Un film de David Lynch, avec Laura Dern, Justin Theroux, Jeremy Irons.

Nikki Grace est mariée. Elle habite dans une somptueuse maison, avec domestique et tout le tremblement. Elle est actrice. Au cours du tournage d'un film, elle apprend avec stupeur qu'il s'agit d'un remake d'un film polonais jamais terminé, à cause de la mort mystérieuse des deux acteurs principaux. Dés cet instant, le spectateur va se retrouver plongé dans la schyzophrénie de Nikki, où son identité d'actrice va se confondre avec celle de son personnage, puis de celui du film polonais.

Après avoir exploré le rêve hollywoodien dans son chef d'oeuvre « Mulholland Drive », Lynch s'intéresse maintenant au principe du remake. Sauf qu'au lieu de jouer intelligemment avec une énième variation sur le dédoublement de personnalités, il s'enterre dans une très longue parodie de son propre univers. On a surtout l'impression qu'il a cherché un prétexte pour retravailler avec Laura Dern (« Blue velvet », « Sailor et Lula »), ayant brodé un semblant de fil rouge pour justifier cette collaboration. Plombé par un exécrable rendu DV, le réalisateur s'auto-carricature. Et l'excuse du film-somme (prétexte fréquemment utilisé par un cinéaste en mal de renouvellement pour justifier l'existence d'un nouvel opus, et s'attirer ainsi une avalanche de récompenses) ne tient même pas, car « Mulholland Drive » a déjà tenu ce rôle. Tout part en vrille dans son nouveau film : les scènes avec l'inévitable sorcière font sourire malgré le plan ultra-serré sur le visage de l'actrice, les scènes de théâtre avec des lapins sont d'un pathétique à pleurer (la partie théâtrale de « Mulholland Drive » était autrement plus envoutante), les plans de l'actrice désemparée avec des éclairs en toile de fond sont désormais un énorme cliché, et les multiples caméos sont d'un gratuit à pleurer tant les passages des acteurs en question sont oubliables.

Là où « Mulholland Drive » angoissait et prenait le spectateur à la gorge, où « Lost Highway » envoûtait par son érotisme et son usage des codes du polar dans un délire jubilatoire, « INLAND EMPIRE » (Lynch a exigé que son titre soit écrit en capitales) lasse assez vite et ne parvient pas à passionner. L'utilisation de la comédie est ici absent, et manque ainsi une bouée de sauvetage pour repêcher un spectateur perdu dans les limbes de l'ennui. On est assommé par ce sommet de gratuité honteuse, où chaque clin d'oeil, pseudo-renvoi d'une scène à l'autre, semble avoir été rajouté à la dernière minute (Lynch a tourné sans scénario) pour donner un semblant de cohérence à ce qui demeure la seule tâche d'une carrière quasiment sans faille, un foutage de gueule outrancier. On ressort indigné de tant de prétention et de n'importe quoi, trahi par cet expérimentateur de génie dont on espère le passage à vide bref.

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