Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 29 Septembre 2012.
Actuellement, l'industrie du cinéma à Hollywood a plus tendance à produire des films à très gros budgets qu'à budget moyen. Y'a pratiquement plus rien pour les budgets entre 15 et 100 M$. Il se trouve que se sont des films plus rémunérateur, puisqu'on a soigneusement étudié leur impact public, ce que l'on appelle le ROI, le retour sur investissement.
Ben oui, mettre plusieurs centaines de millions de dollars sur 90 minutes de script, y'a pas intérêt à se planter.
En général, les équipes commerciales sont très impliquées sur le projet. La pratique popularisée dans les années 1980s des projections tests, aka focus group, montre combien un film peut être remanié non pas selon la vision des scénaristes ou du réalisateur, mais d'un panel de clients de supermarchés dans le Middle-West Américain.
C'est pas un secret : les DVD sont pleins de scènes coupées, de fins remaniées etc… Et bien souvent, on adhère mille fois plus au montage director's cut d'un film (par exemple, la fin du remake de « Je suis une légende », ou l'intro de « Superman return ») qu'a celui susceptible de plaire au Saturday shopper vivant à Desmoines.
Enfin ça, c'est parce que vous, audilecteurs du Supplément Week-End, vous êtes en quelque sorte une élite éclairée. Eh oui, je sais, ça fait mal.
Seulement, les commerciaux, bien souvent, ils connaissent mieux les ratios R.O.I. par marchés et canaux de distributions que l'œuvre elle-même. Fusse-t-elle archi-connue et à la base de la très grosse entreprise qui les salarie.
C'est donc l'histoire pathétiques de commerciaux de chez DC en charge des adaptations cinéma. Ils sont peut-être contents des hauts revenus générés par la trilogie Batman de Nolan, mais ils sont surtout jaloux du « Avengers » de la Marvel, avec sa cohorte de héros donc de films franchisés.
Or donc, lors d'une réunion de marketeux de la Warner, y'en a un qui a eu l'idée brillante d'aller demander à des clients d'une boutique de BD ce qu'ils penseraient d'un film « Justice League ». Lequel film est prévu pour 2014.
Oui, mais attention, pour avoir les réponses spontanées, ce qui passe dans les neurones d'un client, il ne faut pas qu'il se méfie et qu'il croie que vous êtes comme lui. On apprend ça en étude marketing, première année. Le mieux étant de se faire passer pour un autre client (J'en parle d'autant mieux que je l'ai fait plus d'une fois). « Ah ouais, super ! Allons-y… » dit alors le chargé marketing en chef de la réunion.
Nos commerciaux ont mis des t-shirts de héros DC. Les t-shirts traînaient dans un coin d'un bureau. Première couffe : les t-shirts tout neuf que tu as mis depuis moins d'une heure, ça se voit à la marque du pli, là. Si en plus ce sont des prototypes pas encore ou jamais commercialisés, le propriétaire du comic-shop, il va le voir.
Donc un certain nombre de personnes se faisant passer pour des lecteurs de comics entrent dans un magasin spécialisée de BD, et au bout de deux minutes commencent à poser des questions aux clients et habitués. Oui, mais des questions du genre : « Quel superhéros de film a une bonne page facebook ? », « Les fans pensent quoi de Aquaman ? Il est nul, hein ? », « Pensez-vous que les fans de comics accepteraient un film de superhéros sans l’implication de Nolan, sinon en tant que producteur ? »
D'ici, vous entendez les "pouic pouic" que font les yeux des gens dans la boutique.
« Quel impact ont les films sur les ventes de comics ?
— Négligeable, à moins que cela soit un héros méconnu
— Oh ! comme Jonah Hex. »
…
Là, vous imaginez dans le magasin ce qu'il faut bien appeler un silence de mort. Parce que, entre nous, le cowboy Jonah Hex ou Green Lantern, c'est pas franchement les membres de la Justice League top appréciés par les lecteurs de comics…
« Qu’est-ce qui est considéré comme la meilleure équipe Justice League et qui fonctionnerait en film ?
— Vous voulez parler du film qui sort en 2013 ?
— Non, Justice League sort en été 2014. »
Donc le mec en face de toi a un t-shirt tout neuf que t'as jamais vu, est incapable de connaître les origines du héros qu'il a sur son t-shirt, qui ne s'arrête même pas devant une planche originale de Jack Kirby, mais peut te donner au trimestre près la date de sortie d'un film dans deux ans dont personne ne connait encore le réalisateur et les acteurs. Quand on tient un shop à trois blocs d'un immeuble de bureaux de la Warner, y'a pas besoin d'être devin.
et ma préféré :
« Quel film DC devrait faire ?
— Ils devraient faire comme Marvel. »
Là, je vous dis pas le regard hyper-noir de la meute des commerciaux et les rires goguenards dans l'échoppe. Et c'est à ce moment-là que, non… franchement :
« Quelle serait la réaction des fans à un film Justice League avec le nom de Frank Miller sur l'affiche ? »
Ça, ça s'appelle un aveu. Un gros leak. Merci pour l'info, les gars.
Cette ridicule affaire nous permet de toucher du doigt une partie de la production hell, cette période où les films sont en suspend pendant dix ans : le cycle de réunionite aiguë des marketeux.