La matinée était pluvieuse, et le site dont je m'occupais était une fois de plus en panne.

J'étais descendu pour voir Pascal, un des administrateurs, que j'avais enfin mobilisé afin de comprendre pourquoi mes articles disparaissaient spontanément. De bonne guerre, on s'envoie les vâcheries d'usage, mais au moins, on a une chance de démêler le brol programmé en vrac.

10h18. Pan sec

les néons s'éteignent, les moniteurs font une saute d'image, des dalles du faux-plafond basculent, la porte de sécurité claque, par réflexe, tout le monde va s'accroupir et

puis

souffle

toutes les fenêtres explosent, les portes tombent, tout s'éteint, apocalypse, hurlements...

Certains courent. Pascal me prend par l'épaule pour me faire sortir. L'escalier est noir de monde, mais la descente se fait en quelques secondes.

Arrivé comme tout le monde en trombe sur le parking, on voit un gigantesque et inquiétant nuage orangé et noir. Tout le monde se doute ce qu'il s'est passé... AZF. Et pas la SNPE heureusement (nous ne serions plus là pour en parler). Nous nous regardons, ahuris. puis les gens parlent de rentrer chez eux. Impossible de joindre qui que se soit par portable, exceptés des chanceux par SMS. À aucun moment nous n'entendîmes une sirène de la sécurité civile. Le patron préfère que tout le monde rentre.

Les voitures qui viennent en face de Bagatelle ont une épaisse couche de cendre. La traversée du rond-point complètement bloqué me semble irréel.

Station Mirail Université : Métro arrêté, une foule gigantesque se presse devant l'entrée, en vain. Voyant de loin la scène, je préfère rebrousser chemin. Je tente de faire de l'autostop. À l'école primaire en face, les mamas angoissées hurlent aux grilles pour qu'on leur rende leurs enfants. Leurs cris me font encore frissonner. Un gars me prend mais insiste pour prendre la rocade plutôt que partir vers Portet. Je proteste, et ça manque pas : trente minutes pour faire 20 mètres.
Merci pour la ballade, je repars à pied.

Retour à la boîte.
On était une dizaine : Patrick, Amina, Anthony, Alain, Jérémy, Éric, Marie-Line... Quel intérêt de partir vers la ville ? On voit de loin un nuage blanc allant vers le centre, qui nous fait angoisser : phosgène ? Du troisième étage, on devine la tour rouge et blanche... Ceux qui comme moi y ont travaillé en restent pantois. Certains l'ont échappé belle : Alain qui a manqué d'être écrasé par la vitre blindée, Sandrine protégée des débris par des stores, mon bureau balayé par des éclats de verre fichés dans la cloison qui s'est retournée... Même les blessures sont bénignes.

Pendant ce temps, les consignes indiquées en cas d'évènement semblent dérisoires : les gens cherchent désespérément Radio France Toulouse sur 95,2 FM comme indiqué sur l'annuaire. La fréquence fut ré-attribuée à une radio qui émet de Toulouse, mais qui diffuse un programme musical national sans intérêt.

Quant aux radios locales, la consigne de la Préfecture à faire passer est « restez calfeutré chez vous »... alors que les vitres ont volé en éclats ? Je ne le saurais que plus tard, mais le studio de FMR, sous le Bikini, avec vue directe sur la Chimie, n'existe plus. Coup de bol pour Alexandra qui arrivait au parking au-dessus.

Midi. Beau temps éclatant. Les nuages furent soufflés. Pique-nique sur le parking avec les rondes inquiétantes de motos et de voitures fracturées chez les concessionnaires environnants. On a mis en sécurité les ordinateurs importants, fixé les portes comme on a pu, déblayé, et attendu le renfort d'amis à Jérémy.

Je suis revenu chez moi en soirée. Je crois que j'avais été rapproché par un ami, et que j'ai marché dans les rues jonchés d'éclats. De mon appartement à Arnaud-Bernard, ma sœur Camille a senti le boum dans son sommeil, ma tante Renée eu droit longtemps à un gros cocard... mais, nous eûmes chaud. Je n'ai vu les images des dégâts que le lendemain et j'avais encore du mal à réaliser. J'avais vu le 11 Septembre par des feeds satellites irréels, trop nets et propres... mais là, je ne reconnaissais plus ma propre ville natale.

C'était un Vendredi. Je devais prendre mes premières vacances dans cette boîte. Les premières soirées du Printemps de Septembre étaient tristes, le choc général. Trois jours plus tard, je partais retrouver Laurent et Rieko. À Tōkyō, les journaux parlaient elles aussi d'un drame survenu le même jour : l'incendie d'un bar de Shinjuku dont les issues étaient bouchés par des détritus, une vingtaine de victimes.
Autre scandale, autres morts.