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Les éditos d'
Émission nº132, diffusée le Dimanche 27 Septembre 1998.Sujet : Affaire Astérix.
: Texte remanié et complété pour l'émission nº151
© Xavier MOUTON-DUBOSC / <FMR> France - Septembre 1998.
« L'affaire Astérix secoue le milieu de la b.d. depuis plusieurs années.
Il reste très difficile d'avoir un point de vue complet et impartial sur la plus importante affaire judiciaire concernant la b.d. en Europe.
Suite à l'édition de la semaine dernière du magazine spécialisé « Livres Hebdo » (nº305, Vendredi 18/9/1998), un article qui a le mérite de faire un rapide tour de terrain, et divers informateurs, il nous est possible de faire un résumé de cette saga.
Tout commence par le lancement de l'hebdomadaire Pilote en 1958, très rapidement racheté par Dargaud. Le rédacteur-en-chef et multi-scénariste René GOSCINNY crée avec le dessinateur Albert UDERZO le personnage d'Astérix le Gaulois.
Ce petit bonhomme rondouillard, malin et chauvin va bientôt devenir la tête de file de l'école française de la b.d. à gros nez. Humour s'adressant aussi bien à petits et grands, mené de main de maître au scénario par René GOSCINNY, qui arrive à toucher tout le monde par son humour, et une qualité sans cesse croissante de dessin, UDERZO s'affirmant dans le style.
Des aventures à l'humour anachronique, parfois sérieusement gaulois et même franchouillard... cette b.d. qui sera le point central de la revue "Pilote", profite du succès de ce dernier. Rapidement, les frontières européennes tombent pour ce village qui résiste si bien à l'envahisseur romain: il est très vite traduit en allemand, flamand, espagnol, italien et anglais.
1966, à peine 7 ans après sa création, Astérix fait la couverture du newsmagazine "l'Express", ses ventes d'albums explose allègrement le cap des 100'000 exemplaires. En 1975, GOSCINNY, UDERZO et MORRIS (dessinateur de « Lucky Luke ») créent un studio d'animation pour produire des longs-métrages de leur séries.
Mais en 1977, René GOSCINNY meurt d'un infarctus lors d'un test cardiaque. Triste ironie ; l'amuseur public nº1 chouchou du tout-Paris fera dans l'humour macabre involontaire!
Néanmoins, fort de quelques scénarii et ébauches d'avance, UDERZO continue sa série. À la suite d'un contentieux avec l'éditeur Georges DARGAUD, il crée les éditions Albert-René, dévolues à ces nouvelles aventures (à partir de l'album « Le Grand Fossé » pour être exact). Le succès est toujours présent, même si UDERZO au scénario se révèle moins talentueux que GOSCINNY. « Astérix » est le best-seller toutes catégories de la littérature francophone, royal sur le « bouclier averne »!
Actuellement vendu à plus de 280 millions d'albums dans le monde, traduit en 77 langues (dont un latin... de cuisine!), le succès est mondial. UDERZO est invité au J.T. de 20h à chaque nouvel album ; le dernier opus, « La galère d'Obélix » eu une première édition de 2½ M de copies en France, 2½ M en Allemagne et 5 M dans le reste du monde...
Le Parc Astérix est le deuxième parc de loisir français en terme de visiteurs et de rentabilité (11 MF de royalties reversé aux éditions Albert-René) et est côté en Bourse depuis un an. L'éditeur perçoit de plus 30 MF en produits dérivés et licensing, dégageant un résultat de 28 MF sur un CA de 145 MF. Le film live « Astérix et Obélix contre César » de Claude Zidix prévu pour l'année prochaine, avec dans les rôles titres Christian CLAVIERIX et Gérard DEPARDIX va être le plus gros budget du cinéma français (275 MF!) et a déjà rapporté 8MF.
Malheureusement, une ombre plane sur ce beau tableau: Deux éditeurs se partageant la même série, c'est trop beau pour ne pas tourner à « la Zizanie »! Le fond du problème concerne la gestion des droits étrangers de la série, les droits d'auteurs donnés au forfait quelque soit le résultat, étant bien souvent amputés par différents frais de gestion, plus ou moins justifiés. Et cela au mépris du Code de la propriété intellectuelle, gérant le droit d'auteur en vigueur en France. Celui-ci stipule que l'auteur doit être rémunéré de manière proportionnelle à son oeuvre, c'est-à-dire au prix du livre et d'autres recettes, sans soustraire pour les frais de représentation plus de 20% de ces droits ... La loi Lang de 1982 qui institue le prix unique du Livre n'est pas là pour conforter les éditeurs dans une pratique plutôt pernicieuse... Résultat des courses, de plus en plus de contrats sur l'exportation de séries françaises sont cassés par les tribunaux depuis 5 ans.
Pour mieux vous faire comprendre le problème, parlons de "Pif Gadget" :
Savez-vous que les auteurs de ladite revue communiste n'ont jamais eu un seul sou sur les albums vendus hors-France ? Les droits mondiaux ont été vendus à la Roumanie, tous les profits sont allés dans la poche du camarade dictateur Ceaucescú! Pendant que des dessinateurs comme Cézard sont morts dans la misère.
De récents procès, notamment Casterman vs Jacques MARTIN ou Glénat vs François BOURGEON, ont créé une jurisprudence, un jugement ayant valeur de loi pour les cas similaires futurs. Depuis 5 ans, les auteurs sont donc de plus souvent gagnants face à leurs éditeurs dans le cas de conflits sur les droits.
Après cette « grande traversée » des dessous de la b.d., revenons à la pomme de la discorde, du temps du « Domaine des Dieux »... Prenez un aspro, et munissez-vous d'un bon Dalloz !
Juillet 1990: UDERZO et Gilberte GOSCINNY, la veuve du scénariste, ont saisi en référé (c'est-à-dire jugement express) le Tribunal de Paris, pour résilier leur contrat avec Dargaud. Ce tribunal commande une expertise sur la gestion des droits étrangers des 24 albums gérés par Dargaud (les premiers de la série).
Deux ans plus tard, ce rapport d'expertise estime que Dargaud a dissimulé une partie des profits réalisés à l'étranger, notamment en Allemagne (« Astérix » se vendant autant chez les Goths que chez les Gaulois), en Angleterre et en Espagne.
Fin 1993: Dargaud est condamné par le Tribunal de Grande Instance de Paris à verser à UDERZO et à la veuve de GOSCINNY 2,5 MF chacun, résiliant les contrats au tort de l'éditeur.
6 mois après, Dargaud fait appel. UDERZO et Anne GOSCINNY (la fille de Gilberte, morte peu auparavant) sont déboutés et condamnés à payer 50 000 F à l'éditeur. UDERZO se pourvoit en cassation, Anne GOSCINNY se désolidarise de la plainte et sera par la suite très proche de Dargaud.
Octobre 1996: La cour de cassation casse le jugement en faveur de Dargaud, constatant que la cour d'appel était peu au courant des droit d'auteurs à l'étranger. L'appel doit donc être rejugé.
9 Septembre 1998: La cour d'appel confirme la première instance. Dargaud perd les droits sur ses 24 « Astérix », et doit payer en dommages et intérêts 5,58 MF à Albert UDERZO.
Le ciel tombe donc sur Dargaud France: Les 24 albums de la série « Astérix » que gérait l'éditeur représentaient 35 % du CA et 80% de marge brute. Rien qu'en France, 1½ M d'albums vendus par an, 60'000 par album, soit 50 MF. Sans compter les traductions, ce qui fait 1500 éditions... Une manne qui permettait de financer d'autres programmes éditoriaux par forcément rentables. Comme la cassation du jugement n'interviendra pas d'ici 2 ans, et qu'elle n'est pas suspensive comme l'appel, Dargaud va devoir se serrer très fortement la ceinture après ce coup de serpe. Cela passera par des plans de licenciement, des arrêts de séries dites "non-vitales", des "recentrages". Bref, une énorme perte de compétitivité pour celui qui est encore le nº1 français. En 1997, le groupe Dargaud (qui possède aussi le Lombard, les éditions Blake&Mortimer, l'éditeur vidéo Citel, différents studios d'animations,...) a dégagé un bénéfice après impôts de 15 MF, pour un CA de 345 MF. Au dernier top hebdomadaire des ventes b.d., 4 de ses titres étaient parmi les 10 plus vendus. Qu'en sera-t-il dans deux ans ? Il y a chance qu'il ne soit plus que l'ombre de lui-même... Juste le souvenir d'une mythique revue b.d., feu-"Pilote", potion magique de la b.d. française.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Après avoir proposé en vain les clés de la maison Dargaud à UDERZO, l'éditeur va donc se pourvoir en cassation ; Anne GOSCINNY fait un procès à Albert UDERZO à propos de la répartition du capital d'Albert-René éditions (20%/80%). C'est « le grand fossé » entre les deux ayants-droits de la série « Astérix » ; Comme seul un commun accord décidera de l'heureux éditeur qui va hériter des « lauriers de César » (chaque album de la série se vend à 60'000 exemplaires par an, une vrai rente!), les « Devins » ont du mal à pronostiquer l'issue de ce « combat des chefs » . UDERZO a déjà fait savoir qu'il ne tient pas que sa propre maison d'édition se l'approprie. Ce qui crée un nouveau problème: Que deviendra Albert-René éditions sans ce catalogue, sachant qu'il perdra à long terme les « Astérix » récents ? Comment vont être renégociés les droits étrangers ? Et enfin, l'éditeur qui aura la série devra avoir les reins suffisamment solides au niveau commercial ?
Bref, cette saga, loin d'être terminée, s'achemine vers le feuilleton financiero-judicio-médiatico-passionnel à rebondissement... Manquerait plus que Jean VAN HAMME nous en fasse une série: « Les maîtres du pinceau »!
Comme dirait l'autre : « Ils sont fous, ces Gaulois ! ». »
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