Notes de direct pour l'émission « Supplément week-end » du samedi 23 septembre 2006.
Un film de David Cronenberg, avec Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris, William Hurt. Disponible en DVD chez "Metropolitan film et vidéo"
Dans une petite ville de l'Indiana, Tom Stall dézingue deux meurtriers en état de légitime défense. Cet acte de bravoure lui vaut les honneurs de la presse, mais aussi la visite inopinée de mafieux patibulaires qui le prennent pour un des leurs, Joey Cusack.
Attention Spoiler ! Le plus intéressant dans les films de David Cronenberg, et c'est surtout flagrant dans des films comme « eXistenZ », « Faux-semblants », et « A history of violence », c'est de les revoir plusieurs fois pour apprécier l'usage des métaphores. En effet, au début de sa carrière, le cinéaste se destinait au métier d'écrivain ; ce n'est pas étonnant qu'il emploie ce procédé littéraire pour livrer des messages ou des indices au spectateur, au détriment d'effets de style visuel propres au cinéma, plus élaborés, mais inadaptés à un certain classicisme de mise en scène, sobre et efficace.
Dans « A history of violence », au deuxième visionnage, il est flagrant de constater à quel point les indices sur la vraie nature de Tom Stall fleurissent avant que la lumière ne soit faite sur son passé. Sa petite fille rêve de monstres, consolée par toute sa famille qui lui dit que ça n'existe pas. C'est le père (Tom) qui accourt en premier, et ses paroles rassurantes sont ensuite confirmées par son fils, pragmatique, qui suggère de laisser la lumière allumée, puis par sa femme, enlaçant sa fille et lui niant l'existence des monstres, comme une allusion au mensonge qu'elle dira plus tard au policier pour protéger son mari. Plus tard, c'est au café de Tom qu'une autre allusion lui est adressée, lorsque l'un de ses employés raconte un cauchemar que sa femme faisait, le prenant pour un tueur. C'est également par l'utilisation des accessoires et des décors, que Cronenberg joue intelligemment avec les indices ou la nature des personnages : Tom répare un véhicule depuis le début du film, métaphore de son ancienne identité, refoulée, à laquelle il a mis un terme, véhicule qui roule à nouveau lorsque Tom / Joey doit retourner dans sa Philadelphie natale pour faire face à son passé.
Il est amusant de constater qu'au contraire de l'essentiel de sa filmographie, ce n'est pas une mutation qu'effectue le personnage central. C n'est qu'un retour. Ou plutôt si, c'est une mutation, mais vers son ancienne identité, il redevient le monstre froid et meurtrier qu'il était autrefois. Ce n'est pas aussi spectaculaire que, disons, « La mouche » ou « Vidéodrome », puisqu'elle a lieu dans le cercle familial, et c'est surtout le regard que lui portent les membres de sa famille qui vont faire de Tom Stall un monstre. D'autant que son acte de bravoure au début du film va affecter le comportement de son fils Jack, souffre-douleur de sa classe qui va envoyer un collègue à l'hôpital à mains nues. Le fils est séduit par les actes de son père, et va l'imiter au sein de son école ; la mutation, le changement d'identité de Tom va contaminer Jack, comme un virus. « A history of violence » s'inscrit donc de manière beaucoup plus flagrante dans la filmo de Cronenberg qu'on aurait pu le croire au premier abord.
Le film se divise en plusieurs parties bien distinctes : la vie de la famille Stall, Joey Cusack démasqué, puis le massacre de Philadelphie. Dans ce dernier segment, l'interprétation de William Hurt (Richie Cusack) vampirise l'écran. Le registre de son personnage se devait d'être dans l'outrance, afin de donner suffisamment de corps au passé de Joey. Richie, piètre mafieux en l'occurrence, sert également d'élément humoristique non négligeable, dégainant à côté, puis enfermé hors de sa propre maison. Dans la bande dessinée de Vince Locke et Bruce Wagner, dont est inspiré le film, Richie, ami d'enfance de Joey, est laissé pour mort durant des années. Dans cette version de l'histoire, Joey n'est pas un ancien mafieux mais un homme ordinaire ayant fui un conflit passé avec la pègre. La violence de la BD fait un peu penser à la manga gore « Berserk » de Kentaro Miura, mais la double personnalité Joey / Tom est absente.
Le commentaire de Cronenberg sur le DVD édité chez Metropolitan est intéressant, mais du fait qu'il a été enregistré juste après sa présentation au festival de Cannes (en 2005), le cinéaste hésite encore à livrer des informations au spectateur, préférant comme à son habitude distiller quelques indices sans aller trop loin. Ses remarques sur le jeu de Mortensen, sur son approche de la double identité du personnage, et sur leurs décisions concernant la façon de dévoiler le passé de Tom sont particulièrement pertinentes, la problématique résidant dans la subtilité des indices, les apparitions de Joey dans la première partie du film, ou les gestuelle propres à Tom et Joey (le cinéaste nous fait d'ailleurs remarquer que Tom change d'accent quand il arrive à Philadelphie). On obtient aussi la confirmation que le tournage de la fantastique scène finale était aussi chargé en émotions que son résultat à l'écran. Le DVD contient également un intéressant making of découpé en chapitres, dévoilant les aspects techniques liés aux prothèses et aux décors, et décortiquent la mise en place du plan-séquence (4 minutes) ouvrant le film (Cronenberg était au départ réticent à l'idée de placer le générique par-dessus ces images, pensant que ça faisait trop "téléfilm").
« A history of violence » est donc un pur film de David Cronenberg. L'histoire d'un monstre devenu un homme ordinaire, puis un héros, et à nouveau un monstre dont il va devoir se purger. En somme, l'histoire d'un bouseux dont le côté meurtrier va faire de lui une star.
3 réactions
1 De Da Scritch - 23/09/2006, 22:19
Thomas, tu reprends ton article, t'as encore oublié de parler du comics de Wagner et Locke traduit en France chez Delcourt. Allez ! hop hop hop
2 De Thomas - 24/09/2006, 01:42
Xavier, tu relis mon article, et cette fois pas en diagonale. Tu remarqueras que j'en parle.
Allez, hop hop hop !!!
3 De El Pibe - 25/09/2006, 12:12
Je crois que l'histoire n'est pas celle d'un passage (de l'humain au monstre) mais plutot celle d 'une coexistence des deux réalités. En gros, nous avons chacun au fond de nous un monstre (le terme est pas approprié je pense) que la société ou la civilité cherchent à cacher. Ce que semble dire Cronenberg, c'est que l'humanité conserve toujours ce résidu de violence archaïque qui ne cherche qu'à percer la surface (d'où la baston du fils). La calme tranquilité initiale n'est qu'un leurre finalement et tout ce qui constitue la société n'est là que pour brimer la pulsion de violence.
Quoi qu'il en soit, ton analyse des métaphores est très pertinente. Je l'ai pas encore revu mais ce qui est sûr, c'est que je n'y avais pas pensé en le voyant, alors merci!