Ce billet est une suite indirecte au billet du 1er Avril analysant l'humour professionnel.

La quatrième édition de Sud Web aura lieu ce week-end à Toulouse. Dans leur besace parmi différents goodies, les festivaliers trouveront des autocollants ; qu'on appelle dans notre jargon technique des stickers.
Note : sticker se prononce sticker mais à l'Américaine : /ˈstɪk.ɚ/. Ça fait plus pro.

La besace de 2013 et son contenu : stickers, badges et quelques achats.

Des bonus qui ont un pouvoir étonnant un fois apposés sur un quelconque gizmo. Pour vous donner l'exemple le plus démonstratif, lors des lightning talks de Paris Web 2013, les évangélistes Microsoft David Catuhe et David Rousset calment les huées avec un geste tout simple : Ils ont montré le dos de leurs tablets Surface. On y voit des autocollants Chrome, Firefox, Opera, Safari et du W3C.

Le dos de la bécane de David Rousset, aujourd'hui. Merci à lui.
Jeu : Trouveras-tu le sticker du navigateur de son employeur ?

Dans mon milieu professionnel, un logo ajouté au dos d'une bécane a une signification bien plus importante que la Tête de Maure, le logo de l'OM ou une marque d'autoradio collé à l'arrière d'une bagnole.

Je l'ai compris que trop tardivement.

Mon adolescence informatique

Je suis réellement devenu développeur professionnel sur le tard. Avant cela, j'étais rédacteur en blagues téléphoniques, producteur tv, manager d'événementiels, régisseur d'une radio associative et dresseur de punks à chien.
Au lycée puis à la fac, j'ai regardé en spectateur la demoscene, à l'époque dans son Âge d'Argent. Cette confrérie de codeurs, graphistes et musiciens qui dépassent les limites théoriques des ordinateurs familiaux à coup d'astuces assembleurs insensées. J'ai même été à deux demo parties régionales, mais faute de possee, j'étais plus dans la catégorie n00b.

On customisait nos ordinateurs familiaux, Commodore Amiga ou Atari ST selon sa chapelle. En général, cela commençait parce qu'à force de les trimballer, on y mettait parfois des coups. Surtout qu'il fallait les trimballer avec leur écran. Des téléviseurs À TUBE !

Au moment où j'écris ces lignes, le Musée des Abattoirs muscle ses équipes.

Je dis ça parce que des jeunes me lisent et ne se rendent pas compte qu'à l'époque, pour présenter une démo, il fallait se trimballer 15kg de verre plombé bien encombrants et trouver une prise électrique pour alimenter le tout. Étaient très prévoyants et fortunés ceux qui avaient à la fois une voiture et un groupe électrogène permettant de braficoter sur un parking de supermarché. En général, l'électronique en tolérait les sautes de courant, c'est dire si les composants d'antan étaient robustes.

Décalcomanies et trous

Donc, se prenant quelques coups pendant les transports, l'ordi héritait d'éraflures et de balafres. On cachait ça avec un petit truc autocollant. Puis un jour, quelqu'un s'amusa à changer l'oscillateur 8 Mhz de son 68k par un 9 Mhz, et troua la coque pour caser l'interrupteur bascule de l'overcloking. Un autre profita des planches de décalcomanies de Warhammer pour remplacer le lettrage de son clavier par des glyphes Eldar. Un autre encore tenta l'usage d'une laque automobile pour changer de la couleur crème standard à l'époque.

Capture d'une police violant allègrement le copyright de Games Workshop.
Gare aux légions de l'Imperator !

Des cas de figure où on est vraiment dans le modding, l'équivalent du tuning pour nos bécanes sans roues.

À l'UPSA (Le user group Amiga de la fac Toulouse Rangueil), le plus beau jacky de nous tous était Zestoon et son Amiga 2000 surgonflé. Son budget cartes d'extension rivalisait le prix d'un Mac d'époque haut de gamme. Ce furieux avait collé derrière la façade où avait sculpté des fentes de ventilation de très puissants flashes photo Cobra, connectés sur la broche RSET du bus. À l'allumage du monstre, le feulement aigu des condos amplifiaient l'impression de puissance. Il valait mieux pas regarder de face son boîtier en cas de reboot, qu'il appelait nuclear boom.

Bref, des trucs d'adolescents.

Ma première sortie entre professionnels

Pouf pouf, revenons à notre décennie.
Je suis donc devenu sur le tard un développeur professionnel. En 2007. Faute de pouvoir facturer à un niveau non-novice, j'ai eu que des PC de bureau, jusqu'au moment où mon activité de freelance m'a forcément obligé à investir dans un ordinateur portable.

C'est aussi sur le tard que je suis arrivé dans l'univers des conférences technologiques.

Pour moi, un PC devait rester le plus immaculé.
Pas forcément par culte de l'objet, mais surtout à cause de la garantie 24 mois du PC. Dans la décennie 2000, je fus souvent témoin de garanties refusées pour cause de logo Intel Inside ou Windows XP Pro recouvert ou détérioré.

J'étais admiratif de ceux qui collent un de ces magnifiques décors sur le dos de leur Macintosh. Pas uniquement par l'habileté du hack graphique, mais parce qu'ils risquent leur peau si jamais leurs pas croisaient la Sainte Inquisition de l'Église de Jobs.
Étonnement, les iPhones furent plus rapidement désacralisées. Sûrement à cause de leur coque moins solides.

Je crus qu'il était plus professionnel pour les clients d'avoir un objet vierge plutôt qu'y afficher quoi que ce soit. Sauf que j'avais oublié que mes clients étaient principalement des web-agencies. Eux, un sticker PHP leur aurait parlé…

En 2010, j'ai été invité à venir m'exprimer avec un panel de développeurs. Pas n'importe où : À la Cantine, invité par Mozilla Europe. Pas avec n'importe qui : des gens dont j'adulais le travail, aussi bien des développeurs de navigateurs que Stéphane Deschamps, les créateurs de Sublime Video,…
Tous avaient bariolé leurs ordinateurs portables de stickers.

Paul Rouget, à l'époque évangéliste Mozilla, et Anthony Ricaud qui contribuait pour Chrome.
Son Mac étant celui de son employeur de l'époque (Skyrock.com), il ne l'a pas décoré.

À l'époque, mon pc portable était un Asus EEE 701 immaculé (il l'est toujours), je n'avais donc pas de support à présenter, sinon au feutre et tableau blanc.

Même pour ses 300€ TTC, j'ai rien collé dessus sinon son ID. Je faisais vraiment cheap.

À ma première présence à une conférence pro, à savoir Sud Web en 2012, on nous avait donné un stock conséquent de stickers.
J'ai eu moins de scrupules à déflorer la carcasse de mon portable tout neuf.

Mon précédent portable (2011 — mai 2013)

Car j'avais compris

Ces autocollants qu'on met sur nos PC ne sont pas de la personnalisation d'engin ou du modding, mais nos lignes de cv, nos récompenses, nos validations de capacités, nos batailles livrées, nos victoires gagnées, nos accomplissements.

Comme les récompenses dans les jeux vidéos

Capture du jeu Bejeweled par SWiLe

Comme les trophées sportifs

Les trophées exposés par la Roosevelt High School de Kent

Comme les badges dans le scoutisme

Insignes des Scouts et Guides de France

Comme les médailles chez les militaires

Sacha Baron Cohen, imitant Charlot, imitant le pire

Et si j'ai déjà des badges de développeur HTML5

« HTML5 Powered with CSS3 / Styling, Multimedia, Performance & Integration, Semantics, and Offline & Storage »

…ils ont l'inconvénient de rester cantonnés au virtuel, et de ne pas avoir de présence physique.

Les règles ne sont pas dites, mais évidentes

On ne va pas décorer un matériel qui ne nous appartienne pas. Si votre ordinateur portable vous est fourni par votre entreprise, il vaut mieux demander l'autorisation avant ; ce qui donne une ouverture supplémentaire de dialogue et de reconnaissance de vos compétences. Votre hiérarchie doit comprendre que vous n'appliquez pas une décoration fantaisie, mais que vous affichez bien vos compétences voire que vous portez haut les couleurs de votre entreprise.

On ne va mettre le sticker d'une conférence que si on y est effectivement allé. Intéressé par ou A réservé son billet pour ne compte pas. Le pire étant de vouloir usurper, prétendre qu'on y était. Le jeu de dupes est très périlleux dans le secteur de l'informatique : Un coup de Lanyrd, de Meetup pourrait dévoiler en très peu de temps une supercherie et totalement vous décrédibiliser. Le retour de bâton peut faire très mal.

On ne va pas mettre le sticker d'une technologie qu'on aime pas ou qu'on a jamais testé. Parce que justement la vision d'un sticker sur AWS, Riak Basho ou Django va forcément faire ouvrir le dialogue sur ces technologies. Mettre un logo parce qu'il est joli alors qu'on n'y connaît rien n'est pas du tout productif ou positif. L'une des rares exception est l'Octocat, mascotte de Github : j'ai vu une artiste l'arborer à la tv (replay), je parie qu'outre les qualités du service, @Nun_ trouve la bestiole très kawaii. Argument totalement imparable de plus asseyant la supériorité technologique face à BitKeeper, Hg, SVN…

On ne va pas mettre un sticker s'il est cheap. Argument qui vaut aussi bien pour le design, que pour ses matières premières. Si le papier ne semble pas solide, il risque de ne pas tenir longtemps au rythme pluri-quotidien où l'on fourre/extirpe sa bécane de sa besace. Si l'encre ne tient pas, votre message s'effacera. S'il prend la poussière et se salit vite, il enlaidira l'ensemble. Par contre, si vous éditez des stickers en vinyle épais et solide, vous aurez nettement plus de chance qu'il soit largement apposé par votre public cible.

On ne met pratiquement jamais de sticker de club sportif ou de parti politique. Même sur mon pc, je ne montre pas directement mes couleurs pirates. Par contre, je vois fréquemment des thèmes comme l'accessibilité, la citoyenneté numérique, l'intégration, la tolérance ou l'écologie. Dans mon entourage La Quadrature du net, le Tetalab, l'Electronic Frontier Foundation et l'April sont représentés avec plus ou moins de discrétion. Signes d'un engagement militant certain et donc de valeurs.

On choisit très soigneusement. La place est très limitée. On voit nettement plus des portables avec 13,3" de diagonale d'écran dans les conférences que des 15". Alain est peut-être l'unique possesseur d'un paquebot 17" dans mon quartier. Mais d'un autre côté, une telle dimension rappelle qu'il est graphiste.

Mon portable actuel

Dialogues

Les stickers ont une propriété particulière dans le domaine du web : marquer ses compétences, montrer son domaine technique et ouvrir un dialogue. Si vous avez un autocollant d'une association d'agilistes, on vous demandera si vous êtes plutôt Scrum ou Kanban. Si vous avez des couleurs issues de conférences hors France, des questions peuvent venir sur vos voyages.

Leur intérêt est étonnant, et je suis sûr qu'en commentaires, vous-même allez parler de la manière dont vous percevez ou être perçus en arborant des stickers sur votre ordinateur.

Mais on peut aller plus loin

Demain, je vous raconterai l'origine et la construction de mon dress-code, celui que je mets pour mes conférences ou pour des sorties occasionnelles comme le Toulouse Game Sh Sud Web qui a lieu à Toulouse le week-end prochain.

Alors, venez échanger, venez grandir et venez costumés !