Ce billet fait partie de la série des emoji dans l'Unicode et a été proposé comme sujet candidat à Sud-Web 2012 :
- Ces smilies chatoyants
- L'alphabet visuel des keitai
- Techniquement si séduisants
- Chacun a sa manière
- Leçons pour le webdesign
2009, alors que l'Unicode pensait avoir recensé tous les alphabets de l'Univers, depuis le Vaï jusqu'à la symbolique électrique, Apple et Google proposaient d'y intégrer les emoji. Des caractères idéographiques qui n'existaient à ce jour que dans les téléphones Japonais, à l'exception des rares téléphones i-mode distribués en Europe.
Mais quelle raison allait mener ces deux sociétaires ennemis de l'Unicode à s'encombr s'entendre sur la standardisation de petits pictos à un usage quasi-commercial ?
La très grande difficulté pour ces fabricants de smartphones à pénétrer un marché très très particulier :
(ces chiffres de ourmobileplanet, notés courant 2011)
Seulement 6% des habitants de l'archipel Nippon ont cédé à l'appel de l'iPhone et de l'Android.
Oh non, encore une bizarrerie Japonaise
J'étais allé au Japon en Octobre 2001, moitié travail, moitié vacances. Ce n'était pas qu'un voyage vers le pays merveilleux des manga (je vous rassure, je ne l'idéalise pas), c'était aussi une étude pratique dans un pays qui avait 6 ans d'avance sur l'Europe en téléphonie mobile : écrans couleurs, appareils photos embarqués d'une résolution de 192×128, lancement de la 3G et de la télévision mobile, mélodie midi personnalisable suivant l'appelant ainsi que la couleur de la diode d'appel, édition des documents Word et Excel.
Ceci est un Nec N22i, un téléphone à la norme Japonaise i-mode adapté pour l'Europe fin 2002. Pour la capture vidéo ci-dessus, on a dû attendre que le clavier hyper-coloré s'éteigne. À cette époque, Nokia déclinait à tour de bras le 3210 et le top des “geeks” en Europe était le catastrophique Ericsson T68i.
Je bricolais déjà des sites “optimisés” i-mode et… excusez-moi… je viens de recevoir un courrier d'un de mes lecteurs :
Pourquoi je suis surpris ? Tu parles encore d'un truc de Japonais complètement barré.
Xavier, 37 ans
Eh bien, mon cher Xavier, 37 ans, cela n'a rien d'étonnant que j'en parle en effet. Oui, je sais, je suis prévisible. Mais je m'y intéresse depuis 1999 et c'était difficile de laisser d'autres en parler.
- Les emoji connaissent une actualité immédiate par leur entrée officielle en Unicode le mois dernier,
- ils sont nés dans la téléphonie japonaise que je suis techniquement pour avoir bricolé des sites i-mode dès 2000,
- j'ai co-œuvré pour le lancement de l'industrie des sonneries de portables et logos monochromes 78×14 ce qui fut un purgatoire,
- ils parlent d'une culture graphique hérités de la mangasse, que je chronique depuis pfou 20 ans,
- ils vont donc forcément passionner les fanatiques de colleurs de smileys dans les e-mails, tout en les standardisant,
- c'est un des sujets que j'ai proposé à Sud Web
Maintenant, d'après toi, est-ce si éloigné de notre propre culture ? Voici ce qui est en vente au Musée de l'Image, à Angoulême pendant le festival de la BD :
Design © Cité de l'Image
Donc, cher lecteur, tu découvres que cette symbolique existe aussi dans notre culture Franco-Belge !
Eh mais... c'est pas moi qui me suis répondu, là ?
Le pays du 携帯電話 levant
Le Japon est un pays extrêmement en pointe sur la téléphonie mobile, au point que pour nombre de foyers, le mobile supplante l'ordinateur personnel depuis 10 ans. Lain est une petite nerd hardcore.
Pensez que c'est un marché où…
- tous les portables avaient une adresse e-mail dès 1999,
- tous les portables vendus avaient une fonction photo dès 2001,
- l'immense majorité des téléphones sont à clapet (on dit clamshell),
- on utilise le paiement par NFC depuis près d'une décennie, ne serait-ce que pour le métro ou les distributeurs de boissons,
- les téléphones reçoivent une norme de télé mobile exclusive à l'archipel (le 1Seg),
- tous les mobiles sont dotés de fonctions d'alertes civiles,
- l'écosystème web mobile y est très très très vivace,
- les QR-code y sont populaires depuis 2003
- chaque opérateur a des particularités technologiques au point qu'ils étaient encore incompatibles entre eux en 2004.
Ceci est un modèle à clapet :
Un élément important de la culture keitai, ce sont tous ces caractères semi-graphiques appelés emoji. On verra au chapitre suivant pourquoi ne pas en disposer y est un handicap.
Les nouveaux rois du mobile Apple et Google ne jurent que par les standards. À la fois en terme d'image public (don't be Microsoft), mais aussi de commodité technologique. Bien sûr, très rapidement dans leurs écosystèmes logiciels respectifs, des applications sont apparues pour intégrer les emoji dans les e-mails. Mais ces applications sont forcément imparfaites, ou bricolent trop le système d'exploitation du mobile pour rester stables.
Donc, même s'ils sont des concurrents acharnés qui s'envoient une multitude de procès dans la tronche, ces deux constructeurs avaient besoin d'un consensus pour faire entrer les emoji dans une norme quelconque. Et la plus évidente est celle qui dicte l'apparition de nouveaux glyphes dans vos polices de caractères, à savoir l'Unicode (si vous êtes allergiques à l'Anglais, d'la Wikipédia vous rencarde en Français).
Pour préparer leur écosystème à autant de pixels colorés, Apple a introduit les emoji dans ses iPhone vendus au Japon et vous pouvez les activer dans un iPhone non Japonais.
Google de son côté, a ouvert un site technique sur le sujet. Et évidemment tout ce beau monde a travaillé sur le sujet au sein de la Unicode consortium.
De la, il en a fallut des meetings et des documents de travail pour unifier le tout.
Alors certes, un certain nombre de ces caractères ressemble à des Dingbats ou à des symboles déjà présents parmi les 100 000 caractères déjà inscrits dans le registre Unicode. Au point que certains s'en servent pour dessiner avec un mock-up d'une interface logicielle. Mais il manquait des symboles archi-spécifiques et d'autres caractéristiques particulières…
Les emoji ont été intégrés dans la version 6.1 du standard Unicode, publiée en Février 2012 et si vous n'êtes que novice dans ce domaine, vous ne pouvez pas imaginer combien le chemin fut long, pénible et compliqué.
つづく , comme ils écrivent « à suivre »
Prochain épisode : L'alphabet visuel des keitai
Pour info, ce billet a été commencé en 2009 pour le premier draft d'Apple et Google.
Milles remerciements à Laurent et Rieko Nespoulous pour leur chaleureux accueil il y a 10 ans, à Frédéric Boilet pour qui Tōkyō est un jardin, à mes contacts pros et du groupe Index au Japon, aux éditeurs Japonais avec qui j'ai eu l'honneur d'échanger, à Dominique Vérêt et à Erwan Leverger pour leur travail visionnaire et à l'équipe de Sud-Web pour m'avoir donné envie d'exhumer des limbes ce brouillon. Et à mon concurrent et néanmoins ami Rafy de TGS événements, il sait pourquoi.
Je renouvelle mes pensées à mes contacts professionnels et amicaux sur place, un an après l'épreuve qu'ils ont douloureusement vécue.