Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 3 Décembre 2005.
Les « Protocoles des Sages de Sion », c'est un immense best-seller, que l'on retrouve dans tous les milieux extrémistes, cathos tendances dures, xénophobes, racistes et surtout antisémites. Ce livre est pourtant un immonde plagiat. Celui d'un essayiste anti-bonapartiste qui est resté quasi inconnu. Ces soient-disant plans secrets fomentés par des Juifs pour dominer le monde ne sont en fait qu'une resucée d'un dialogue imaginaire entre Machiavel et Montesquieu. Le Times le démontra en 1921, L'Express publia les recherches sur ses origines en 1999.
Un plagiat qui a été commandé par la propagande du tsar Nicolas II à l'aube du XXème siècle. Tellement efficace que le Tsar y crû lui-même, ce qui accéléra sa chute dans son délire paranoïaque, sans se douter de ce qui allait devenir les révolutions de 1905 et de 1917...
Pourtant, même démasqués, ces fameux « Protocoles » eurent un succès monstrueux par la suite. Distribués à la sortie des écoles Américaines, soutenus par Wiston Churchill (! c'était en 1920...) et même adaptés l'an dernier par la télé publique Égyptienne (« Le Chevalier sans Cheval »)... Ils furent l'alibi à des exactions déplorables jusqu'à être l'un des soutiens à la pire abomination du siècle passé, et ont attisé non seulement l'antisémitisme, mais aussi le racisme le plus violent et brutal.
Will Eisner est un dessinateur qui pendant plus de 70 ans a profondément marqué la BD aux USA, en créant le plus célèbre détective (« Le Spirit ») et en y popularisant le concept de graphic novel (en France, on appelle ça un album). Cela faisait des années qu'il souhaitait s'attaquer aux « Protocoles », en racontant leur histoire, un siècle de manipulation, de fanatisme et d'empoisonnement de l'esprit. Une histoire complexe, aux multiples intervenants.
Mais une fois colporté par la rumeur dans les milieux les plus radicaux et les moins ouverts d'esprits, quoique l'on fasse pour contrer un gros tissu de conneries, il est strictement impossible de faire comprendre la supercherie. Il n'y a plus rien de rationnel à ce niveau de crétinisme.
Cela a été démontré des dizaines de fois. Et pourtant Hitler s'en est servi comme il a pu, le Ku Klux Klan... Plus c'est gros, plus ça passe.
En contant l'histoire de ce brûlot depuis celle de son auteur originale jusqu'à nos jours, Will Eisner a voulu laisser une œuvre très forte qui pourrait enfin mettre fin à ce mensonge. Peine perdue. Mais au moins il aura tenté, avec le meilleur de son talent. C'est aussi sa dernière BD avant sa disparition il y a quelques mois.
Et non seulement pour le bouquin mais aussi pour ce qu'a amené Will Eisner dans la bande-dessinée Américaine, cela valait bien une longue préface d'Umberto Eco (datée de Décembre ?!?). Et un lien avec « Maüs »