Un film d'animation de Katsuhiro Otomo.
1866, Exposition Universelle de Londres. La Fondation O'Hara profite de l'occasion pour présenter ses dernières avancées en matière d'armement, utilisant les inventions des Steam pères et fils basées sur la vapeur. Ray, le petit dernier de la famille, va devoir se positionner, entre une utilisation pacifique ou belliqueuse de cette technologie de demain.
Seize ans après le monumental « Akira » (film et manga), un nouvel opus d'Otomo débarque chez nous. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on est très loin de la fresque post-apocalyptique de son chef-d'oeuvre des années 80. L'aspect métaphysique est ici abandonné, au profit d'une peinture plus "documentaire" d'une époque victorienne en pleine mutation industrielle. Des angles de réflexion sont bien sûr présents, à savoir la place que doit tenir la science dans l'histoire de l'humanité. Les personnages de « Steamboy » naviguent entre l'usage de la force (utiliser les avancées scientifiques pour créer des bombes, et divers arsenaux militaires, dans une optique sécuritaire), et le maniement de la technologie dans un but de faciliter la vie du peuple (transports) ou de l'émerveiller (machines volantes, parc d'attraction).
Mais ce qui frappe le plus dans ce film, c'est la construction narrative. On peut observer deux parties distinctes : la mise en place avec Ray, à savoir son départ de chez lui, son enlèvement, et sa visite de la tour O'Hara, et la deuxième moitié durant laquelle la Tour Steam se dévoile. Le spectacle total, le coeur du film est symbolisé par cette immense tour à vapeur, érigée comme un phalus, qui se met en branle pour damer le pion de l'armée Anglaise et impressionner les éventuels acheteurs. La comparaison sexuelle n'est à mon avis pas du tout fortuite car on peut considérer la ville de Londres comme la matrice féminine à féconder (les effets du déplacement de l'énorme quantité de vapeur sont en fait la Tamise éclaboussant les rues londoniennes, splendides masses de liquide clair figées par le froid glaciaire succédant à la vapeur libérée, à l'aspect plutôt évocateur). Comme dans une scène de séduction sexuelle, la fondation O'Hara veut charmer les clients montés à son bord. Le film n'est d'ailleurs qu'étalage de la puissance mâle : le personnage de Scarlett dépareille dans un tel environnement : elle est attachée à la beauté du Palais des expositions, et reste liée à l'élément pacifique (le promeneur mécanique, la vue sur la ville, les verrières) de la technologie, même si elle prend plaisir à voir les troupes de la fondation exploser l'adversaire militaire. Elle sera d'ailleurs la seule à manifester un peu de bon-sens quand il s'agira, pendant une bonne partie du film, de réclamer pourquoi Ray est devenu la cible des tirs de la Fondation.
Une fois que la tour s'est élevée au-dessus du champ de bataille, c'est un film plus expérimental qui commence. Le travail sur la représentation de la vapeur est ici utilisé à son maximum. Otomo peut ainsi se lâcher et prendre visiblement son pied dans une énième orgie de destruction dont il raffole (voir aussi les immeubles explosés de « Domu », ou les pulvérisations de Néo-Tokyo dans « Akira »). On entre dans cette phase dans une suite de séquences d'abstraction pure, où tous les éléments graphiques classiques des machineries (cadrans divers, tuyaux suintant, plaques de métal recouvrant les murs, jets de vapeur de part et d'autres des passerelles) n'étant présents que pour indiquer la montée en puissance d'une énergie qui ne demande qu'à sortir. Comme dans les séquences pornographiques de films d'animation comme « Urostukigoji », on assiste ainsi à un coït vu de l'extérieur mais aussi de l'intérieur. Le propos du film est ainsi lié à ce débordement métaphorique : Otomo parle de la capacité d'émerveillement des inventions précipitant leur monde contemporain dans une nouvelle ère : dans « Steamboy », Eddy Steam est fier et certain que sa fantastique invention va inspirer les gens, que les scientifiques ont vu cette fameuse tour, et qu'il est trop tard pour faire machine arrière. Les concurrents sont obligés de créer dans la surenchère, et surpasser ce monstre de puissance.
La tour Steam a littéralement fécondé l'Angleterre victorienne. Le générique en raconte d'ailleurs ses effets : Ray voyage dans les airs via sa machine volante aux yeux de tous, Scarlett participe aussi à l'épopée des découvertes, c'est une véritable suite d'exploits techniques qui défile sous nos yeux. Eddie Steam était un fou destructeur, mais un fou dont l'humanité a eu besoin pour avancer.
(tous les articles ciné et dvd de Thomas Berthelon sont disponibles sur son site).
7 réactions
1 De Da Scritch - 09/01/2007, 12:00
Je n'aurais jamais imaginé qu'on puisse voire l'esthétique steampunk comme étant une pure débauche d'un délire sexuelo-totémique. Je veux bien croire que dans l'Angleterre Victorienne de la Révolution Industrielle, la féminité se fait écraser par les ingénieurs tous masculins, mais quand même... De toutes les analogies fumeuses (pardon, vaporeuses) que j'ai pu lire, celle-ci n'est pas loin des analyses de Télérama.
Ou alors, c'est le t-shirt «69 Academy» et la casquette Marc Dorcel productions qu'il arbore qui ont déteint sur lui.
Tu m'inquiètes, Thomas. J'ose à peine imaginer ce que tu serais capable d'écrire sur «Le Jour le plus long» : un univers masculin pénétrant de leurs armes phalliques une Normandie féminisée violée par des nazis.
2 De Thomas - 09/01/2007, 12:05
Tu oublies que je viens d'une Ecole des Beaux-arts. Je suis formaté, faut le reconnaitre.
3 De Da Scritch - 09/01/2007, 12:18
Ah oui, c'est vrai. Un secteur particulièrement sinistré par des enseignants qui appliquent leur obsession sexuelle sur tout ce qui peut être interprété.
Pauvre vieux. Heureusement que tu étais majeur. Mais tu peux encore porter plainte.
4 De Thomas - 09/01/2007, 18:12
De toute façon, toi, t'as même pas vu le film...
5 De Chris - 21/01/2007, 11:02
Ca n'arrive pas souvent, mais... je suis entièrement d'accord avec le sieur Da Scritch : Analogies "vaporeuses", mauvaise influence de Dorcel Production (damned ! maintenant que j'ai la même casquette, que va-t-il advenir de moi ?! )... Je partage son inquiétude...
A part ça, deux petites fautes d'orthographe : "Phallus" s'écrit avec 2 "L", et pour avoir osé écrire "Urostukigoji" au lieu d' "Urotsukidôji", tu mériterais de le voir une deuxième fois ! :p
6 De Da Scritch - 21/01/2007, 11:34
D'abord, ça s'écrit 『 超神伝説うろつき童子』 et moi, je les ai vus en VO version longue en 1994.
Alors 『camembert』, hein...
7 De Thomas - 22/01/2007, 14:46
Le D et le G sont placés à côté sur le clavier.
Ceci dit, je persiste modestement à penser que ce que j'ai écrit n'est absolument pas fortuit. Mais je respecte l'opinion de ceux qui n'y ont pas vu la même chose que moi.