Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 10 Septembre 2011.
Les attentats du 11 septembre 2001 ont durablement marqué les États-Unis, jusque dans leur mythologie.
La télévision s'est arrêtée (la diffusion du premier épisode de « 24 » qui devait s'ouvrir sur un attentat dans un avion fut même encore plus retardée le temps de retourner une partie du scénario), les films mis en suspens (notamment un Schwarzy, « Dommage collatéral » où un pompier se venge d'un terroriste). Puis les séries reprirent, notamment par les hommages touchants de « Third Watch » (« New York 911 ») et de « West Wing » (« À la Maison Blanche »). Les super-héros dédièrent des comics magnifiques, où ils sont face à leurs propres doutes.
La série « Third Watch » (« New York 911 ») ronronnait, jusqu'à l'acte de bravoure des pompiers de New-York. Les pompiers sont devenus de nouveaux héros, avec d'ailleurs de nombreuses télé-réalités sur le modèle des cop-shows qui leur furent dédiés, mais cela ne dura qu'une saison. Car finalement, les pompiers ont des actions beaucoup moins télégéniques que des policiers.
Mais sont aussi arrivés des héros ambigus. Jack Bauer de « 24 » en est un, John Kilmer d'« Agence Matrix » un autre : ces patriotes sauvent tous les jours leur pays de sombres menaces terroristes, et n'hésiteront pas à torturer un compatriote si leur douleur peut sauver la vie de dizaines de concitoyens. Leurs actes sont inexcusables, anticonstitutionnels. Ce sont des héros qui ont perdu leur innocence, à la limite de virer salaud à tout moment, pourvu que le plus grand nombre soit sauf.
Pendant 5 ans, la fiction soutenait ouvertement cette Guerre à la Terreur. Dans la première saison de « NCIS », Gibbs dit à un terroriste arabe qu'il interroge à Gantanamo que finalement c'est un camp de vacances. C'était avant que sortent les premières photos du camp “spécial” qui allaient déclencher une indignation mondiale.
Il y a aussi ces héros gardiens ordinaires de la démocratie. Dans le premier épisode de « Lie To Me », le docteur Lightman lie les mensonges sur les visages, et recrute Ria Torres, une des "visagistes" de la TSA (l'agence créée en 2001 pour sécuriser les aéroports) sur ses “résultats exceptionnels”. C'est extrêmement drôle quand on sait que depuis 5 ans, la TSA est miné par des scandales à répétitions, le manque total de formation de ses agents, les atteintes inadmissibles à la sphère privé dont ont été victimes bon nombre de citoyens ordinaires, voire même les accidents plus ou moins graves causés par la négligence des agents de la TSA.
Mais l'ennemi peut être intérieur : dans « 24 », de nombreuses fois l'entourage du Président complote contre lui, Michael Westen de « Burn Notice » est mis à pied au début de la série, et l'outrage ultime arrive dans « Jericho », où les bombes atomiques qui brûlent la nation Américaine ont été armées par ses propres dirigeants.
Finalement, le terrorisme devient un prétexte d'un flicage violent, sans limites, d'un état fascisé par ses peurs et ses contradictions. Des films comme « Ennemi d'État » ou « Complots » sont sortis AVANT 2001, mais semblent d'une actualité encore plus brûlante après coup.
Et on ne parlera pas du volet des guerres "extérieures" en Irak et en Afghanistan , surtout que cette partie a été superbement traité du côté... opprimé (!) dans la 3ème saison de « Battlestar Galactica ».
Dans l'étude Prime Time Terror publié par le Norman Lear Center cette semaine, des universitaires ont étudié 49 épisodes de 10 séries dites de prime-time, à savoir diffusées l'année dernière entre 20h et 23h : « NCIS », « CSI: Miami », « 24 », « Law & Order », « House », « The Good Wife » et leurs séries filles franchisées.
Étonnement, les stéréotypes raciaux ou culturels tels qu'on les a connus à la TV il y a 10 ans ont disparus. Les "ennemis" sont devenus suffisamment ambigus pour que le délit de sale gueule passe moins bien. En fait, la méthode magique du Dr Lightman est très marginale : chacun a ses ambiguïtés. Leur montage vidéo est stupéfiant :
Dans l'ensemble des statistiques l'équipe du Norman Lear Center en arrive à une conclusion étonnante : moins de stéréotypes, et finalement, la fiction est plus proche de la réalité qu'il y a dix ans :
Nous ne nous étions pas fixé comme tâche d'évaluer l'exactitude de ces situations, mais à établir une analyse commune de ce qui y était exactement raconté. Quand nous comparâmes ce que nous avions trouvé aux statistiques de la Guerre à la Terreur et la Guerre à la Drogue [politique de répression agressive et d'interventionnisme en Amérique du Sud lancée par Nixon en 1971], nous avons découvert que la fiction TV est plus proche de la réalité que des stéréotypes sur l'apparence des terroristes et des drogués et la consommation réelle de drogue aux États-Unis. Néanmoins, il nous est apparu que ce qui est victime de la salle de montage sont les mécanismes basiques de notre système judiciaire : La lecture des droits Miranda (votre droit à vous taire et à un avocat), la présence d'avocats dans les interrogatoires, les procès et peines.
- Dans l'esprit du public, les terroristes sont principalement des Arabes Musulmans du Proche-Orient. Dans les séries étudiées, les terroristes étaient la majeure partie du temps des Américains de race blanche,
- Malgré le fait qu'une majorité d'Américains soutiennent le profilage racial dans les aéroports (par la TSA), pas un seul des suspects de trafic de drogue ou de terrorisme ne sont profilés racialement dans ces épisodes,
- Même si 63% des Américains sont partisans de techniques agressives d'interrogatoires, dans les fictions, les agents gouvernementaux s'en servent rarement, et elle n'est jamais efficace. (À l'exception de Jack Bauer qui explose les stats à lui tout seul),
- Les consommateurs de drogue ne sont pas décrits comme des méchants, et ne sont finalement jamais arrêtés ou traînés en justice,
- Malgré la réelle omniprésence des Afro-Américains et autres minorités dans les prisons US pour usage/vente de stupéfiants, les dealers et producteurs de drogues sont dans les fictions principalement des blancs,
- Dans les 49 épisodes analysés, les droits Miranda ne sont jamais lus aux suspects de trafic de drogue ou de terrorisme.