Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 1er Mars 2008.
Imaginez que l'Amérique aille un cran largement au-dessus dans sa paranoïa sécuritaire, jusqu'au Fascisme. Les agences officielles et les polices (d'État comme Municipales) seront obligées de céder le pas aux milices mises en place par le Président, et bien évidemment constituées de sympathisants souhaitant mettre un bon ordre expéditif au bordel laissé par les prédécesseurs. L'AAPC, des sortes d'unités d'interventions spéciales, brutes épaisses carapacées comme des joueurs de Football Américain, et en liaison permanente avec les cellules spéciales de Washington.
L'escouade d'intervention Panthers vient d'en découdre avec une ombre bizarre. Un espèce de machin à capuche, qui s'amuse à sauter de toit en toit. Après plusieurs altercations, quelques gouttes de sang vont permettre d'“identifier” cet individu aux activités terroristes.
Un double zéro : Zéro fichier, zéro information. Une singularité, une incongruité dans un État où tout est fiché, suivi, tracé, répertorié. Une impossibilité. Serait-ce dont LE Batman de Gotham, cette légende urbaine dont parlait ces tarés qui finissaient à l'asile ?
Est-ce que cela existerait ? En 2039 ? Dans Gotham ? En Amérique ?
Le Batman de Gotham intrigue. Jusque au commissaire Gordon du GCPD, petit fils du mythique commissaire qui était arrivé à juguler une vague criminelle sans précédent au milieu du XXème siècle. Seulement, Gordon ne peut enquêter comme il le souhaite, tant que ces Panthers de l'AAPC lui bloquent le passage à coups de papiers officiels.
Dix ans après son « Club de la fin du siècle » (Béthy éditions) où il montrait des jeunes désabusés par la société, Paul Pope s'impose une fois de plus comme un auteur complet d'exception, scénariste et dessinateur capable d'amener le graphic novel à un haut niveau tout en restant accessible. Étonnement, en ayant lu ses autres bd traduites, je ne m'attendais pas à ce qu'il reprenne en auteur complet un héros capé qui a tant connu d'histoires. Malgré le défi (reprendre un justicier iconique dans une année future où il fêtera symboliquement son siècle), il arrive à nous estomaquer, à nous faire redécouvrir Batman, dans un monde totalement réinventé, puisqu'aucun superméchant, aucun détraqué notoire n'est présent. L'ennemi de Batman est l'Ordre !
Non, Batman est seul, accuse son âge, n'a plus les mêmes moyens qu'avant, bref complètement en dehors de son élément. Et pourtant son Batman étonne, impressionne, nous captive littéralement. Car ce Batman aux abois prend des allures de bête traquée, dans des situations totalement incertaines, à dix milles lieues du Bruce Wayne au sang froid imperturbable, au sens de la justice hypertrophié et surtout aux moyens financiers quasi-illimités (Forbes magazine classe Bruce Wayne 7ème fortune modiale des personnages fictifs).
C'est quand même marrant de voir un tenant de la justice fasciste et expéditive se retrouver victime de son propre mode d'action...
En réduisant la carrure de Bruce Wayne et en le dessinant comme bête fauve traquée, le trait jeté, extrêmement nerveux, de Paul Pope, renforce le malaise de l'univers qu'il a planté. Et le scénario laisse bien peu de temps morts au lecteur pour qu'il reprenne son souffle.
C'est bizarrement les mini-séries des années 1980s qui ont redéfini Batman comme une franchise adulte, et qui ont complètement occulté le héros de l'Âge d'Or et le ringard de l'Âge d'Argent. « Dark Knight returns », « Killing Joke » et « Year One », le reboot (retour aux origines) par Frank Miller. C'est par opposition à cette dernière, où l'on voyait arriver (le grand-père) Gordon pas encore commissaire et Bruce Wayne, jeune héritier empli d'idéal à l'innocence brisée, que se place le « Batman année 100 » de Paul Pope.
À 100 ans, Batman aura vraiment une santé étonnante... pour un humain normal !