Dans les négociations entre l'EU et les États-Unis, il est question de Neutralité d'Internet. Or, celle-ci semble directement torpillée par Neelie Kroes, la commissaire européenne chargée de la société numérique sous les conseils trop bien avisés des opérateurs télécoms. Vendredi dernier, l'excellent Pierre Beyssac a rappelé en quoi le Minitel est l'exemple frappant qu'on en a besoin.

Ce billet a été motivé par une drôle de réaction, celle de Stéphane Soumier. Ce journaliste que j'estime et adule, présente la matinale de BFM Business. Il s'intéresse beaucoup au domaine des start-ups, de nouveaux acteurs économiques qu'il aime mettre en avant, comme exemple qu'en France, on peut créer de nouvelles industries.

Mais là, j'ai été surpris par cette tirade, alors qu'il était en vacances.

Comme ça, pof, un Samedi matin, alors que je suis censé préparer mon talk-show.
S'ensuivent des échanges plus ou moins enflammés, ce qui se montre dangereux en cette période caniculaire… Je vous conseille de lire l'ensemble des réponses, et y'en a eu encore d'autres après.

Je crois qu'il y a une incompréhension de la Neutralité du Net. Alors tentons une analogie.
Je déteste les analogies car se sont des simplifications, et bien souvent, on tente de comparer l'incomparable. Donc pardonnez les inexactitudes, ça fait partie de l'exercice.

Disons qu'une trame TCP/IP = 1 Euro. Ça vous va ?

Disons qu'Internet, ce sont les flux financiers, et les paquets de données, l'argent.
À la base, l'argent est neutre. Il s'échange entre acteurs avec plus ou moins d'équilibre. Quant aux mouvements financiers, ils peuvent tout aussi bien financer la drogue, des guerres, des pédonazis et le piratage musical, que construire des industries, soutenir des associations, faire émerger de nouveaux succès, soigner des maladies, apaiser la faim dans le monde, etc…

Pour recevoir ou envoyer de l'argent, vous êtes obligés de passer par des FAI, qu'on appelle des banques. Il y a des banques Grand-Public (Orange, SFR, Bouygues, Free), des banques privées (OVH, Nerim), des banques associatives (Tetaneutral) et des banques d'affaires (Level3, Cogent). À la différence des Grandes-Publiques, les autres ne s'occupent que des entreprises ou qui ne font que de l'internet, pas d'offre triple play.

Car pour proposer leur service à un prix aussi bas, les banques grand-publics packagent leurs offres dans une box, dite triple-play qui fait à la fois compte de dépôt, assurance (sur les opérations bancaires) et crédit revolving. Elles ont aussi d'autres services annexes, des contrats d'assurance dans l'immobilier ou la santé, des offres de téléphonie mobile, des services d'abonnements à des journaux, de livraisons de fleurs et pizzas, des filiales construisant des lotissements, etc…
Leur business model est simple : Augmenter le panier mensuel du client par leurs services, donc faire monter l'ARPU et donc atteindre une marge plus importante.

Prise d'otage

Seulement, le problème, c'est que le client se tournera vers un service parce qu'il correspond à son attente et pas parce qu'un kiosquier lui offre sa version à sa marque quand on est venu pour tout autre chose. Donc les clients rapportent moins aux banques grand-public qui avaient un concept de guichet à tout-faire (vous vous souvenez des "portails" d'il y a dix ans ?). Les clients restent chez eux car l'offre de base n'est pas chère, mais du coup, pour ces banques, entretenir leur infrastructure est bien moins intéressante puisque les mouvements financiers bénéficient à d'autres opérateurs qu'elles.
Pourquoi prendre une assurance santé chez son banquier ? Ou un forfait mobile ?

Devant la situation pas aussi profitable, voyant les flux de paiement leur échapper pour des services concurrents, les banques demandent donc à supprimer la neutralité de l'argent. Cela veut dire qu'elles pourront intercepter une demande de crédit prévu pour acheter une maison individuelle et le bloquer, si cet achat n'est pas fait chez leur filiale lotissière.

Et donc passer du rôle de facilitateur de flux à censeur-péagiste.

Aux mauvais maux, les mauvais remèdes

C'est donc pour soi-disant combattre Google, Netflix, Apple, Microsoft, name-every-evil-successful-and-american-internet-service que les opérateurs européens souhaitent la fin de la neutralité d'internet. Parce que tout simplement, ils seraient incapable de négocier correctement des accords de peering ou de remonter la note aux utilisateurs finaux. Ben voyons. Si Dailymotion pourtant apparu avant Youtube n'a pas réussi à percer, on va dire aussi que cé-la-faut'-au-neutre ?

Si le problème est de combattre les positions monopolistiques de certaines entreprises, casser la neutralité du net ne résoudra en rien la situation. Elle empêchera tout nouvel entrant de se faire une place, puisque les banques en face auront leur service concurrent. Le problème est que les offres périphériques qu'elles proposent ne marchent pas.
Voila de Orange ou (défunt) Dir.com de Free n'ont jamais percé car le produit était très mauvais, même face à Lycos. C'est dire. L'offre séries-tv en rattrapage ou en paiement à la demande proposée via les box des opérateurs est tellement indigente qu'évidemment les FAI pleurent de voir arriver Netflix en France. Mais cette situation n'existe que parce que les offres qu'ils proposent via leurs box sont pauvres.

Alors évidemment que les méchantes grosses boîtes américaines percent en France, si localement les gouvernements ont passé plus de temps à combattre l'innovation et le financement plutôt qu'à la libérer. Et ce n'est pas en créant un nouveau cadenas stupide qu'on résoudra la situation.

Bien au contraire, on arrivera à une forme de censure économique non-dite, qui cassera des initiatives privées, voire amènera à une réelle censure politique. Et ça, c'est inacceptable.
La neutralité de l'argent est une idée à défendre absolument, tout comme la neutralité d'internet.