Parmi les 500 radio associatives qui émettent en France, une bonne part ne reçoivent pas les disques des labels. En 2004, le CNRA arriva à se mettre d'accord pour un système de livraison virtuel avec le SNEP. Un système client-serveur soit par internet soit par flux satellite qui permet de livrer de manière uniforme les nouveautés discographiques. Si l'intention est louable en soit, elle devient pénible pour tous. J'aurais bien voulu en démontrer l'incroyable bêtise de ce logiciel en live, malheureusement, la réunion de travail sur le sujet lors du Congrès de ce week-end n'était animé que la le représentant de Live Network, la joint-venture de Tite-Live et Apach Network (aucun rapport avec le serveur web) ayant monté ce service et le logiciel client propriétaire “Media Music Center”. Ce soft est devenu la dernière arme marketing des majors, sans calculer qu'elle pourrait se retourner contre elles !

Car toutes les radios, même celles qui ont des rapports conventionnels avec les labels reçoivent depuis le début d'année des visites intempestives de commerciaux qui insistent lourdement sur le “Media Music Center”. Or dès la définition de base du logiciel, il y a eu un os : Seul le WMA-DRM était proposé comme format, avec une option de gravure sur CD. Peut-être le pire format qu'il soit depuis qu'il a été dévoilé que le microcode embarqué gérant le DRM était capable de faire du dégât sur les ordinateurs clients (comme l'a fait Overpeer), sans aucune protection possible puisqu'exécuté avec les privilèges kernel. Finalement, seul les version pré-écoutes sont en WMA-DRM (dans une qualité déplorable) mais le logiciel permet un export pour permettre l'usage des formats propres aux serveurs de diffusion (WAV et MP3). Deux fois uniquement. Donc si le premier export est foiré ou que tu as deux crash/réinstall consécutif, tout est perdu. C'est une perspective désagréable... Parmis les curiosités, la pochette ne peut être disponible en impression. Surprenant... j'ai crû que, dans le cadre de la loi Française, les couverture de disques tout comme celles des livres, sont libres de droit. Y'a plein de bouquin exclusivement constitués d'affiches et de couverture chez Maxi-Livres... mais bon...

Autre os, et de taille, les radios qui ont adopté ce logiciel se rendent comptent que toutes les titres ne sont pas disponibles. Ainsi Radio R D'Autan n'a pu trouver dans le catalogue qu'un sixième des albums souhaités, pourtant tous choisis dans les majors participant à ce système. C'est proprement étonnant, car les mêmes artistes sont disponibles sur les plateformes payantes de musique on-line. Normal car une seule entreprise se charge de fournir toutes ces plateformes concurrentes en fichiers DRMisés, sous contrat exclusif avec le SNEP. Et je fais le pari que la même boîte alimente le “Média Music Center”... Serait-ce Apach Network ? Alors qui instaure cette sélection sinon les majors éditrices elles-mêmes ?

Nous touchons une nouvelle faille de ce système : En ne proposant pas l'intégralité des sorties, les majors façonnent à leur manière le paysage radiophonique, appauvrissant la diversité des titres pour uniquement des artistes principalement mainstream. Car il est plus rentable de n'avoir à appuyer 10 artistes plutôt que 100. Moins de disques différents, meilleur sera le matraquage. Une stratégie que le bon vieux docteur Goebbels n'aurait pas renié. Et si une radio déplaît, hop ! un WMA piégé, envoyé par erreur bien sûr. (Bon, j'en fais trop dans le trip complot, mais qui peut certifier du contraire ?).

Une autre des inquiétudes concerne les très probables possibilités statistiques de ce logiciel qui est destiné à être utilisé par les radios, les critiques musicaux et d'autres, en clair, par les “prescripteurs”. Ce qui est une manne financière énorme pour une société de statistiques comme Tite-Live, qu'elle s'empressera de valoriser auprès des labels fournisseurs. « Abandonne cet artiste, sors pas son deuxième single, personne ne l'écoute »... Brrr...

Enfin, un très gros souci concerne le développement du logiciel lui-même. Si l'interface de leur “Media Music Center” semble pas trop mal, elle n'est prévue que pour MS-Windows XP (et probablement SP2). Il existe pourtant une multitude de toolkits GUI multi-systèmes (Qt, WxWindows, GTK, environnement Java, Tcl-Tk, Athena,...). Tous ceux cités permettent d'écrire des programmes qui tournent aussi bien sous MS-Windows que Mac Classic, Mac OSX, Linux et d'autres. Non, l'équipe de dev a eu l'étroitesse d'esprit de développer son logiciel exclusivement pour MS-Windows. Ce qui relève d'un casse-tête pour des associations tenus par des bénévoles : Comment garantir que les éventuels salariés puissent avoir un système parfaitement fiable sans d'importants coûts induits ? PC quasi neufs pour faire tourner la bête, licence système à renouveler perpétuellement, coûts d' abonnements anti-virus, anti-spywares (!), maintenances régulières faisant appel à des spécialistes,... Il est clair que Live Systems s'est constituée une véritable poule aux œufs d'or en créant un marché captif de petites radios qui seront désormais obligées d'utiliser ce système infernal. Tu veux des disques pour ta radio ? Je t'installe “Media Music Center”. Prends-moi aussi le package assistance complète, sinon tu seras mal dans deux mois. Et comme tous tes systèmes son en réseau, tu en auras aussi besoin pour le deuxième poste de consultation Tite-Live, pour le logiciel d'automation de ton antenne, pour le système de production de ton Studio B... La facture explose littéralement. En dépit du bon sens, le logiciel “Media Music Center” n'a absolument pas été étudié dans le fonctionnement associatif au budget serré mais d'une entreprise qui peut investir massivement dans un seul système. Même dans ce cas, cette idée suicidaire.

Alors, me direz-vous, puisque les radios associatives ont un rôle de proximité et de découverte, elles ont qu'à abandonner l'impasse “Media Music Center”, passer plus de groupes locaux, fouiller dans les milliers de net-labels existants (plein de pistes sur mes liens), ou carrément contribuer à Irate (page de dev) en y indiquant justement les pages des groupes qu'elles auront découvert ! Comme “Media Music Center” télécharge du MP3 (en 192kbd CBR, sans précision sur la librairie utilisée, tu parles d'un “format broadcast” !), faisons-en autant avec ceux qui mettent leurs œuvres en ligne !

Ce qui m'a halluciné dans cette réunion, ainsi que nombre de mes collègues (dont Radio Campus Toulouse et Radio Saint-Affrique), c'est que Silvy Castel, représentante DMDTS du Ministère de la Culture, nous soutienne mordicus que télécharger des MP3 est strictement illégal. Reprenant mon collèque de RC94, j'avais pourtant bien précisé “net-label” dans ma question, trois fois, mais non, pour elle (donc pour le Ministère, puisqu'elle en est représentante) « télécharger des MP3 est strictement illégal ». Encore pire avec le DG de Apach Network : « Nous comprenons bien que vous parlez d'auteurs qui renoncent aux droits sur leurs morceaux ». Pas du tout ! Toutes les radios paient la SACEM au forfait sur les diffusions, et nous informons (en général) de la diffusion desdits morceaux pour que justement la rétribution qu'ils ont droit via cette société d'auteur ne tombe pas dans la ligne comptable “non-attribué”.

Quant aux salariés des Majors, il vont vite comprendre que cet outil permettra de réduire considérablement les équipes d'attachés de presse, voire carrément de les externaliser/relocaliser puisque Tite-Live fait le travail à la place. Ce logiciel a en plus une bien belle manière de mettre en avant les nouveautés : il fait du push, ce qui encombre littéralement le travail de programmation musicale par une floppée d'artistes qui n'ont absolument pas leur place dans votre airplay.

Ce qui me fait royalement peur, c'est que ce logiciel est une arme contre les radios. Baudecroux avait étendu le réseau de NRJ et consorts en rachetant pour une bouchée de pain les radios locales qui avaient eu le malheur de confier leur unique source de revenu à sa régie publicitaire. En maîtrisant, voire en suggérant fortement les disques diffusés par les radios locales, celles-ci sont sur le chemin d'une très probable disparition, suite au formatage peu subtil des plus gros éditeurs discographiques. Quand au plaisir d'écouter... Le problème est identique à celui des albums protégés contre la copie privée : Si je dois être enchaîné à mon pc pour écouter de la musique, et que je ne puis la prendre dans ma poche comme un livre, la musique perd tout intérêt. En imposant de pareilles contraintes aux radios censées promouvoir vos nouveaux talents, les majors ont inventé une machine à se tirer dans le pied. Pour moi, la messe est dite, ce service va vite devenir un enfer.

À lire:

Tite-Live est un historien contemporain du Christ. Son péché de Vanité est d'avoir prétentieusement pondu une « Histoire Complète de Rome », mais ayant loupé par sa mort ses épisodes les plus piquants comme Néron, Caligula et la chute de la Ville Éternelle, il aurait mieux fait d'ajouter à son titre « à l'heure de la mise sur parchemin ».