Les éditos d'IN`DIGEST

Émission nº151, diffusée le Mardi 16 Février 1999.
Sujet : Affaire Astérix, 6 mois après.
ATTENTION: texte de l'émission nº132 remanié.

Non inclus: interview de Guy VIDAL.

© Xavier MOUTON-DUBOSC / <FMR> France - Septembre 1998 - Février 1999.

« Difficile d'y échapper, le long métrage live « Astérix et Obélix contre César » est la plus coûteuse production cinématographique tournée en français (275 MF). Les producteurs en veulent pour leur argent, donc on a pu voir sur toutes les chaînes de télévision, les vedettes s'égosiller à propos des "mérites" du film.

On peut râler sur ce film... mais il a le mérite d'être sorti. Je note de nombreux spectateurs déçus de la caractérisation, par rapport à celui des dessins-animés. Mais comme il fallait des vedettes pour bien vendre le film... il était impossible de leur demander de rentrer complètement dans le personnage. Quant aux omniprésents effets spéciaux, ils ont été confiés à Duran, une boîte parisienne spécialisée dans les projets de cette envergure.

Les précédentes adaptations cinémas d'« Astérix » furent des dessins-animés. Il existe néanmoins quelques lives "spéciaux" réalisés pour la télévision par Pierre TCHERNIA, complice des créateurs. Le premier d.a. pour le cinéma fut une production réalisée dans le dos des auteurs. L'une des premières causes de discordes entre GOSCINNY, UDERZO et DARGAUD.

« Astérix » est toujours la série française la plus vendue (blockbuster). Si le rythme de sortie des nouveautés s'est très fortement ralenti depuis la disparition de René GOSCINNY, le personnage est toujours vivant, comparé à « Tintin » qui est "mort" avec Hergé. Sorti dans une France en pleine croissance et mutation, dont il en caricature l'esprit, « Astérix » a fait exploser la b.d. dans notre pays, et en est le héros le plus cité.
Énorme portée symbolique donc quand « Astérix » est trop vite repris par le R.P.R. ou quand UDERZO lui fait prendre position sur les sans-papiers et l'extrémisme (dessin « Potion Maréchal nous voilà » dans Libération).

Mais malheureusement, si ce film était censé sortir pour les 40 ans de la b.d., il n'était pas prévu qu'il sorte en plein fatras juridique. Léger rappel du bazar.

1958: Albert UDERZO et René GOSCINNY se connaissent depuis 10 ans et et ont créé sous divers pseudonymes moults personnages (de « Oumpah-pah » à « Luc Junior »). « Pistolin », le dernier sorti avait sa propre revue, support promotionnel dédié à une marque de chocolats. Mais l'expérience dû s'arrêter, principalement parce qu'elle ne pouvait connaître une vie en kiosque. C'est à ce moment-là que Radio Luxembourg contacte les deux comparses et quelques complices pour monter ce qui sera l'illustrissime magazine hebdomadaire Pilote en 1959. Un succès foudroyant, très rapidement racheté par DARGAUD. Le rédacteur-en-chef et multi-scénariste René GOSCINNY crée avec le dessinateur Albert UDERZO le personnage d'Astérix le Gaulois.
Ce petit bonhomme malin, hargneux et chauvin va bientôt devenir la série phare de Pilote, puis la tête de file de l'école française de la b.d. à gros nez. Série s'adressant aussi bien à petits et grands, menée de main de maître par René GOSCINNY, qui arrive à toucher tout le monde par son humour, et d'un dessin à la qualité sans cesse croissante, UDERZO s'affirmant dans le style.

Rapidement, les aventures à l'humour anachronique, gaulois et même franchouillard font tomber les frontières européennes pour ce village qui résiste si bien à l'envahisseur romain: il est très vite traduit en allemand, flamand, espagnol, italien et anglais.

1966, à peine 7 ans après sa création, Astérix fait la une de l'Express, les ventes explose allègrement le cap des 100'000 exemplaires. En 1975, GOSCINNY, UDERZO et MORRIS (dessinateur de « Lucky Luke ») créent un studio d'animation pour produire des longs-métrages de leurs héros. Le studio Idéfix tournera au désastre suite à certains choix peu judicieux. Les films marchent mal en France, mais seront bien suivis en Allemagne.

Mais en 1977, René GOSCINNY meurt d'un infarctus lors d'un test cardiaque. Triste ironie ; l'amuseur public nº1 fera dans l'humour macabre involontaire! Avec quelques ébauches de scénarii d'avance, UDERZO continue sa série. Un contencieux du type « je t'aime, moi non plus » qui existait depuis 20 ans entre les éditeurs et GOSCINNY, Jean-Michel CHARLIER et UDERZO conduit ce dernier à partir de la maison Dargaud. Il crée les éditions Albert-René en 1979, diffusant ces nouvelles aventures (à partir de l'album « Le Grand Fossé »). Le succès est toujours présent, même si UDERZO se révèle moins talentueux scénariste que GOSCINNY. « Astérix » est le best-seller toutes catégories de la littérature francophone, trônant sur le « bouclier averne »!

Actuellement vendu à plus de 280 millions d'albums, traduit en 85 langues (dont un latin... de cuisine!), le succès est mondial. UDERZO est invité au J.T. de 20h à chaque nouvel album ; le dernier opus, « La galère d'Obélix » eu une première édition de 2½ M de copies en France, 2½ M en Allemagne et 5 M dans le reste du monde... Côté en Bourse depuis un an, le Parc Astérix est le deuxième parc de loisir français en terme de visiteurs et de rentabilité (11 MF par an en royalties reversé aux éditions Albert-René). L'éditeur perçoit de plus 40 MF en produits dérivés et licensing, dégageant un résultat de 28 MF sur un CA de 145 MF.

Malheureusement, une ombre plane sur ce beau tableau: Deux éditeurs se partageant la même série, c'est trop beau pour ne pas tourner à la Zizanie! Le fond du problème concerne la gestion des droits étrangers de la série, les droits d'auteurs donnés au forfait quelque soit le résultat, étant bien souvent amputés par différents frais de gestion, plus ou moins justifiés. Et cela au mépris du Code de la propriété intellectuelle, gérant le droit d'auteur en vigueur en France. Celui-ci stipule que l'auteur doit être rémunéré de manière proportionnelle à son oeuvre, c'est-à-dire au prix du livre et d'autres recettes, sans soustraire pour les frais de représentation plus de 20% de ces droits ... La loi Lang de 1982 qui institue le prix unique du Livre n'est pas là pour conforter les éditeurs dans une pratique plutôt pernicieuse... Depuis 5 ans, de plus en plus de contrats sur l'exportation de séries françaises sont cassés par les tribunaux.

Pour mieux vous faire comprendre le problème, parlons de Pif Gadget : Savez-vous que les auteurs de la b.d. titre de ladite revue communiste n'ont jamais eu un seul sou sur les albums vendus hors-France ? Les droits mondiaux ont été vendus à la Roumanie, tous les profits sont allés dans la poche du camarade dictateur CEAUCESCÚ! Pendant que des dessinateurs comme CÉZARD sont morts dans la misère.

De récents procès, notamment Jacques MARTIN vs Casterman ou François BOURGEON vs Glénat, ont créé une jurisprudence (un jugement ayant valeur de loi pour les cas similaires futurs). Depuis 5 ans, donc, les auteurs sont donc de plus souvent gagnants face à leurs éditeurs dans le cas de conflits sur les droits.

Après cette « grande traversée » des dessous de la b.d., revenons à la pomme de la discorde, au temps du « Domaine des Dieux »... Prenez un aspro, et munissez-vous d'un bon Dalloz !

Juillet 1990: UDERZO et Gilberte GOSCINNY, la veuve du scénariste, ont saisi en référé (c'est-à-dire jugement express) le Tribunal de Paris, pour résilier leur contrat avec DARGAUD. Ce tribunal commande une expertise sur la gestion des droits étrangers des 24 albums gérés par DARGAUD (les premiers de la série). Deux ans plus tard, ce rapport d'expertise estime que DARGAUD a dissimulé une partie des profits réalisés à l'étranger, notamment en Allemagne (« Astérix » se vendant autant chez les Goths que chez les Gaulois), en Angleterre et en Espagne.
Fin 1993: DARGAUD est condamné par le Tribunal de Grande Instance de Paris à verser à UDERZO et à la veuve de GOSCINNY 2,5 MF chacun, résiliant les contrats au tort de l'éditeur.

6 mois après, DARGAUD fait appel. Le jugement est surprenant: UDERZO et Anne GOSCINNY (la fille de Gilberte, morte peu auparavant) sont déboutés et condamnés à payer 50 000 F à l'éditeur. UDERZO se pourvoit en cassation, Anne GOSCINNY se désolidarise de la plainte et sera par la suite très proche de DARGAUD [elle écrit quelques critiques de littérature générale dans la Lettre de Dargaud].
Octobre 1996: La cour de cassation casse le jugement favorable à DARGAUD, constatant de manifestes ignorances de la cour d'appel quant aux droits d'auteurs à l'étranger. L'appel doit donc être rejugé.

9 Septembre 1998: La cour d'appel confirme la première instance. DARGAUD perd les droits sur ses 24 « Astérix », et doit payer en dommages et intérêts 5,58 MF à UDERZO. Le ciel tombe donc sur DARGAUD France: Les 24 albums de la série « Astérix » que gérait l'éditeur représentaient 35 % du CA et 80% de marge brute. Rien qu'en France, 1½ M d'albums vendus par an, 60'000 par album, soit 50 MF. Sans compter les traductions, ce qui fait 1500 éditions... Une manne qui permettait de financer d'autres programmes éditoriaux par forcément rentables. Comme la cassation du jugement n'interviendra pas d'ici 2 ans, et qu'elle n'est pas suspensive comme l'appel, DARGAUD va devoir se serrer très fortement la ceinture après ce coup de serpe. Cela passera par des plans de licenciement, des arrêts de séries dites « non-vitales », des « recentrages » (Cela n'est pas encore visible, mais attendez...). Une énorme perte de compétivité pour celui qui est encore le nº1 français. En 1997, le groupe DARGAUD (qui possède aussi les éditions du Lombard, les éditions Blake&Mortimer, l'éditeur vidéo Citel, différents studios d'animations,...) a dégagé un bénéfice après impôts de 15 MF, pour un CA de 345 MF. Ce chiffre a déjà perdu 10% l'an dernier. Qu'en sera-t-il dans deux ans ? Il y a chance qu'il ne soit plus que l'ombre de lui-même... Juste le souvenir d'une mythique revue b.d., feu-Pilote, potion magique de la b.d. française.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Après avoir proposé en vain les clés de la maison DARGAUD à UDERZO, l'éditeur va donc se pourvoir en cassation ; Anne GOSCINNY a gagné un procès en Novembre dernier face à Albert UDERZO à propos de la répatition du capital d'Albert-René éditions (20%/80%). C'est « le grand fossé » entre les deux propriétaires de la marque « Astérix ». UDERZO, qui ne tenait pas que sa propre maison d'édition n'édite toute la série, s'est néanmoins mit d'accord avec la fille GOSCINNY. Ce qui crée de nouveaux problèmes: Sachant qu'ils perdront à long terme les « Astérix » récents, que feront les éditions Albert-René sans ce catalogue ? Ne gèreront-ils que les produits dérivés ? Comment vont être renégociés les droits étrangers ?

Albert UDERZO et Anne GOSCINNY se sont prononcés début Janvier pour que le label Hachette reprenne les 24 premiers « Astérix ». À moins d'un mois d'Angoulême et du film, ce fut trop court pour cacher le nom de DARGAUD sur tous les albums. Mais demi-malheur car cela permet de libérer très vite les stocks bloqués, et les films permettant les ré-impressions. Même Pierre BILLARD, dans son bouquin publicitaire sur le film (éditions Plon), a été obligé de mentionner cette histoire tragi-comique, où le secteur du Livre français n'en ressort pas grandi. Grand amateur de Ferrari (il en a 5), UDERZO traîne de sérieuses casseroles !

À priori, le film est bien parti pour l'objectif de 10 M d'entrées... En France, il a fait 150 000 entrées la 1ère séance, 2 700 000 la semaine dernière. Et certains s'en servent comme tremplin, comme le Festival International d'Angoulême [voir palmarès] qui ont décerné un fort opportun Prix du millénaire à Albert UDERZO qui avait toujours refusé tout prix de la manifestation angoumoise. Mais ce prix décerné 5 jours avant la sortie du film permet aussi de faire parler du Grand-prix de la ville qui est allé cette année à Robert CRUMB, un nom fort peu connu du grand public. Le festival rappelle qu'il est "international". Il n'était décerné qu'à un français ou un belge depuis dix ans.

GOSCINNY et UDERZO furent à la pointe de la reconnaissance des droits des artistes face aux éditeurs dans la b.d. en France. Mais ce qui au départ était plus que normal a vite tourné au grotesque. Bref, la saga judiciaire, loin d'être terminée, s'achemine vers le feuilleton financiero-judicio-médiatico-passionnel à rebondissement... Manquerait plus que Jean VAN HAMME nous en fasse une série du style « Les maîtres du pinceau »... Cela ferait un drôle de produit dérivé après le film ! En tout cas, si les français se sont rarement illustrés dans les films à très gros budget, ils montrent qu'ils maîtrisent parfaitement la comédie.
Comme dirait l'autre : « Ils sont fous, ces Gaulois ! ».

Une partie du texte de cette émission a déjà été précédemment utilisée pour l'émission #132 (27 IX 1999). Références bibliographiques:
- Livres Hebdo nº305 (18 IX 1998)
- « Dictionnaire mondial de la b.d. », Patrick GAUMIER, Larousse
- « Les archives Goscinny », Vents d'Ouest
- « Astérix & Obélix, l'histoire d'un film », Pierre BILLARD, Plon
- Capital (7 II 1999), C productions, M6
Mercis à Cathy (Bédéciné) et à Franck PRIOT (TLT) pour l'aide sur la documentation, à ma Maman et Dr Livingstone pour les références juridiques.

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