Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 17 Février 2007.

Intro de l'émission

Promis juré, dans cette spéciale, il n'y aura pas d'aliens qui ressemble à des acteurs dont on aura “agrandi” le front pour les faire paraître vaguement plus intelligents ou des invertébrés cahoutchouteux : La science-fiction est un genre magnifique, beau et qui fait rêver.

Par définition, la science-fiction est le genre qui se démode le plus vite. Ben oui, puisqu'elle invente des évènements qui auront lieu... ou pas. Alors quand le futur est passé, ben euuuhh... Mais pour célébrer l'avant-dernier numéro d'une de nos séries fétiches, il fallait qu'on fasse une spéciale autour de la SF spatiale, héroïque, celle entre le space opera et la hard science.

C'était la grande ère héroïque, l'épopée pyjama coupe Star-Trek. Mais avec le réchauffement climatique, l'uniforme est passé au maillot deux pièces. Et surtout, on a perdu la joie d'une SF qui se veut radieuse, créative et inspirante : L'Humanité par-delà les étoiles !
Aujourd'hui, le Supplément Week-End vous incite a bien accrocher votre ceinture, à vérifier votre combinaison anti-radiation, à demander à votre opérateur téléphonique l' extension de votre couverture roaming supra-galactique. Sans oublier serviette, brosse à dents, poisson de Babel et Guide du Routard Galactique®.

Note du producteur
Le texte de ce dossier a été ré-écrit des notes de l'émission spéciale du 9/5/1997

Genèse de la série

Il est difficile de définir une série aussi extraordinaire que « Valérian, agent spatio-temporel ». Humoristique, d'un background très inventif, mais teinté d'un discours social sans être moralisateur : Elle a marquée la b.d. Française juste avant Mai 1968 et le film de Stanley Kubrick « 2001 l'odysée de l'espace », alors que Paco Rabanne rhabillait déjà la haute-couture d'aluminium et de plastique. Une révolution dans le genre car la science-fiction n'avait jamais été traitée de cette manière auparavant dans la b.d. française. La maquette la plus classique, un trait souple, avant les fioritures nerveuses de Druillet ou de l'aplat brutal de Mœbius ou de Bilal. Le texte poétique, et d'une variété rare. Valeur sûre, car elle a bien vieilli.

Pierre Christin (scénario) et Jean-Claude Mézières (dessin) signent au printemps 1968 leur première histoire commune : Trente pages parues dans Pilote, où le trait est déjà personnel, l'humour affirmé... Valérian est là, mais sans Laureline. Du moins au début... L'agent spatio-temporel du XXVIIIème siècle connaîtra sa moitié au XIème siècle, au risque de créer un paradoxe dans l'espace-temps.
Tout est déjà là : la coupe des costumes métalliques, un premier temps emprunté à la garde robe de Flash Gordon, les expressions (« par l'Espace Temps ! »), les animaux bizarroïdes, les humanoïdes, la magie, les gadgets james-bondesques, le chef de service (assez précis sur le timing),...
Peut-être trop manichéen au début : Laureline est une âme pure et Valérian, le Prince à la noble cause. Le roman courtois, avec Albéric l'enchanteur, le maître d'arme disons précis sur le timing.

L'Âge d'Or de Galaxity

Premier album publié : « La cité aux eaux mouvantes », on apprend que Galaxity, le nouvel ordre terrien, est bâti après un terrible cataclysme : l'explosion d'un stock d'armes nucléaire au Pôle Nord en 1986. Le survol de New-York et du désespoir des survivants donnent un coup de fouet fabuleux à la série naissante. La vision de la plus grande cité envahie par les eaux et une végétation tropicale, décadence de notre civilisation. Et l'obligation de respecter la trame historique, la découverte fortuite de certains documents devenus historiques. Cela est tout bonnement captivant.

Publiée à l'époque de l'incident Apollo XIII, « l'Empire des mille planètes » brise un tabou de la S.F. : le sacro-saint voyage habité vers de nouvelles civilisations, qui ici tourne à l'échec et au cauchemar. Les systèmes mnéno-techniques d'apprentissage de langues ne permettent pas une intégration réelle. On assiste aussi à une véritable intrigue politique.

« Le Pays sans étoile » est à ma connaissance la première apparition dans la série de ce mélange délicieux de tendances politiques beatnik et libertaires. Une planète creuse où luttent à mort deux civilisations : une patriarcale, une autre matriarcale. Épineuse situation où nos agents vont créer un consensus plus efficace que les conciliateurs de l'ONU.

« Bienvenue sur Aflofol » parle d'un aspect du colonialisme assez amer pour la France à cette époque : le respect des populations autochtones. Nous sommes au coeur d'un autre problème de choc de culture.

« Les oiseaux du Maître » ou le cancer du totalitarisme vaincu par la méditation transcendentale. Le cauchemar du navigateur : le cimetière des vaisseaux, la mer des Sargasses. Une vision hallucinante, horrible dont l'aspect grand-public sera conservée par une très élégante pirouette.

Trop orgueilleux XXVIIIème siècle

« L'ambassadeur des ombres », qui marquera la crédibilité de l'univers : Point Central, entre l'ONU et le port-franc, symbole du méli-mélo de l'Univers connu. Et les informateurs de Valérian et Laureline : les impayables Shigounz personnages aux moeurs immorales mais absolument attachants, sans compter d'autres peuplades mystérieuses.

Durant l'escale « Sur les terres truquées », la série arrive à une certaine maturité, scénaristique et graphique. Mézières affine son trait tandis que Christin éclate le couple. Les premières pages sont absolument explosives dans le traitement de la série. L'album à part, car une vision surprenante s'ouvre. Une sorte de musée avec des reconstitutions grandeurs natures de scènes historiques où un Valérian à espérance de vie limitée vient troubler le jeu. En fait, deux femmes mènent le train : Laureline et une historienne féministe, amazones pistant le Truqueur, un esthète du Temps.

Une partie des histoires étaient trop courtes pour paraître en album, sortant dans des Super Pilote, numéros spéciaux à l'américaine. Elles furent compilés dans « Par les chemins de l'espace », six nouvelles du meilleur crû de la série, éditée en format poche collection 16/22 chez Dargaud. Introuvable depuis 1979, cette pièce inestimable a été ré-éditée en 1997.

Probablement l'album le plus second degré de la série : « Les héros de l'équinoxe » où Valérian se trouve représenter les intérêts terriens on ne sait comment. Une excellente parodie des super-héros américains et plus particulièrement des « 4 Fantastiques ». La mise en page suit d'ailleurs une expérimentation assez exceptionnelle, expliquée dans la revue Neuvième Art (#13, Janvier 2007).

À trop toucher au passé...

Deux albums pour une seule aventure : « Métro Chatelet direction Cassiopée » suivi de « Brooklyn station terminus Cosmos ». Unis par liaison télépathique, les deux héros sont séparés dans l'espace et le temps : Valérian découvre la Terre années fin 1970s, époque où il est totalement déplacé, guidé par un Chatelard truculent, tandis que Laureline cherche désespérément indices dans l'Infini. Le plus profond psychologiquement, l'histoire la plus complète dans tous les sens du terme, sur les 4 dimensions. À mon avis, celle par laquelle il faut commencer car la plus aboutie.

Puis arrive 1986, la fameuse date fatidique où une explosion thermonucléaire fait table rase des civilisations humaines pour mieux créer Galaxity. Heureusement la prophétie des auteurs restera fiction (quoique Tchernobyl...), mais de sacrés bouleversements avec le lézardage du bloc de l'Est. Les auteurs font “dériver” leur propre série pour la re-stimuler : « Les spectres d'Inverloch » montrent Galaxity ravagée, se dissolvant dans les temps, punie d'avoir influencée son propre passé. Bientôt elle n'existera plus, et le chef du service spatio-temporel rejoint les deux agents, ultimes survivants d'une époque qui n'existera pas. La conclusion, dans « les foudres d'Hypsis » se révélera totalement surprenante, revisitant une des bases de notre civilisation occidentale, la religion. Le final totalement décalé est considéré par les fans comme le tournant de la série.

Héros sans emploi

Car désormais, Valérian et Laureline sont livrés à eux-mêmes dans l'immensité galactique. Sur les traces d'un fou qui veut détruire la terre, le meilleur ami de Valérian, « Sur les Frontières » se trouve d'un traitement de même qualité que « Métro Châtelet···», de zones franches en port francs sur Terre, Valérian, Laureline et Chatelard dans une situation périlleuse. On aime par son côté “mûr”, Christin, professeur de journalisme, donne des notions de géopolitique à son lectorat.

Obligés de trafiquer pour survivre et ne pas devenir clochards de l'espace ; la Terre ayant disparue au XXVIIIème siècle, ses vestiges fondent dans le néant, et leur équipement hi-tech n'étant plus entretenu court à la ruine. « Les armes vivantes » où des individus deviennent malgré eux outils d'une guerre éternelle et vaine. Notre couple tant aimé se trouve coté trafiquants d'armes, avec de sérieuses questions sur leur propre moralité.

« Les cercles du pouvoir » fait un petit clin d'œil à l'« Incal » de Jodorowsky/Mœbius. Ce vaudeville politique intersidérant permet de revenir sur certains points effleurés dans de précédents albums. Le pur délice de la lutte de pouvoir : un imbu Colonel, des technocrates, des fourbes et des faux-amis...

« Les otages de l'Ultralum », suivi de « L'orphelin des astres ». Laureline enlevée avec un petit prince infernal, la plus grosse prime de l'univers, mais ce qui fait courir Valérian c'est l'amour. On peut râler sur le dessin un peu rapide, mais pas sur le retour à Point Central, la réapparition de Jal, des Shigounz, du transmuteur grognon de Bluxte... et enfin la belle vue des formes généreuses de Laureline (cela ne s'était pas produit depuis un poster dans Playboy !). Un allègement de l'atmosphère de la série, qui tente par la même de recueillir un public plus jeune. Hélas, les auteurs à partir de là, ajouteront bien peu d'éléments nouveaux à leur fantastique univers. On ressent leur lassitude, les ressemblances à « Tintin et l'Or Noir » fait d'ailleurs penser à la désertion d'Hergé courant 1949.

« Par des temps incertains » est peut-être une ultime tentative de rétro-futurisme, celle de faire avoir lieue la catastrophe de 1986, celle qui allait donner la naissance à Galaxity. Un complot de plus pour un retour vers un futur, une aventure contradictoire pour le couple d'ex-agents spatio-temporels d'un XXVIIIème siècle qui n'a plus lieu d'être. Les divinités de la planète Hypsis mettent une fois de plus leur nez dans les affaires terrestres, et celle d'une multinationale, Vivaxis prête à vendre l'éternité par abonnement comme l'eau courante. Des allusions politiques aussi fortes que celles des aventures sorties dans les années 1970s. Sauf que le final armageddonesque ne peut avoir lieu. Alors les auteurs jouent avec l'espace-temps malléable et la faille qu'ils ont eux-même posé dans leur histoire.

Dernière aventure, avant-dernier album : « L'Ordre des Pierres »

Avec des sorties de plus en plus espacées, les fans se demandaient si le duo allait passer la main ou laisser la série en suspend. C'est finalement l'idée d'une dernière aventure, en trois albums qui sera choisi par Christin et Mézières. Devant un constat angoissant : « Au bord du Grand Rien », le néant absolu où même le cosmos n'existe plus et tout est possible en même temps, le seul endroit que Valérian et Laureline n'ont pas exploré, qui serait peut-être l'ultime présence de la Terre qui a vu naître Valérian, la police Spatio-Temporelle et la glorieuse Galaxity.

« L'ordre des pierres », deuxième album du triptique final, sorti lors du dernier festival d'Angoulême (Janvier 2007 pour ceux qui liront ça dans le futur), brouille encore plus les cartes et laisse entrevoir un final très fort. « L'ouvretemps » (à paraitre probablement en 2009) sera très probablement le dernier tome de la série, de l'aveu même des auteurs. Alors, Valérian va-t-il vivre le rêve qui l'obsède depuis ses débuts, celui de mourir à Galaxity, alors que cette Terre d'un futur antérieur a disparu de l'Espace-Temps ?

Vous en voulez encore ?

Je ne saurais être très complet sans ajouter le « Mézières, Christin, avec... » régulièrement réédité depuis 1983, avec l'épisode originel, des récits auto-biographiques et autres curiosités ; « Les Habitants du ciel », complément indispensable à votre guide du routard galactique®, écrit manière sourcebook ; les « Extras de Mézières », avec beaucoup de dessins inédits et une preview d'un hypothétique dessin animé (un projet qui ressort tous les 5 ans depuis 1978). Le deuxième tome reprend ses travaux sur le film céfran « Le cinquième élément » ; ainsi que des collaborations occasionnelles à des revues de jeux de rôles comme Casus Belli, et Dragon Magazine (notamment le #4, Janvier 1994).

Plus récemment, la série se fait parodier avec élégance dans « Cosmik Roger ».

Au festival d'Angoulême 1996, la queue était monstrueuse pour voir le tandem vénéré, par hasard (?) se trouvait en face Mœbius et Bilal. Cet échange capturé, un fan demandant aux auteurs l'autorisation de les photographier : Mézières « Oui oui, vous pouvez...
Christin - Tant qu'on est présentables.[···]
Mézières - Quant on pense que Laureline est toujours aussi belle
Christin - Et ce fringuant Valérian toujours aussi con ! ». Mais c'est pour ça qu'on les aime, ces quatre-là !