Un film de Michael Mann, avec Colin Farrell, Jamie Foxx, Gong Li
Les agents des stups Sonny et Ricardo sont en mission d'infiltration pour démanteler un réseau de trafic de drogue. Au cours des missions qu'ils doivent réussir pour leurs commanditaires, ils vont devoir reconstituer l'organigramme du cartel, soigner leurs relations avec les hommes-clés, et accessoirement, pour Sonny, tomber amoureux de la compagne sino-cubaine du Big Boss.
L'important, dans « Miami Vice », n'est pas le scénario, l'intitulé de la mission, ou l'arrestation de X ou Y. C'est en cela que ce nouveau film de Mann est beaucoup plus qu'un excellent blockbuster estival. Par sa mise en scène s'évertuant à ralentir des moments a priori anodins, on assiste à un polar "ressenti", par opposition au monumental, mais froid, « Heat » (1995).
Clôturant une officieuse trilogie comprenant aussi « Heat » et « Collateral », Mann aura définitivement modifié de manière indélébile la façon de filmer l'un des genres les plus codifiés : le thriller urbain. En effet, dés « Heat », nos yeux ébahis peuvent déjà remarquer que les flics et les truands ne vivotent pas dans les rues habituelles : pas de bar glauque, pas de boîte à strip teases, pas de rue couverte de papelards, pas de poursuite en voiture, ni d'explosion outrancière ponctuant une course de longue haleine. Exit aussi les indics dégueus, les flic en bisbille avec une hiérarchie gueulante, les putes au grand coeur ou les épouses prises en otage. Le film montre bien sûr des flics de gros calibre pourchassant le grand banditisme, mais quand même. A la place, on a plutôt, au choix : un flic appréciant sa proie, allant jusqu'à le suivre sous les ponts sur le périf, un indic fraîchement arrivé de l'aéroport, en veste impeccable, des grands appartements vides donnant sur l'océan, une fusillade post-banque cambriolée au grand jour, etc. Déjà, Mann, avec sa caméra traditionnelle, souhaite voir vivoter sa faune dans un Los Angeles différent.
Mais c'est avec « Collateral » que Mann, via la caméra HD, va pousser l'expérimentation encore plus loin. Profitant des capacités du numérique pour restituer une profusion de détails nocturnes, ce film avec Tom Cruise et déjà Jamie Foxx, se déroule justement durant une seule nuit. Créant ainsi une atmosphère proche de la série « 24 » (les scènes se passant à l'aube sont étonnantes), la chasse du tueur (Cruise) dans les bureaux du procureur, ou le gunfight final dans le métro (tourné justement avec un fond vert, de manière à incruster un paysage adéquat comme un arbre mort pour la fin d'un personnage important) n'auraient pu donner tant de détails à l'image, tant de subtilités et informations visuelles dans les décors. On ne s'étonnera donc pas que, profitant des atmosphères irréelles obtenues (irréelles car jamais vues auparavant), Mann filmera certaines scènes plutôt contemplatives comme l'apparition d'un loup solitaire au passage piétons. De plus, les personnages (à part le chauffeur de taxi (Foxx), seul représentant d'une vie "normale") n'agissent pas comme ailleurs : les truands se refilent leur liste noire sur clé USB (procédé qu'on retrouve dans « Miami Vice »), on pose des questions sur le jazz au futur refroidi, l'otage présente son tueur de client à sa mère hospitalisée, on ne manque aucun détail du nettoiement de l'intérieur du taxi par son chauffeur. Cette peinture urbaine est avant tout un prétexte pour montrer des personnages évoluant dans un autres univers, les truands étant, au contraire de ceux de « Heat » (on s'identifiait à leur vie, leurs problèmes d'argent et de couple), semblables à des étrangers, sans humanité, tels des fantômes s'évanouissant au retour du soleil.
Mais alors que « Heat » nous montrait un flic et un truand s'appréciant, comme deux faces d'une même médaille, et finissant liés par une poignée de main symbolique, l'un n'étant que ce qu'il poursuit et l'autre ne sachant qu'échapper aux flics, mais finissant seuls, quand « Collateral » nous racontait la nuit d'une prise d'otage intimiste, ou le dominé finissait par s'émanciper, développant certains tics du tueur, « Miami Vice » n'est avant tout qu'une histoire d'amour, la paire de départ (après la chasse (« Heat »), puis le rapport de force (« Collateral »), les deux protagonistes sont cette fois partenaires) devenant deux paires distinctes (Crocket-Isabella, et Rico-Trudy), dans un film à l'action plus sensuelle. Mann se fout de l'enquête, ce qu'il veut montrer, ce sont les couples à l'épreuve des missions d'infiltration, couple existant avant la mission (Rico-Trudy), ou formé durant les négociations (Sonny-Isabella) et voué à disparaître dés que la fausse identité aura sauté. La sensualité du film explose à la figure grâce à celles des interprètes (Isabella / Gong Li devenant même le pivot central), mais aussi par un focus sur des détails infimes, comme le froissement d'un sac préparé pour une mission vers laquelle les deux flics s'en vont au petit matin, la caresse d'une main sur un gros plan du dos de Jamie Foxx, ou encore les attitudes (une ceinture de sécurité enclenchée, une veste enlevée et posée derrière le siège) de Sonny et Isabella dans le hors-bord en route pour La Havane.
S'il faut chercher une filiation à « Miami Vice », elle est avec les précédents films de Mann plutôt qu'avec la série originelle (créée par Anthony Yerkovitch et produite par le même Mann en 1984). Le réalisateur se focalise sur une poignée de personnages plutôt restreints par rapport à « Heat », grande fresque policière. Les policiers de l'équipe de Rico et Sonny sont semblables à ceux de ce film, mais à part les quatre protagonistes, les passés/caractères/états d'âmes des autres personnages sont moins fouillés. Ce film est un thriller sensuel, les personnages satellites n'ont pas à monopoliser notre attention.
Enfin, une mention spéciale pour l'acteur Barry Shabaka Henley (le lieutenant Castillo), ex truand-amateur de jazz dans « Collateral », et toujours impeccable, choisi pour la consistance physique qu'il pouvait apporter dans un film où la hiérarchie derrière les deux agents infiltrés devait rappeler une forme de paternalisme bienveillant.
(voir aussi tous les articles cinéma de Thomas).
3 réactions
1 De Thomas - 01/09/2006, 23:33
Oui, je sais, le paragraphe sur "Miami Vice" était relativement court, mais je voulais surtout parler de la trilogie dans son ensemble. Na !
2 De El Pibe - 07/09/2006, 16:51
Je suis d'accord avec ton analyse notamment sur l'utilisation de la caméra Dv qui implique plus de réalisme (la profusion des détails) tout en permettant d'hyperstyliser cete même réalité au point d'en donner au final une vision...bien peu réaliste! J'ai bien aimé Miami Vice, moins fort que Colateral mais qui conserve des niveaux de lecture multiples et souvent passionants.
3 De Thomas - 10/09/2006, 17:20
C'est clair que la HD renforce l'originalité des décors que Mann recherche dans ses repérages, et rend certaines ambiances "irréelles". Je pense que son obsession, c'est éviter le classicisme.