Supplément Week-End, le magazine des cultures geeks Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 30 Octobre 2010.

Voila typiquement un immense classique que le besoin de faire découvrir à un public Français amène à un repoussoir. Il y a quelques années a été traduite la manga « Versailles no bara », plus connu sous le nom du dessin-animé « Lady Oscar ». Eh ben, malheureusement, l'éditeur qui a traduit ce classique n'a nullement traduit le titre de l'œuvre, ce qui fait que déjà, bien des acheteurs potentiels sont passés à côté, mais en plus, la BD fut traduite en deux tomes de 900 pages chacun. Quand on est face à de tels pavés, ça n'aide pas vraiment à l'achat.
Pour « Sabu & Ichi », si Kana voulait saboter sa sortie, ils ne pouvaient faire mieux : 1136 pages pour ce premier tome, et sur la couverture, un « 01 », qui laisse suggérer qu'il vous faudra plus d'un mètre de large pour les dix premiers tomes. Les apparences sont heureusement trompeuses, puisqu'il n'y en aura que 4 et le gros avantage de ces pavés, cela reste un prix franchement modéré vu la quantité : 30 € par tome.

Alors pour commencer, parlons de l'auteur, dessinateur Japonais trop méconnu sous nos longitudes, disparu en 1998, et qui a eu ses heures de gloire dans les années 1960s/1970s. Il fait partie de la génération formée par Osamu Tezuka, et avait notamment installé par ses séries certaines conventions, et a inventé pour la télévision le concept de “super sentaï” avec « Kamen Rider ». Et France, nous avons déjà pu apprécier « Cyborg 009 » et plus récemment sa biographie d'« Hokusai ». Dusport et Ultimatom m'en seront témoins, deux très bonnes séries. Je suis encore plus fan de l'auteur parce que parmi ses œuvres, on compte « San Ku Kaï », adaptée en série TV avec acteurs (et qui a profité de sa sortie quelques mois juste après le premier épisode de « Star Wars »), mais je parle d'une époque que les jeunes de moins de 35 ans ne peuvent en connaître le ridicule.

Mais « Sabu & Ichi » n'est pas une œuvre fantastique ou de science-fiction. C'est un roman en costume d'époque, celle du Japon du début du XIXème siècle. L'époque du Shōgunat tout puissant, mais aussi les limites de la politique d'autarcie “sakoku” : des traditions fortes, un système féodal, une crise monétaire intérieure, une société qui évolue peu, des sciences qui ne profitent pas de l'immense progression de la sphère occidentale, ayant restreint aux Européens l'accès de l'archipel qu'à une toute petite île.

Sabu est un jeune, il semble avoir 15 ans au début de l'histoire, qui exerce en tant que shitappiki, une sorte de policier municipal privé, qui maintient l'ordre. Mais son intelligence et son intuition font qu'il s'est fait remarqué sur sa manière de résoudre des enquêtes difficiles. Il manie avec beaucoup de dextérité la corde lestée.
Ichi est un masseur aveugle, aux sens aiguisés et à l'intelligence affutée, maître de l'usage de la pierre de Go comme arme de combat, et expert en Iaidō (l'art de tuer en dégainant son épée).

Sabu et Ichi sont donc deux enquêteurs privés, payés par le dōshin, le fonctionnaire de police chargé de la paix du quartier. Il faut dire que ce dernier est atteint d'une goutte, et qu'il peut très difficilement se mouvoir pendant certaines saisons. Nos deux héros vont donc résoudre à sa place et sous son mandat des affaires de voisinage, des meurtres sordides, des chantages, des frasques de samouraïs bourrés... Dans Edō, il s'en passe des choses !

Les histoires sont solides, l'intrigue est rythmée entre les scènes d'actions et les parties de go ou d'échecs japonais entre Ici et Sabu devisant et réfléchissant à leurs enquêtes. Les combats sont dynamiques, époustouflants de mises en scène. Chaque enquête fait environ une soixantaine de pages, et sont captivantes. Et quand le lecteur commence à être bien dans le bain, il va découvrir des fêlures... Les héros eux aussi ont leur part d'ombre. La série en devient encore plus intéressante.

Il faut dire aussi qu'en 1966, on est en plein dans la période d'or du film de chambara, les films de samouraï seront applaudis à Cannes et influenceront les réalisateurs italiens qui préparaient la sauce de leurs westerns. Il était logique qu'une BD sorte au même niveau époustouflant que ces films. « Sabu & Ichi » est un classique, dans le sens qu'il a très bien veillit, que cette œuvre fleuve nous surprend par sa fraîcheur et ses idées. Bref, Shōtarō IshiNoMori est vraiment trop méconnu, et il faut vraiment que vous fassiez l'effort d'entrer dans cet intimidant pavé : Vous allez l'adorer.