Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 9 Décembre 2006.

Imaginez. Vous êtes un fan de bd. Je veux pas dire un amateur ou un collectionneur. Non, celui qui est absolument fan d'une certaine série, pour qui prime l'histoire plutôt que la collectionite aiguë. Le genre série révolutionnaire et cultissime qui n'est plus entretenue. Ou alors pas comme avant. Et que ce fan tombe sur un livre avec une aventure inédite de sa série préférée. Genre un album complet de Gaston Lagaffe, « Tintin et l'Alph'Art  », un Astérix avec Goscinny au scénario, ou encore la deuxième aventure de Lefrancq « Le Maître de l'Atome ».
L'inédit, l'incunable, la pépite sortie de quelque coin obscur.

En Novembre, je suis tombé sur l'album 1½ de « GITS ».

« Ghost in the shell », c'est l'élément de base du genre cyberpunk. Une pièce maîtresse au genre, aussi essentielle que les romans de William Gibson, que le film « Blade Runner », que la musique de Front 242.
L'auteur était déjà connu pour la précision et la qualité de ses manga “cutting edge”.
Depuis les premières planches parues au Japon en 1989, un niveau supplémentaire était franchit. Le mélange intime entre l'esprit humain et la machine robotisée, dont on ne sait qui des deux est la prothèse de l'autre. Une histoire rythmée de filles mortelles, d'armes sensuelles, de véhicules étonnants, et d'un background riche et viable. Le langage technique et les références scientifiques archi-précises, qui se nichent dans les marges de chaque planches sur 4 ou 6 lignes microscopiques sont des mines bibliographiques. Les différents niveaux d'actions à la fois physiques, politiques et informatiques, permettant au lecteur de redécouvrir des éléments à chaque lecture. Ardues à appréhender, comme le veut le genre, mais 368 pages cultes. Drogue dure jusque dans le dessin, dont les planches couleurs sont encore plus hypnotisantes quand on sait que l'auteur travaille seul.

À partir de 1993, Masamune Shirow commence à travailler sur la deuxième histoire « Man Machine Interface », continuité parallèle à « GITS ». L'album ne sortira qu'en une fois, en 2001. Là encore, cultissime, mais d'une lecture difficile exceptés pour les acharnés.

Quand Glénat traduit en Français la série, je l'attendais comme un loup blanc, ayant écumé des traductions amateurs en anglais par des universitaires de haut-vol et extrêmement passionnés par cette BD, et ceci avant même l'arrivée d'« Appleseed  » en Français... Hélas, Glénat traduisait en fait l'édition américaine de Dark Horse comics par le Studio Proteus, trop simplifiée par rapport à l'originale, et ajoutant d'ignobles approximations entre l'Anglais et le Français. Je crois que l'attaché de presse de l'époque (Alexis Balazunski) se souvent encore de ma copieuse liste d'errata. Dûment relue et annotée par trois de mes profs de fac, tous fondus de Shirow.
C'est à cause d'un traitement aussi pitoyable que Christophe Ganz avait fait retraduire et redoubler le film de Mamoru Oshii avant sa sortie dans les salles Françaises. La qualité de la VF y est exceptionnelle pour un dessin-animé adulte.

Et puis le mois dernier, je suis tombé sur ce livre, qui compulse des histoires inédites en album. Ce n'est pas aussi fort que la série originelle, mais on retrouve avec plaisir les personnages principaux, sauf que désormais la Section 9 ne comporte plus Major Mokoto Kusanagi dans son staff, et son poste a été repris par Togusa.
[THOMAS: et pourquoi lui ? Il est encore humain, c'est un jeunot comparé à Batou]
Dans de courtes enquêtes avec toujours la même graphie extrêmement jetée de de Shirow, le scénario diablement alambiqué et un univers furieusement crédible.

Grosse déception de la part de Glénat : les pages couleurs sont en noir et blanc, et alors que les autres livres français sont en format comics, cet album est dans le format original, taille A5. Pas pratique pour le ranger avec les autres. Sans compter que les planches sont une fois de plus inversées. Quel intérêt ?

J'ai mis le temps avant de le lire. Je voulais le découvrir petit à petit, tel une denrée rare et précieuse ; pouvoir déguster ce moment savoureux de la première lecture pour une œuvre que l'on adule. Pour le fan, le bonheur absolu. Pour ceux qui furent rebutés par « GITS:MMI », c'est un bon complément. Et pour les apprentis mangaka, un cd-rom avec une version d'évaluation du logiciel Comic-studio Aqua (dans la même idée que Celtx, mais proprio). En japonais technique bien sûr. Langue ardue, mais sûrement moins que celui des soldats de fortune passé sur le billard des cyber-chirurgiens. Cyberpunk, ton métal a une âme, et l'esprit est dans la machine.

Pour informations.
Shirow considère qu'il y a plusieurs univers différents pour « GITS » :
  • La manga « GITS »
  • La manga "fille" « GITS:MMI » qu'il n'a jamais attribué comme numéro deux de la première manga, puisque ne suivant que le personnage de Mokoto
  • Les films « GITS », surtout à la suite de sa brouille avec Mamoru Oshii
  • La série « GITS : Stand Alone Complex » de Production I.G, qui théoriquement s'intercale entre les deux films, mais dont l'univers est trop différent.
Chacun possède ses subtilités politiques, techniques et psychoogiques.
La seconde saison de la série « GITS:SAC », aka « The Second GIG » est en cours de publication chez Beez interactive. Les DVD comportent une excellente interface avec de très nombreux bonus classés par épisodes.
« GITS Solid State Society », téléfilm issu de la série est arrivée en DVD au Japon le 23 novembre dernier, jour où l'auteur a fêté ses 45 ans.