Les éditos d'IN`DIGEST

Émission nº103, diffusée le Dimanche 1er Février 1998.
Sujet: Débrief du 25º Festival International de la Bande-Dessinée d'Angoulême, Alph'Arts 98.

© Xavier MOUTON-DUBOSC / <FMR> France - Janvier 1998.

« Ordinateur de mon coeur, microphone et régie chérie, auditeurs de mes bonheurs, bonjour!

C'est en ce Dimanche de premier Février radieux de soleil, alors que dehors chantent les piafs, et que répètent les Suicidal Tendencies à l'étage au-dessus¹, que je vous fais part de mon plaisir annuel: le Festival International de la Bande-Dessinée d'Angoulême.
Pour la 25ème édition du plus grand évènement français de b.d., inutile de dire que les grands moyens furent sortis. 175'000 visiteurs (comparez à la taille de la ville!), des journalistes de France et du Monde entier, des éditeurs archi-connus (excepté Dupuis qui boude toujours), et d'autres qui le deviendront, des centaines de dessinateurs... Bref: la foule. Des expos, des conférences, des symposiums: un emploi du temps plein à craquer... 12 dessinateurs interviewés, des nouveaux contacts, des documents à la pelle (5 kilos de papier à mon retour, sans les livres): le moment de l'année le plus riche pour mon émission, un buffet à volonté pour les infos b.d.

80 heures à galoper de tout côté, dormir à peine, indiger et digérer le maximum d'infos et un hénaurme barda à se trimbaler. On en ressort lessivé, fatigué, crevé, mais heu-reux!

Par contre, là où cela fait peur, c'est quand moi, votre humble chroniqueur non-payé en prend de tous côtés.
Des éditeurs et des attachés de presse qui vous font un chaleureux bonjour, cela fait (toujours) plaisir. Des journalistes professionnels qui connaissent votre travail, cela surprend un peu. Mais quand, me baladant au Marché des Droits Internationaux, une personne "heureuse de vous connaître" m'appelle, là on se dit: aïe!... J'ai une mémoire défaillante, de petits moyens, et ce que je supposais une honorable présence (mais toute petite) dans les agendas d'attachées de presse. Mais alors, quand plus de dix personnes ont déjà visité le site web de mon émission ouvert trois semaines avant, le jugeant excellent, que ceux qui (sans mentir) écoutent mes cassettes trouvent très bien mon émission... Aïe Aïe Aïe, faudrait que j'en fasse mon métier, ptêt.

Bon, grosse tête à part, il est très intéressant de noter qu'il y eu cinq fois plus d'interviewes télés que l'an dernier, une couverture médiatique accrue, beaucoup plus de gros sponsors... La b.d. change d'image dans la tête des "grandes personnes". La raison ? Le secteur éditorial de la bande-dessinée est en France toujours le deuxième en terme de volume derrière les guides, usuels, ouvrages scolaires ; mais le seul secteur du livre à augmenter son chiffre d'affaire, là où d'autres stagnent. Tous les éditeurs affichent une mine réjouie: les Humanos qui nous font le coup du phénix (voir la collection Tohu-Bohu), Tonkam radieux, Delcourt autant, Téméraire et Bethy nés cette année et très bien partis. Le marché s'est considérablement épuré: Samouraï définitivement exit, regroupement des structures bâtardes (Soleil a repris Dark Horse France, créé par Infogrames), les gros fanzines se sont professionnalisés (impression faite à la bulle New-York). Seul Casterman fait grise mine suite à la disparition d' (À SUIVRE) et une restructuration en cours ².
Le secteur fait sa purge et malgré tout, s'en sort très très très bien de la Crise!

A tel point que les américains tentent d'entrer en France. Petit retour arrière: Fin 1995, Marvel en proie à de très grosses difficultés, passe sous la loi de protection contre les faillites (l'équivalent U.S. du redressement judiciaire) et rachète son distributeur européen Panini. Panini devient donc Marvel France, aux dépends de Semic. Selon "Comics International" de Janvier 1998 (nº90, édition européenne), durant l'exercice fiscal 1997, Marvel a perdu (tenez-vous bien) 15% de son chiffre d'affaire par rapport à 1996, 80% en 4 ans! Imaginez comme ils sont mals sur leur propre marché... Marvel est le seul éditeur à publier officiellement ses chiffres, obligation faite par les postes U.S. aux entreprises de vente par correspondance. Mais si on connaît les très mauvais résultats du nº1 et le malaise non-dit des autres boîtes, on peut dire « aïe aïe aïe!!! » . Un marasme général aux États-Unis, auquel il faut rajouter la violence des ligues de moralité et de l'état qui sapent le marché par les opération commandos contre les magasins, lesquels considèrent le comics destiné aux gamins, la b.d. adulte est proprement impensable aux U.S., hallucinant, non ? Comme le dit si bien cette revue: « l'industrie du comics est à genoux, autant que dans les années 1970 ». Furent présent à Angoulême une dizaine de comickers dont Billy Tucci (le dessinateur de Shi) qui m'explique qu'ils aimeraient bien entrer en France mais que le gros problème du comics est d'être rarement mature et d'un scénario "trop léger" pour nous, d'être rarement considéré comme un Art, par rapport à la b.d. franco-belge. Leur public habituel est occupé en France par le manga (style Dragon Ball, Fly,...)
Si cela leur permet de se remettre en question, de créer une nouvelle vague (comme Frank Miller à la fin 70s), espérons qu'elle soit de qualité... Ou que la b.d. française envahisse enfin les U.S. pour leur apprendre ce qu'est qu'une b.d. intelligente. Ils ont rejeté Tintin, Astérix,... seront-ils insensible aux collections Encrages, Signé, Tohu-Bohu, Long-Courrier ?

Exemple intéressant: le Portugal. J'ai sous les yeux un prozine portugais (JuveBêDê, Novembre 1997): sur 14 b.d. chroniquées, 10 (dont 6 en version originale française) d'origine franco-belge... Je ne comprends pas le portugais, mais vous comprenez le malaise dans ce pays: aucun éditeur ne croit à la b.d. Au point que des dessinateurs comme VarAnda, Cortesão, Burgos, sont obligés de venir en France pour se faire publier.

Bref la b.d. franco-belge marche particulièrement bien, a su résister aux modes en les intégrants, s'exporte au-delà du bassin francophone et est reconnue pour sa qualité de production. Grâce aux opérateurs de télé numérique et des investisseurs étrangers, elle commence à se voir ouvrir les voies de l'animation ; le cd-rom s'impose comme un nouveau support créatif, complémentaire à la b.d. La fin de l'hémégonisme américain dans l'entertainment? La différence, la qualité et le côté souvent décalé, un peu comme la "french touch" de la techno³, qui montrent qu'une froide production à la chaîne n'a pas de goût. Même si ce n'est pas l'âge d'or, la mutation de la presse b.d. montre que l'image change, et que le 9º Art est toujours vivace. Golem, Popo Color, BoDoï se sont créés, et prennent la place d'(À SUIVRE), rajeunissant, mettant à jour le secteur.

Mais n'aurait-on pas un peu oublié ceux qui FONT la bande-dessinée, les auteurs ? Le star-system s'est atténué, on a senti la poussée d'une nouvelle génération (Ralph Meyer, Lewis Trondheim,... prochainement à l'antenne). Et je vous ai ramené une douzaine d'interviewes qui seront distillées tout au long de l'année. Les auteurs sont eux aussi au top de leur forme.
Pour les cinq kilos d'infos, trois mois ne seront pas de trop pour tout compulser!
Nota bene: Nick Rodwell (non pas "nique le RoSwell" mais l'actuel détenteur des droits Hergé, on en a beaucoup parlé l'année passée) annonce lors de l'assemblée de l'A.L.B.D. qu'il souhaite "contrôler l'image de Tintin". Il est un peu vague, là. Affaire à suivre...

Enfin, sachez qu'en plus de la b.d., des contacts ont été pris pour créer plusieurs évènements durant l'année avec <FMR>. Alors écoutez la poubelle des radios!


RIGOLONS UN PEU AVEC LE PALMARÈS.
Pour ne pas faillir avec la tradition, les prix sont sujets à contestation!

Alph'art meilleur album: « Léon la came #2, laid pauvre et malade » (Sylvain Chomet, Nicolas de Crécy) Casterman.
Lors de l'interview (diffusé en début d'année) faite à Angoulème 1997, De Crécy nous annonçait qu'il venait de terminer le dessin du 4°. Le deuxième opus est de moins bonne facture que le premier. On le donne maintenant, parce qu'il ne fut que nominé l'an dernier?

Alph'Art Meilleur album étranger traduit, Prix France Info: « Fax de Sarajevo » (Joe Kubert), Vertige Graphique.
Un bel hommage à l'excellent travail éditorial de cette boîte qui a su s'implanter en France en épurant son catalogue américain. À noter sur le festival la présence d'Erwin Rustemagic, l'auteur de ces fax, que personne n'a interviewé!

Alph'Art meilleur scénario: « Kid Congo » (Loustal, Paringaux) Casterman.
Mouis! il est bon, mais... pas exceptionnel.

Alph'Art Humour: « Jean-Claude Tergal #6: Portraits de Famille » (Tronchet), Fluide Glacial.
Un prix qui n'en manque pas, parce que c'est le plus mauvais de la série. Pourquoi ne pas l'avoir donné à "Houppeland" du même auteur? Mais il est vrai que cela ne lui fait QUE son 3º Alph'Art Humour...

Alph'Art coup de coeur, Prix René Goscinny: « La fille du professeur » (Sfar, Guibert) Humour Libre, Dupuis.
Rien à redire... c'est l'un des albums phares de la cuvée MCMXCVII.

Alph'Art Jeunesse 7/8: « Jojo et Paco font la Java » (Isabelle Wilsdorf) Delcourt jeunesse.

Alph'Art Jeunesse 9/12: « Trolls de Troy #1: Histoires trolles » (Arleston, Mourier) Soleil.
Bizarre, car autant que je me souvienne, le public originellement visé est un peu plus adulte. Mais un bon choix.

Prix Bloody Mary (presse spécialisée): « Le ver est dans le fruit » (Pascal Rabaté) Vents d'ouest.
Un peu sur-nominé, mais ici, il a bien mérité le prix. Une preuve de bon goût (les réceptions de l'ambassadeur...) et un pot bloody mary au cognac, un!

Prix A.L.B.D.: « Le Sursis » (Gibrat) Aire libre, Dupuis.

Le Grand-Prix de la Ville d'Angoulême sera désigné lors du salon du Livre à Paris. Celui-ci sera le prochain président du festival. Une "délocalisation" toujours incomprise.

»


Nota Bene:
¹: Ce soir-là passaient les Suicidal Tendencies au Bikini, un de leur premiers concerts après leur reformation. En fait, leur répétition a commencé une demi-heure après mon émission ; heureusement parce que c'était FORT.
²: Casterman est notamment très mal suite à une crise de confiance des actionnaires. Disons même qu'il était à vendre. D'où le replis des activités françaises. La dernière rumeur à ce sujet (9 II 1998) veut que la vénérable maison d'édition belge aie été rachetée par le groupe Casino (!). Dargaud, le nº1 français, n'osait parler du prochain procès Uderzo, sur les droits de la série Astérix...
³: Au moment où je lisais ces lignes, le fond sonore venait de virer d'Orbital à Laurent Garnier. Je pense bien évidemment à Dimitri from Paris, UltraOrange, Super-Discount.

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