Ça faisait des années que les financiers en parlaient, que les professionnels de l'audiovisuel y songeaient en rigolant, que les ayant-droits du ciné et du foot en cauchemardaient...

La paix des braves

Finie les rumeurs, les bravades et les promos spéciales. TPS préfère se rendre dans l'humilité d'un rachat plutôt que périr dans une crise financière risquant de couler ses actionnaires. [1]

La raison ? Les précédents dans les pays limitrophes où Canal+ (du temps glorieusement pitoyable de la gestion de J6M) se battait face à la riposte locale ? même pas... Le coût exorbitant du foot (que les Guignols de l'Info parodient régulièrement en se moquant de leur propre diffuseur...) ? Pas sûr. Le départ demi-loupé de la TNT ? Non, sans rire...

Le Monde a pointé la bonne réponse (àmha) :
C'est le décollage fulgurant de la TVoIP, la télévision par ADSL. Une fois que Free a ouvert la boîte, la concurrence mièvre des cablo-opérateurs changea pour celle des FAI de plus en plus agressifs. Avec des systèmes de paiement instantanés, une sécurisation des tuyaux (pas de branchement pirate possible, de cassage de cryptage, tout est géré côté standard téléphonique), des projets innovants comme la VOD (je viens de tester le service CanalPlay lancé ce soir chez Free, c'est bluffant, rien à voir avec Multivision) et une réelle diffusion alternative pour toutes les petites chaînes qui co-existent avec ceux des grands groupes (les chaînes AB, Euronews, MTV, les locales, les étrangères, etc... etc... etc...), les deux opérateurs satellites se sont fait ratiboiser. Ils durent vite proposer une offre (trop réduite) vers ces supports, histoire de suivre les nouveaux clients.

Une clientèle qui avait été trop souvent délaissée : Ceux qui ne peuvent pas installer d'antenne satellite sur le toit, ou qui auraient préférer s'en passer... et à qui le fournisseur internet propose gratuitement et sans surcoût de récepteur des chaînes tv à foison.

Un boulet en pleine lucarne

Donc, si mariage/fusion/rachat/dissolution doit avoir lieu, il faut que tout soit consommé pour Juin 2006. À cause des dates buttoirs :

  1. Le lancement de la TNT payante
  2. La coupe du monde de football
  3. Le contrat de location des satellites
  4. Les contrats avec les studios cinéma
  1. La TNT payante.
    Souhaitant accélérer le déploiement de la TNT, le gouvernement va vouloir proposer les programmes de la TNT en clair par satellite dans les zones d'ombres, ce qui permettra de réduire un plan de fréquence hertzien empirique depuis les années 1970s. Une aubaine pour démarcher le futur bouquet, puisque l'antenne sera déjà positionnée... Mais qui pourrait être dangereux car proposant une réelle alternative gratuite. Comme la TNT payante doit elle aussi être bientôt lancée, cela fera un mini-bouquet concurrent contenant la plupart des chaînes phares du grand bouquet.
    Cela peut néanmoins devenir un bon coup marketing.
  2. La coupe du monde de foot.
    Ce n'est pas rien. C'est cette échéance qui justifie que cette chronique soit en rubrique “gizmo”. Pourquoi ? Parce qu'historiquement, les grands évènements sportifs comme les J.O. et les Mundials do foutcheboll furent propices à la vente d'écrans tv de luxe. Le lancement du SECAM ? Grenoble, 1968. La stéréo ? Los Angeles, 1984. Le D2 Mac (ok, mauvais exemple) et la réception satellite ? Albertville, 1992. Le numérique ? Nagano, 1998...
    TF1 avait tout tenté pour retarder la TNT en proposant d'utiliser un format non-finalisé, le MPEG&nbs;4. Revers de la médaille, TF1 et M6 promettent la diffusion de la coupe de foot d'Allemagne en format HD. Ce qui n'est techniquement et juridiquement possible que par satellite. Et tous ceux qui vont acheter une télévision dernier-modèle-super-plat-son-de-fou-résolution-cinéma vont devoir refaire en conséquence leur installation satellite, pour un décodeur dernier cri, dont la location permet une jolie marge à long-terme ; Cela veut dire :
    • créer un nouveau chipset. Bon, c'est quasi fini. Quasi parce que le MPEG4 n'étant pas encore une norme figée dans le marbre, faut pas trop s'engager en cas d'incompatibilités futures susceptibles de planter un parc de plusieurs millions de terminaux...
    • choisir le cryptage. Cette fois-ci, Rupert “Evil” Murdoch ne sera plus là pour payer des crackers israéliens pour écouler de la clé pirate par milliers dans Barbès. Zapons.
    • concevoir son OS. Canal+ avait sa propre antenne de développement, qui a lamentablement échoué pour garder la compatibilité entre Pilotime et le récepteur de base vieux de 10 ans. TPS a choisi OpenTV, une solution logicielle plus récente, plus évoluée, mais demandant une puissance supplémentaire dans le chipset et donc un coût supérieur. La loi de Moore va aider... Mais reste un gros souci : une équipe de développement externe dont on reste tributaire. Un choix prudent qui va perdurer 10 années.
    • créer son interface. Même si elle peut être mise à jour par téléchargement (ce qui n'a jamais été tenté à grande échelle sur le satellite, au contraire de l'ADSL comme Free qui essuie de temps en temps des loupés), il faudra vite la concevoir et prévoir ce que l'on va garder comme services.
  3. La position satellite.
    Cela implique de choisir quelle position satellitaire choisir. Astra (celui de Canalsat), cher, de moindre puissance et aux capacités qui se saturent de plus en plus ?
    Eutelsat/Hotbird (celui de TPS), bien moins occupé, moins cher, mais avec deux fois moins d'audience et arrosant largement plusieurs pays qui ne peuvent souscrire, et donc demandeuse d'abonnement pirates ?
    Ceux qui vont débourser une fortune pour une installation HD verraient d'un mauvais œil devoir repayer le passage de l'installateur pour repointer leur antenne. Et le loueur de fréquence devoir reprogrammer les répétiteurs de son coûteux satellite pour un client qui va finalement s'installer chez le concurrent.
    Et le gouvernement, qui veut une reprise gratuite de la TNT par satellite va en faire... une affaire d'État.
  4. Les contrats avec les ayants-droits de catalogues cinéma
    Ces contrats sont pluri-annuels, et sont déjà sérieusement verrouillés. Leur renouvellement va entraîner une déflation vertigineuse de ceux-ci, puisque Canal et TPS ne se feront plus la guerre. Mais dans ces contrats vont arriver la présence des chaînes “maisons”. Universal, Sony, Fox et les autres studios souhaitent implanter en France leurs chaînes spécialisées, en coupant l'herbe sous le pied des canaux existants en France. Avantage pour ces déclinaisons, elles sont bien souvent basées en Angleterre (Fox Life est en Italie), donc ne devant que se déclarer au CSA, et non soumises aux quotas de diffusions d'œuvres Françaises. Ça va encore plus écrémer dans les chaînes existantes.

On vire les débris, on écrase les prix petits

Car, question existentielle pour tout un secteur, quid des chaînes en trop ? On en est à près de 20 chaînes jeunesse, une dizaine de chaînes infos, une quasi trentaine de chaînes musicales et autant en cinéma. Qui va sacrifier qui ? Et surtout que vont devenir les chaînes liés à des petits groupes (comme AB) ou des indépendants ? Leur maigre reversement dégraissé, une moins bonne numérotation, voire un chantage à la position (« Il nous faut une compensation financière pour ton référencement dans notre plan de numérotation. T'alignes ou tu pars stagner canal 400 et quelques ») et évidement une part du gâteau publicitaire de plus en plus réduit...

La question est aussi cornélienne pour les actionnaires : Canal+ est concurrencée sur le cinéma et un peu sur le foot, TF1 qui prenait 40% d'audience et 50% du marché publicitaire (situation inédite en Europe), M6 qui avait du mal à percer en hertzien et se fait sucrer par ses propres mini-généralistes... Et puis, les chaînes de complément, c'est aussi inviter d'autres larrons : Lagardère Active, le groupe AB, Viacom MTV Networks, Turner...

10 années de luttes acharnées vaudront bien de méchantes mesquineries et des crocs-en-jambe dans les escaliers.

Reste une dernière inconnue : le nom de l'entité.

Euh, finalement : non, on s'en fout.


[1] : Une situation vécue dans la TNT payante au Royaume-Uni, avec la quasi-faillite de Granada et Carlton, producteurs de ITV, la première chaîne privée.