «Partie de chasse» mais aussi l'onirique «Ville qui n'existait pas» ou encore «Le vaisseau de pierre». Avec Anne Goetzinger, il réalisera des histoires plus romantiques, avec François Boucq il fera dans l'humour Fluide Glacial, fin années 1970...
Dessinateur Jean-Claude Mézières
Cow-boy, tel fut son rêve qu'il a réalisé dans sa jeunesse. Revenu des States, il rêve toujours des grands espaces et décollera dans Pilote avec sa fameuse série. Diverses incursions humoristiques dans Fluide Glacial, il collabore sur le design de plusieurs films et notamment sur les décors du film «le Cinquième élément» de Luc Besson.
Il est difficile de définir une série aussi extraordinaire: Elle a marquée la bédé française juste avant Mai 68 et le film de Stanley Kubrick « 2001 l'odysée de l'espace ». Une révolution dans le genre car la science-fiction n'avait jamais été traitée correctement auparavant dans la b.d. française. La maquette la plus classique, un trait souple, loin des fioritures nerveuses de Druillet ou de l'aplat brutal de Moebius ou de Bilal. Le texte poétique, et d'une variété rare. Valeur sûre, car elle a bien vieilli.
Christin et Mézières signent au printemps 1968 leur première histoire: Trente pages parues dans Pilote, où le trait est déjà personnel, le texte déjà avant-gardiste... Valérian est là, mais sans Laureline. Du moins au début... L'agent spatio-temporel du XXVIIIème siècle connaîtra sa moitié au XIème siècle, au risque de créer un paradoxe dans l'espace temps.
Tout est déjà là: la coupe des costumes métalliques, un premier temps emprunté à la garde robe de Flash Gordon, les expressions (« par l'Espace Temps! »), les animaux bizarroïdes, les humanoïdes, la magie, les gadgets james-bondesques, le chef de service, ...
Peut-être trop manichéen au début: Laureline est une âme pûre et Valérian, le Prince à la noble cause. Le roman courtois, avec Albéric l'enchanteur, le maître d'arme disons précis sur le timing. Mais on aime déjà..
Premier album: « La cité aux eaux mouvantes », on apprend que Galaxity, le nouvel ordre terrien, est bâti après un terrible cataclisme: l'explosion d'un stock d'armes nucléaire au Pôle Nord en 1986. Le survol de New-York et du désespoir des survivants donnent un coup de fouet fabuleux à la série naissante. La vision de la plus grande cité envahie par les eaux et une végétation tropicale, décadence de notre civilisation. Et l'obligation de respecter la trame historique, la découverte fortuite de certains documents devenus historiques. Cela est tout bonnement captivant.
Publiée à l'époque du fameux incident "Apollo XIII", « l'empire des mille planètes » brise un tabou de la S.F.: le sacro-saint voyage habité vers de nouvelles civilisations, qui ici tourne à l'échec et au cauchemar. Les systèmes mnéno-techniques d'apprentissage de langues ne permettent pas une intégration réelle. On assiste aussi à une véritable intrigue politique.
« Le Pays sans étoile » est à ma connaissance la première apparition dans la série de ce mélange délicieux de tendances politiques beatniks et libertaires. Une planète creuse où luttent à mort deux civilisations: une patriarcale, une autre matrimoniale. Épineuse situation où nos agents vont créer un consensus plus efficace que lord Owen.
« Bienvenue sur Aflofol » parle d'un aspect du colonialisme assez amer pour la France à cette époque: le respect des populations autochtones. Bien avant « Danse avec les loups », nous sommes au coeur d'un autre problème de choc de culture.
« Les oiseaux du Maître » ou le cancer du totalitarisme vaincu par la méditation transcendentale. Le cauchemard du navigateur : le cimetière des vaisseaux, la mer des Sargasses. Une vision hallucinante, horrible dont l'aspect grand-public sera conservée par une très élégante pirouette.
« L'ambassadeur des ombres », qui marquera la crédibilité de l'univers: Point Central, entre l'O.N.U. et le port-franc, le symbole du méli-mélo de l'Univers connu, les impayables Shigounz personnages aux moeurs immorales mais absoluments attachants, et d'autres peuplades mystérieuses.
Durant l'escale « Sur les terres truquées », la série arrive à une certaine maturité, scénaristique et graphique. Mézières affine son trait tandis que Christin éclate le couple. Les premières pages sont absolument explosives dans le traitement de la série. L'album à part, car une vision surprenante s'ouvre. Une sorte de musée avec des reconstitutions grandeurs natures de scènes historiques où un Valérian à espérance de vie limitée vient troubler le jeu. En fait, deux femmes mènent le train: Laureline et une historienne féministe, amazones pistant le Trûqueur, un esthète du Temps.
Une partie des histoires étaient trop courtes pour paraître en album, sortant dans des Super Pilote, numéros spéciaux à l'américaine. Elles furent compilés dans « Par les chemins de l'espace », six nouvelles du meilleur crû de la série, éditée en format poche collection 16/22 chez Dargaud. Introuvable depuis 1979, cette pièce inestimable a été ré-éditée en 1997.
Probablement le plus second degré de la série : « Les héros de l'équinoxe » où Valérian se trouve représenter les intérêts terriens on ne sait comment. Une excellente parodie des super-héros américains.
Deux albums pour une seule aventure : « Métro Chatelet direction Cassiopée » suivi de « Brooklyn station terminus Cosmos ». Unis par liaison télépathique, les deux héros sont séparés dans l'espace et le temps: Valérian découvre la Terre années fin 70, époque où il est totallement déplacé, avec un Chatelard truculent, tandis que Laureline cherche désespérément indices dans l'infini. Le plus profond psychologiquement, l'histoire la plus complète dans tous les sens du terme, sur les 4 dimensions. À mon avis, celle par laquelle il faut commencer car la plus aboutie.
Puis la fameuse date fatidique 1986 approche. Heureusement pas de catastrophes (quoique Tchernobyl...). Les auteurs font "dériver" leur propre série pour la re-stimuler: « Les spectres d'Inverloch » montrent Galaxity ravagée, se dissolvant dans les temps, punie d'avoir influencée son propre passé. Bientôt elle n'existera plus, et le chef du service spatio-temporel rejoint les deux agents, ultimes survivants d'une époque qui n'existera pas. La conclusion, dans « les foudres d'Hypsis » se révèlera totalement surprenante, revisitant une des bases de notre civilisation occidentale. Le final totallement décalé est considéré par les fans comme le tournant de la série.
Car désormais, Valérian et Laureline sont livrés à eux-mêmes dans l'immensité galactique. Sur les traces d'un fou qui veut détruire la terre, le meilleur ami de Valérian, « Sur les Frontières » se trouve d'un traitement de même qualité que « Métro Châtelet···», de zones franches en port francs sur Terre, Valérian, Laureline et Chatelard dans une situation périlleuse. On aime par son côté "mûr".
Obligés de trafiquer pour survivre et ne pas devenir clochards de l'espace; la Terre ayant disparue au 29ème siècle, ses vestiges fondent dans le néant, et leur équipement hi-tech n'étant plus entretenu court à la ruine. « Les armes vivantes » où des individus deviennent malgré eux outils d'une guerre éternelle et vaine. Notre couple tant aimé se trouve coté traficants d'armes
« Les cercles du pouvoir », avec un petit clin d'oeil à l'« Incal » de Jodorowsky Moebius. Ce vaudevile politique intersidérant permet de revenir sur certains points effleurés dans de précédants albums. Le pur délice de la lutte de pouvoir, avec l'imbu Colonel, les technocrates, ...
Et enfin, le dernier paru: « Les otages de l'Ultralum ». Laureline enlevée avec un petit prince infernal, la plus grosse prime de l'univers, mais ce qui fait courir Valérian c'est l'amour. On peut râler sur le dessin un peu rapide, mais pas sur le retour à Point Central, la réapparition de Jal, des Shigounz, du transmutteur grognon de Bluxte... et enfin la belle vue des formes généreuses de Laureline (cela ne s'était pas produit depuis un poster dans Playboy!). Un allègement de l'atmosphère de la série, qui tente par la même de recueillir un public plus jeune.
Je ne saurais être très complet sans ajoûter le « Mézières, Christin, avec... » régulièrement réédité depuis 1983, avec l'épisode originel, des récits auto-biographiques et autres curiosités;
« Les Habitants du ciel », complément indispensable à votre guide du routard galactique® , écrit manière sourcebook;
les « Extras de Mézières », avec beaucoup de dessins inédits et une preview d'un hypothétique dessin animé. Le deuxième tome reprend ses travaux sur le film « Le cinquième élément »;
ainsi que des collaborations occasionnelles dans la décennie 80 à Casus Belli, et le Dragon Magazine spécial n°4 de Janvier 94, origine de pas mal d'adaptation pour Méga ou Simulacres, dans l'attente d'un éventuel JdR officiel.
Quoique on a déjà tous décollé...
Au festival d'Angoulême `96, la queue était monstrueuse pour voir le tandem vénéré, par hasard (?) se trouvait en face Moebius et Bilal. Cet échange capturé, un fan demandant aux auteurs l'autorisation de les photographier:
Mézières « Oui oui, vous pouvez...
Christin - Tant qu'on est présentables.[···]
Mézières - Quant on pense que Laureline est toujours aussi belle
Christin - Et ce friguant Valérian toujours aussi con! ». Mais c'est pour ça qu'on les aime, ces quatre-là!
© Xavier MOUTON-DUBOSC chroniqués: spéciale «IN`DIGEST» #38 9 V6 1997 «Tu sais quoi» 25 III et 1 IV 1998 Web 1 IV 1998 NB: ce texte est le conducteur de l'émission In'Digest numéro 38 du Dimanche 9 Juin 1996, spécial Valérian & Laureline, à l'occasion de la sortie de l'album n°16 « Les Otages de l'Ultralum ». Puis ce texte à été ré-adapté pour l'émission "Tu sais quoi" et son passage en web. |