Été 1999, j'étais salarié de Radio <FMR>.
Si je commençais à 10h en tant que coordinateur d'antenne, je ne décrochais pas à 19h, m'étant impliqué dans l'organisation de nombreuses soirées principalement drum'n'bass et électro expérimentales. J'étais avec une bande de copains, la radio avait sur son antenne un groupe de DJs assez généreux, et des noms qui étaient aussi bien connus par le public festif (Le Lutin, DJ Kush, Youthman) que par le public exigeant (Doctor Livingstone, Circlips). J'avais souvent du Ninja Tune, du Warp, du Vendôme Records et du Moving Shadow dans ma besace pour mes émissions persos.
À 27 ans, on est foufou, et l'énergie créative autour de la radio donnait une sérieuse envie de secouer la scène artistique.
DJ Kush avait monté le Dragon Krew, un noyau dur d'organisation de soirées avec MC Youthman, Brooks, DJ Peyo, il y avait aussi le groupe Kapsaïcine qui faisait les soirées Kitty style
, ou encore le collectif Massage auditif (Doc Livingstone, Peyo, Aurel, Sam Lawry), et moi j'oscillais autour en roadie.
Yep, moi, le toubab de bonne famille, je m'encanaillais en allant bricoler chez Le Lutin, qui des fois se lançait dans des sets sans prévenir, avant d'aller redécorer la cave d'un bar rue des Filatiers.
Et pour le passage à l'An 2000, on savait qu'on pouvait proposer une soirée au Bikini, la boite de nuit rock de Toulouse, à l'époque au 54 chemin des Étroits, route de Lacroix-Falgarde juste en face de l'usine AZF. Ce n'était pas la première fois qu'on y faisait des opérations étranges et folles : entre le concert d'Amon Tobin avec du gazon déroulé sur le dancefloor ou la finale de la coupe du monde 1998 animée par Sportaz de Radio Campus, ou les soirées d'Halloween (qui correspondaient avec l'anniversaire de Kush, je ne vous dis pas le frisson de faire chanter joyeux anniversaire
à 1000 personnes). Plus le studio antenne de Radio <FMR> logé dessous nous permettait d'y faire des transmissions live. Alors plutôt que faire sa soirée avec loto à filet garnis, suivie de DJ Fabrice (Sansonnetto) aux platines, et la soupe à l'oignon à 10h, on a fait une proposition au maître des lieux : 4 platines en back-to-back (une disposition plutôt rare à ce moment-là), 22 DJ soit du très festif drum'n'bass, soit de techno expérimentale, 2 MCs, et un prix raisonnable car tout le monde voulait faire la fête.
Le line-up a été monté très vite, venant de toute la France et au-delà : beaucoup connaissaient la scène de Toulouse et son public enthousiaste. Avoir Future Cut et Marcus Intalex montrait sa reconnaissance à l'international.
Un flyer hors-normes
Et là, je ne sais plus quand tout a dérapé…
Kush a fait tirer un flyer en papier cartonné, recto-verso, format A4. Je crois que le tirage était de 1000 exemplaires, et forcément, devenu très vite mythique, collector. Il n'y a pas que son support qui détonnait : Son dessin par Alphabet City sous Illustrator (à l'époque, les flyers se faisaient plutôt avec Photoshop ou Quark X Press), son design lean inspiré des The Designers Republic. Et rédigé en Anglais, car l'objet promotionnel était aussi destiné à des partenaires internationaux. Son format faisait qu'on arrivait même pas à le mettre dans les porte-cartes des magasins ou les tablettes trop étroites, et on hésitait à le scotcher au mur pour pas que l'impression soit déchirée en retirant le scotch. On n'a fait que le mettre dans quelques magasins, et on l'a annoncé en radio.
À l'époque, le web balbutiait, pas de Facebook, ni même encore de MySpace, le flyer était le principal moyen de communication, avec les émissions radios et les gratuits culturels locaux comme IntraMuros. Et parfois les mentions sur la télé locale, TLT avait une grosse tranche culture le Vendredi.
Donc je ne sais pas si vous voyez le niveau de bêtise : tirer un flyer très cher, et annoncer à la radio pour dire qu'il existe mais que dans certains magasins. Pour une soirée unique. Où l'on ferait soirée blanche, je crois même que l'orga a perdu des sous.
L'événement lui-même fut hors-norme
Gare Matabiau, le 31 à 14h. Il pleut littéralement à verse et j'attendais l'arrivée de Rykkk's. Kush m'avait prévenu, il a du style : costume impeccable, fly-cases élégants… On embarque dans ma Panda sous une pluie battante depuis la gare pour rejoindre la salle de concert. Rykkk's sur le chemin me dit Oh ! Arrête-toi à cette boulangerie, j'ai la dalle, je me prends un sandwich
. Il y restera 15 minutes, en sortira hilare avec 4 gros cartons : C'était une pâtisserie, il venait de dévaliser ce qui n'était pas encore vendu, de superbes gâteaux pour le backstage. Rien que la perspective d'un Lutin à la coupe rasta se faire une religieuse au chocolat faisait marrer.
On avait monté un décor avec tout ce qu'on avait trouvé de fou à y mettre, j'avais sorti mon Amiga avec un animation pour le passage à minuit (hélas, le cable vidéo était trop court pour atteindre le vidéo projecteur). Je me souviens encore d'Hervé qui arrive alors que j'étais à 8m de haut : Putain qu'elle coutent chers, ces conneries
. Une dizaine de kilos de confettis professionnels. On en a mis partout. Des décorations partout. Il nous a bien fallut 3 heures pour toutes les installer.
J'ai hélas aucune photo.
Sur l'orga non-artistique, on se relayait entre tenir l'entrée, les vestiaires, calmer ceux qui ne savent pas faire la fête et souffler derrière la scène, ou plutôt dessous. Les petits plats, les gâteaux, et le champagne fourni par le patron, mais forcément avec modération car on avait du taf. Je crois me souvenir que le lendemain midi, on était tous crevés, mais heureux.
La gueule de bois
Les soirées ont très vite périclité par les coups de buttoir de la Mairie de Toulouse qui voulait calmer des comités de voisinage
souvent noyautés par le Front National et de la Préfecture trop impatiente de passer les heures de fermeture de bars de 2h à 23h. Les fantastiques muraux des Hanky Panky Girls ont été recouverts d'une couleur rose-orange flashy, plus conforme aux incompréhensibles prescriptions des Monuments de France. Et y'a eu en moins de 10 jours les attentats du 9/11 et l'explosion d'AZF. Voilà qui a tué l'esprit de la fête. La modeste movida de Toulouse (d'oùla radio Le Mouv
tirera son nom) s'est réduite en peau de chagrin et fêtes industrialisées. J'ai vieilli aussi, et il fallait laisser sa place aux générations d'après. Un jour, Nostalgie aura un créneau horaire pour les mix technos.
Je me suis impliqué dans des événements moins festifs, et des combats politiques.
Car 20 ans après... Le futur riant que promettait l'An 2000 tourne à la dystopie de Talsorian's Cyberpunk 2020.
Reste ce flyer, superbe. Je croyais n'en n'avoir plus qu'un abimé. Je suis retombé sur mes archives de l'époque, miraculeusement préservées.
Fallait que je vous le scanne.