Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 19 Novembre 2005.
Ça faisait des années qu'il en rêvait, Jean-David Morvan : scénariser pour un mangaka. Sauf que là, l'album est presque dans les règles Françaises. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est une énorme surprise. Un crossover plus que talentueux qui, une fois de plus, bouscule complètement le genre cyberpunk.
Kumiko est une jeune fille qui a 4 frères et sœurs et une robot-nounou, qui vit dans un cadre aseptisé, robotisé, coquet, douillet, gnangnan. Son père est ambassadeur, sa mère, discrète épouse japonaise dans la norme de cette société. Et la nuit, comme tous les enfants de son rang, Kumiko est lobotomisée dans des rêves dignes d'une licence Disney : Tout les soirs, elle s'endort et sa console Dreamweaver® (ça va pas faire plaisir à Macromedia/Adobe, celle-là !) la propage dans un monde de dessins-animés. L'occasion de réviser quelques leçons et de vivre des cauchemars politiquement corrects. Mhhh... Mais évidemment, dans les récrées d'écoles primaires de la très haute société, traîne quand même des choses prohibées. Nan, pas de la drogue bande de dépravés, juste un logiciel. « Le Petit Monde ». Il fait fureur chez les enfants bien-nantis à cause de son système de protection anti-parental et de l'odeur sulfureuse que prend tout d'un coup leur Dreamweaver®.
Le Petit Monde, c'est un bidonville, une favela en contrebas de la capitale. C'est là que se démène Piedra pour vivre, survivre... et au début de l'histoire, pour sortir vivant d'une embuscade menée par des motards qui se paient une partie de chasse. Bref, une lutte violente, sauvage, sanguinolente. Piedra est un jeune garçon camé qui ne peut compter que sur lui-même et entretient par la drogue sa nymphette fantasmée d'une enseigne de magasin. Le problème, c'est que
- - Piedra est aussi le personnage principal d'une cartouche pirate appelé « Le Petit Monde » où il se fait Peter Pan pour les gosses de riches ;
- - et en fuyant les loubards, il tombe pas loin de la somptueuse demeure de Kumiko.
Le choc des cultures va être brutal... et pas que dans le scénario ! D'abord le graphisme de Toru Terada. C'est sa première BD, après une carrière dans l'illustration publicitaire. D'où son style arty-childish, rond limite kawaii et s'il vous plaît en couleurs acidulées digne d'une J-Pop idoru. Terada impose aussi à Morvan de s'approcher d'une écriture largement plus manga : Beaucoup moins d'ellipse, un tempo largement plus long.
C'est proprement étonnant. On est quelque part entre Japon et France, tiraillé entre 7 heures de décalage horaire, par un jetlag entre une bd couleurs artisanale de 50 pages et une production quasi industrielle de 192. Et surtout, l'histoire est amorale aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est. C'est peut-être le chaînon manquant entre nos deux mondes, ça mérite d'être découvert, et surtout de ne pas fuir une couverture qui n'est... vraiment pas belle.