Alors que l'industrie du Neuvième Art est en train de s'esbaudir sur la croisette Angoumoisine, je souhaiterais rendre hommage à Gilda Raffelli. C'est un nom qui vous dira pas grand-chose, c'est celui d'une libraire BD. Plus exactement c'est la patronne de la librairie Arcades, sise en face du Capitole.
Une librairie toute petite, qui paie pas de mine, qui consacre la moitié de sa petite surface aux journaux et magazines.
Car la BD, elle l'a commencé par hasard, sur recommandation d'étudiants qui cherchaient à se procurer les albums de « La Rubrique à Brac » de Gotlib. Et au fur et à mesure, elle a commencé à commander d'autres albums, puis à fournir d'autres libraires de la région et des bibliothèques publiques.
Arcades devenait une librairie spécialisée BD, l'une des toutes premières en France, grillant de quelques mois la politesse à la si mythique Futuropolis. La plus ancienne toujours active, c'est la Parenthèse à Nancy. La toute première purement BD, c'était en 1966 à Paris, et elle s'appelait Le Kiosque. Tiens, encore un point presse. À l'époque la BD se consommait en illustrés, très rarement en albums. Le Journal de Mickey, celui de Spirou, Pilote,… régnaient en maîtres, tandis que la censure venait d'interdire Les 4 Fantastiques qui venaient de débarquer dans Fantask. Puis les albums ont explosés, puis les magazines de prépublication BD ont disparus. Depuis 40 ans, la surface d'Arcades n'a presque pas bougé, et les rayonnages rivalisaient d'imagination pour proposer leur offre dans les rares mètres carrés qui n'étaient pas occupés par les journaux étrangers ou les revues.

Je suis passé la voir Jeudi, par politesse tout comme par amitié car nous nous connaissons depuis pratiquement 18 ans. Elle me racontait qu'elle en avait marre des interviewes, d'être prise en photo (c'est pour ça que je n'en mettrais pas) que la dernière était pour Métro. Plutôt ironique qu'un journal gratuit distribué par porteurs des fois devant son commerce fasse un article sur la fermeture d'un point presse.

Une rumeur prétendait que cette toute petite librairie sise Place du Capitole vend le plus de BD au m² en France. Et comme c'est un point de vente de presse, il faut imaginer qu'il y a quelqu'un dès 5h du matin pour recevoir les journaux et magazines, et qu'on voyait souvent la boutique allumé même fermée après 21h. Ça vous donne une idée du rythme de travail. Sans compter l'immuable arrivée du journal Le Monde à 17h. La petite pancarte « Le monde est arrivé » accrochée à l'entrée, vous aviez quelqu'un de la mairie qui arrivait pour prendre la moitié du tas.
Mais tenir un point presse occupe aussi au point de rarement prendre des vacances. L'envie de prendre du repos devait lui trotter depuis un temps, puisque cela fait deux ans qu'ils parlaient de revendre les locaux. Monsieur Raffelli lui a quitté la boutique depuis un temps. Madame Raffelli avait toujours la passion de son commerce, son sourire illuminant la boutique mais...

Visiblement, ça devait lui faire drôle de dire à des clients que non, tel ouvrage elle ne l'a pas, et qu'elle ne le recommandera pas. Comme ça, en plein festival d'Angoulême, elle va tirer la grille d'acier une dernière fois, et laisse la place à un glacier Italien.
Son fils avait préféré tenter l'aventure dans un magasin d'informatique, la fille avait lancé la librairie Bédéciné, distante d'une vingtaine de mètres, mais a vite délégué la gestion. Cette librairie a depuis intégré le groupe des librairies Album.
À 70 ans, faute de repreneurs pour la librairie Arcades elle-même, M. et Mme Raffelli ont dû se résigner à vendre la surface commerciale, fermant de fait une enseigne où la relation client, le conseil étaient important, tout comme la joie et le respect de recevoir des auteurs en dédicace.

Donc par ce petit brin de discussion où je remerciais de ses conseils et de son amitié Gilda Raffelli, je lui ai dit qu'elle aurait enfin la possibilité d'assouvir le fantasme des librairies : lire les BD qu'elle a vendu. Elle m'a dit qu'elle se jetterai avec impatience sur « Magasin Général », car elle avait fait la promesse à Régis Loisel de le lire.
C'est ça, un peu le paradoxe d'une librairie BD qui a organisé bien des séances de dédicaces et qui était amie des auteurs qu'elle invitait : Elle n'a presque jamais eu le temps de lire les livres qu'elle conseillait.

Aujourd'hui Samedi, à 20h, fermera la Librairie Arcades à Toulouse.
Pour madame Rafelli, je ne peux que lui souhaiter de profiter d'un repos bien mérité pour ouvrir quelques livres.
À la revoyure, Gilda !