Chronique lue en direct dans l'Hallucinarium FMR du 28/01/2015.
Avec Eugène Lawn et Marie. Réalisation : Kinou.

Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui nous écoutera dans quelques secondes.

Nous fêtons cette semaine les 30 ans du Macintosh. Oui, cela fait 30 ans que Steve Jobs, le co-fondateur d'Apple sorti d'un sac un appareil gros comme une petite télévision. Le prophète le brancha, le petit écran souri, Steve y mit une de ces nouvelles disquettes de 3"½ et l'ordinateur parla avec une synthèse vocale.
Tout le monde allait retenir le premier usage obligé de la souris, et surtout l'arrivée de la métaphore du GUI, l'interface utilisateur graphique : l'écran représente un bureau avec son sous-main, les répertoires de la disquette sont des dossiers, chaque fichier est un document de travail et la poubelle, je ne vous ferais pas un dessin, Susan Kare est bien plus douée que moi. D'ailleurs, 20 ans plus tard, elle dessina le pouce levé de Facebook…
Oui, la métaphore, c'est l'art de vous dire qu'en bridant la liberté d'expression on aurait forcément sauvé les auteurs de Charlie Hebdo… hein ?

Euh non, mauvais exemple.

La métaphore, c'est quand une disquette 3"½ représente l'action de sauvegarder ton document, alors qu'en fait, enfant du futur immédiat, tu n'as jamais vu de disquette de ta vie et pourtant, tu sais ce qu'elle signifie ! Là où une Interface Homme-Machine (IHM) peut-être l'interrupteur marche/arrêt (si la boîte ronronne chaud et la lampe allumée, c'est que l'interrupteur est sur on), l'interface utilisateur graphique (GUI) doit représenter sur écran des concepts complexes de la manière la plus parlante possible et donc abuse des métaphores.

Donc le MacIntosh fut le premier ordinateur personnel avec une interface graphique par défaut. « Ceci est une révolution », a faillit dire le dandy apprenti-gourou.

Ben pas tellement : Apple a repris les travaux du Xerox Park, le centre de recherche du célèbre fabricant de photocopieurs. Des travaux qui ne furent jamais exploités directement par la firme, sinon par le biais d'un ordinateur, le Star 8010 vendu 17000$. De l'époque. Soit 41000$ de nos jours.
Apple avait aussi fait un premier essai avec le Lisa, un ordinateur du nom de la fille délaissée de Steve Jobs, et qui valait 10000$ de l'époque. Ces deux gros bestiaux-là furent des fours, principalement à cause de leur prix. Le Mac premier du nom fut mis en vente au prix exceeeeptionneeeel et absolument imbataâââââble de 2500$, toujours de l'époque ; soit, puisqu'on parle en métaphores, l'équivalent de 8 smics ; cela vous donne une idée de l'informatique personnelle de l'époque, sachant qu'on y faisait sa compta ou y écrire des bouquins, quand on ne devait pas développer soit-même ses logiciels. Le seul jeu sur Mac était un jeu d'échec, au niveau moyen.

Et en cette heure glorieuse, les micro-ordinateurs étaient très rarement inter-opérables entre eux. L'IBM PC n'avait que quelques compatibles sur un segment très haut de gamme, comprendre très chers et très frustres. La vache à lait de la firme de Cupertino, l'Apple II, rapportait des fortunes et était alors au faîte de sa gloire. Mais lui aussi était très fruste : son fonctionnement imposait l'usage de lignes de commandes. Très rares étaient les logiciels graphiques qui en exploitait sa souris. Oui, il y en avait déjà une, mais en option.

Selon le Folklore… bande d'incultes, je vous parle du site folklore.org qui raconte la création du Macintosh par ceux qui ont participé directement à cette aventure. Selon le Folklore, donc, les différentes équipes d'Apple company, ceux de l'Apple II, de l'Apple III, du Lisa et du projet Macintosh se faisaient une telle guerre qu'on en vint à une stratégie de méfiance et d'un secret absolu entre les équipes. Déjà tout l'esprit d'Apple dans son management.
Et si le concurrent principal semblait être l'IBM PC, l'ennemi se révéla être Microsoft, pourtant partenaire du Mac, puisqu'ils ont créé exprès pour lui Word et Excel. On est jamais mieux trahi que par ses amis. Microsoft profita de l'acquis pour concevoir MS-Windows, et écraser d'autres concurrents dans le secteur de la fenêtre comme le Workbench du Commodore Amiga, GeOS et GEM ; noooon, Eugène ! Pas « Jem et les Hologrammes », je te parle du GEM que l'on retrouvera sur PC, Commodore 64 et l'Atari ST.
30 ans sont passés, le Macintosh et le PC sont les survivants de la foisonante époque des eighties, période où les écosystèmes informatiques se lancèrent par camion, mais finirent souvent dans les bas-fossés de l'histoire des ordinateurs. Le PC et le Mac se sont souvent tirés la bourre dans l'innovation technique, mais pour faire encore une métaphore, dans cette course, ils se sont fait doublés par les smartphones et internet.

En ce mois de janvier 1984, pour lancer sa petite merveille, Apple produisit une publicité pour le Superbowl, sa réalisation par Ridley Scott et sa diffusion coutaient une fortune et ce film publicitaire fut tellement novateur qu'il faillit ne jamais être diffusé. Ce spot célèbre met en scène une sportive courant dans une salle où la foule lobotomisée regardent béatement un ordinateur central, référence directe au Big Brother du roman « 1984 » de George Orwell. Ladite athlète, poursuivie par des cognes prêts à la cogner, lance dans un geste homérique un marteau pour exploser l'écran. Selon cette métaphore hollywoodienne, l'informatique personnelle devait libérer les opérateurs des grandes bases de données industrielles et laisser à chacun son libre choix.

Enfant du futur immédiat, lors de sa présentation avec Steve Jobs, le MacIntosh recommanda avec sa voix synthétique de « Ne jamais croire un ordinateur que tu ne peux soulever ».
30 ans après, les smartphones, le cloud et le big data prophétisés par ce même Steve Jobs… ont fait exactement l'inverse.