Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 26 Février 2011.
C'est le dernier tome de cette trilogie autobiographique. Élément rare et plutôt improbable où un dessinateur de presse relativement réputé dans son pays raconte dans cette œuvre exclusivement destinée au public Européen la vie de ses parents et sa propre vie, et par la même, les milles bouleversements qu'à connu la Grande Chine depuis 1948.
Avec un parti pris graphique original, cette histoire demandait au lecteur blanc-bec de s'investir, de dépasser la couverture et de comprendre les acteurs de cette vie avant de les juger.
Dans les deux premiers opus, on faisait connaissance du père de Li Kunwu, commissaire au peuple chargé d'apprendre aux paysans les bienfaits de la révolution. C'est un cadre du Parti en pleine ascension, charismatique, et qui transmet bien sûr à ses enfants son enthousiasme communicatif. C'est donc avec la joie au cœur et l'ensemble des autres villages qu'ils ont participé au Grand Bond en Avant qui mèneront ce continent à la famine. Puis il y eu la Révolution Culturelle, où les origines bourgeoises de la famille de Kunwu mèneront son père au discrédit, condamné à se faire ré-éduquer dans un camp.
Li Kunwu raconte ensuite ses années comme soldat, qui correspondent à la dernière décennie de Mao Zedong, ses errements, l'incompréhension face à un pouvoir centralisé qui n'arrive plus à donner l'impulsion révolutionnaire, et enfin les incertitudes de la difficile succession du Grand Timonier.
Le troisième tome s'ouvre à l'aube de l'ère de la prospérité. Les réformateurs prennent le pouvoir avec Deng Xiao Ping, chassant les derniers fidèles à l'idée de Mao Zedong prêts à relancer la Chine dans un chaos. C'est une libéralisation économique, la possibilité de tout-un-chacun des prolétaires de pouvoir réussir, faire de l'argent et devenir officiellement petit-bourgeois certifié communiste en créant son affaire voire en racheter des usines. Les années 1980s, c'est le grand galop pour tous les Hommes qui en voulaient pour faire de l'argent. La Chine va passer d'une super-puissance totalement agraire et sous-développée, en dragon naissant de l'Asie. Oui mais voilà, tous les hommes avides de réussite ne réaliseront par leurs rêves. Certains s'en sortiront très haut la main, et d'autres qui croyaient faire une bonne affaire se feront exploiter et resteront dans l'ombre.
La fin des années 1980s c'est la lointaine chute de l'Europe de l'Est, puis de l'URSS, mais sans que cela face quoi que ce soit à la grande Chine Communiste.
Mais c'est aussi les évènements de la place de Tien An Men en 1989. Le Printemps de la Liberté qui se tiendra sur la plus grande place au monde, un étudiant qui arrivera à arrêter les chars de l'armée, puis la révolte écrasée et tous les contestataires envoyés dans les centres de ré-éducation par le travail.
Mais la Chine est un très grand pays, et en fait, de ces évènements, très peu d'échos arriveront en-dehors de la capitale.
Car il raconte ce qu'il s'est passé, mais surtout de ce qu'il a vécu. Et le dessinateur auto-biographe discute avec son scénariste, ami soit, mais Européen. Et en même temps, montrer une certaine critique vis-à-vis de ses concitoyens, qu'il faudra patiemment lire. Pour une fois dans cette trilogie, Li Kunwu va peut-être quitter son rôle de simple témoin de sa vie. Mais sans plus, il refuse de prendre position pour dire s'il a fait quelque chose de bien ou de mal. Il va juste dire la vérité : il n'y était pas, et malgré une presse foisonnante, l'information est restée bien contrôlée par le Parti.
Mais on le sentait déjà dans les deux premiers tomes qu'il racontait des choses qui se savent car elles ont été vécues par une population entière, mais qu'on se refuse à re-évoquer. À la fois car elle ne correspondent pas à l'histoire officielle qu'aimerait écrire le Parti, mais aussi par un besoin de pudeur.
Et puis la conclusion, l'histoire de son voyage en France, un réel pèlerinage pour un membre sincère du Parti Communiste, car il va visiter les lieux et rares monuments consacrés à la Commune à Paris. Et aussi le festival de la BD à Angoulême, qu'il raconte être un choc aussi énorme que quand il a appris tardivement que l'homme avait marché sur la Lune. Un témoignage sincère quand on voit la fidélité avec laquelle il reproduit les linéaires d'albums franco-belges.
À la fin de son histoire, la Chine Communiste fête donc les 60 ans, dans la liesse des J.O. et on arrive à la fin de cette trilogie, qui nous a fait découvrir un univers, deux vies, l'histoire de trois générations. Cette Chine qui court pour rattraper en 25 ans plus d'un siècle de retard, prenant cette année la place de deuxième puissance économique mondiale.