Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 5 Juin 2010.
Jacques Martin, dessinateur d'« Alix », « Jhen » et de « Lefranc » nous a quitté en début d'année, mais pourtant, nous sommes assurés que ses séries vont continuer longtemps, car c'était une volonté de l'auteur de former la relève et d'assurer que son œuvre ne dépérisse pas, cadenassée par un quelconque testament. Il a été le chef du studio Tintin, et était donc bien placé pour juger la décision d'Hergé de ne pas laisser ses assistants continuer les aventures de son reporter.
Et justement, à propos de reporter, c'est avec la première aventure de Lefranc, « La Grande Menace » que Jacques Martin a pu entrer dans l'équipe d'Hergé. Mais abordons plutôt l'histoire du présent album :
Prenant des vacances très mérités, le reporter Guy Lefranc est parti goûter à l'ambiance très grand spectacle d'Hollywood : grâce à un confrère du Hollywood Reporter, il peut assister à la remise des Oscars. Une soirée avec des stars, du glamour, mais aussi des imprévus : Un illuminé monte sur scène et balance des tracts au nom de l'Église de la Foi et du Pardon. Une secte qui semble très active sur Los Angeles, approchant nombre de journalistes, dont notre frenchie en vacances. Et il semble que leur profession de foi est lié à des attentats dans le milieu du cinéma.
Mais qu'est-ce qui n'est pas du cinéma à Hollywood ? Entre les stars qui cocufient leurs producteurs, les nababs, les faux-semblants et les villas de rêves ?
Lefranc va donc bien malgré lui devoir changer le programme de ses vacances pour découvrir quel est le plan de la secte, et pourquoi elle s'obstine à écrire « Holywood » avec un seul “ l ”.
Par contrat donc, nous sommes assurés d'avoir un album par an d'« Alix », de « Lefranc », de « Jhen , d'« Orion », etc... Toute cette ribambelle de héros à travers les âges, chacun assuré d'un album par an, cela donne une production impressionnante pour les repreneurs, surtout que Jacques Martin s'était fait remarquer dans la bd Franco-Belge en mettant techniquement la barre très très haut. Ce nouvel opus du journaliste, premier après la disparition de son créateur, était donc plus qu'intéressant, car j'avais rencontré Jacques Martin quand il venait de nommer ses dauphins pour ses prestigieuses séries. Christophe Simon ayant cédé place à André Taymans (auteur du « Cahier bleu », de la série « Caroline Baldwin » et plus récemment de « Ban Mânis »), je m'attendais à ne pas bouder mon plaisir.
Pourtant, je suis resté sur ma faim...
Parmi les déceptions, il y a eu la tentation du rétro. Les aventures de Guy Lefranc créées par Jacques Martin, puis dessinées par Bob de Moor puis Gilles Chaillet, ont toujours été contemporaines de leur époque de publication, dans les thèmes d'actualité comme la course aux armements nucléaires, la déstabilisation économique, le danger biologique ou le terrorisme politique. Ici, nous sommes revenus dans les années 1950s depuis qu'André Taymans a repris les reines de la série avec « Londres en péril ». Et le péril est justement là : qu'on compare cette reprise backwards de « Lefranc » avec... « Les aventures de Blake et Mortimer ». Car cette autre série subit le même traitement, peut être idéalisée par les éditeurs et une partie du public dans un Âge d'Or de la BD Franco-Belge. Étrange coup du sort de rapprocher ainsi les deux séries car justement Edgar Jacobs aurait vu à l'époque d'un œil noir l'arrivée de la série de Jacques Martin dans le journal de Tintin.
Ensuite il y a l'absence de Jeanjean, le jeune garçon qui suivait Guy Lefranc dans ses aventures. Peut-être une décision éditoriale, la crainte d'un amalgame mal placé avec la pédophilie qu'il est tant à la mode de voir partout... Il est vrai que Jeanjean avait été demandé par l'éditeur de l'époque pour que les jeunes lecteurs de l'époque puissent d'identifier aux personnages de l'aventure, comme il était possible via le Prince Enak dans « Alix ». Oui, mais, comme le disent les pages roses du dico, « O tempora, o mores ! »
Il y a aussi la caractérisation des traits de Guy Lefranc. Son visage est dur, anguleux, angoissé. Ça lui va moyen...
Le bon point, c'est que justement, nous avons une aventure sans la némésis, l'archi-ennemi du journaliste, l'esprit démoniaque d'Axel Borg n'intervenant pas dans l'album. Et bien évidemment la couverture qui profite de l'escale Californienne pour un hommage appuyé à Hitchcock. « La Mort aux trousses » était sorti en 1959... un autre rapprochement.