Ecouter aussi l'émission « Supplément week-end » du samedi 6 janvier 2007.

Un film de Darren Aronofsky, avec Hugh Jackman, Rachel Weisz, Ellen Burstyn

En 2005, Tommy Creo est chercheur et tente de sauver sa femme Izzy, atteinte d'un cancer en phase terminale. Izzy, de son côté, écrit un livre, « The Fountain », racontant les aventures du conquistador Thomas en quête de l'arbre de jouvence, pour sauver la Reine d'Espagne. 1000 ans plus tard, c'est un Tom méditatif qui emmène l'arbre dans un vaisseau transparent et circulaire, vers l'Etoile mourante Xibalba.

Le film parle d'un deuil impossible. Le couple Tommy-Izzy des années 2000 constitue le coeur du film. On pourrait dire que les deux autres époques sont fantasmées, celle dans le passé renvoyant à Izzy, c'est elle qui l'a imaginée. Elle est révolue, et tente de parler à Tommy via la métaphore du guerrier en quête d'un but mystique. La projection dans le futur met surtout en scène un Tom ascétique et spirituel, qui, au cours d'un ultime recours infructueux, doit accepter de laisser partir sa femme. Izzy ne peut être retenue, et Tom doit refaire sa vie. Les trois époques se renvoient les unes vers les autres, dans une succession d'évènements temporels s'incluant dans une continuité générale, et racontant finalement une histoire très simple.

Notamment mise en valeur dans la remarquable bande-annonce du film, la mise en scène lie les trois époques par des mouvements de caméra, des déplacements de comédiens, cadrages, choix de sujets, valeurs de plan. Par exemple, pour expliquer qu'Izzy est devenu l'arbre de vie, Aronofsky ne montre pas la transformation, mais filme plutôt deux scènes, l'une dans laquelle Tom embrasse la nuque d'Izzy, dans un choix d'éclairage mettant en valeur les poils clairs de la peau de l'actrice, puis montre une scène semblable dans le futur, où le Tom astronaute parle les lèvres contre l'écorce de l'arbre, dont des poils clairs se hérissent au toucher de l'acteur. La grande force de « The Fountain » est la grande cohérence entre la forme et le propos. Ou quand l'un des réalisateurs phares de la nouvelle "beat" génération (avec Tsukamoto, Gaspar Noé, et d'autres) s'empare du mélo pour en faire une expérience visuelle remarquable.

Soutenu par une musique lancinante, énervante ou magnifique, selon l'humeur, le film bénéficie aussi d'une interprétation époustouflante d'une poignée d'acteurs inhabituels pour le genre. Rachel Weisz fait oublier ses apparitions dans la saga « La Momie », et Hugh Jackman porte le film à bout de bras. En effet, aussi crédible dans la partie guerrière chez les Mayas, dans le drame intimiste contemporain, et dans l'étonnant segment futuriste, il éclipse d'un revers de main l'impression de lassitude quant au choix d'un tel rôle oscarisable, pour livrer une prestation sensible, déterminée, émouvante et vulnérable. Même au coeur de la bataille du XVIème siècle, on perçoit avant tout l'amour et le dévouement de l'homme pour sa reine, au détriment d'une approche plus primale à la Wolverine.

Après le thriller mathématique « Pi » et l'éprouvant « Requiem for a dream » sur la dépendance, Aronofsky livre un film superbe sur l'acceptation de la mort. A condition de ne pas être allergique aux personnages qui pleurent (on assiste quand même à un flot de larmes quasiment ininterrompu pendant 90 minutes), « The Fountain » est un film qui marque le spectateur pendant un bout de temps.

(tous les articles ciné et dvd de Thomas Berthelon sont disponibles sur son site).