Chronique lue en direct dans l'Hallucinarium FMR du 22/04/2015.
Avec Eugène Lawn et Perrine Juan. Réalisation : Philippe Pitet.

Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui nous écoutera dans quelques secondes.

Je suis la veuve d'un général qui est récemment décédé tragiquement dans un coup d'État qu'il a suscité. J'ai une famille de 7 enfants et je suis très pieuse. Mon défunt mari m'a mis de côté un héritage de 10.000.000 $ (DIX MILLIONS DE DOLLARS AMÉRICAINS) sur un compte en banque dans votre pays. Je vous écris car il est très difficile de trouver des personnes honnêtes pour m'aider à récupérer une telle somme d'argent. Je vous propose, contre l'assistance pour m'aider à la récupérer, que vous preniez 20 % soit 2.000.000 $ (DEUX MILLIONS DE DOLLARS AMÉRICAINS).

Si vous avez cru à cette fable, c'est que

  1. vous n'avez pas remarqué que la veuve éplorée a une voix d'homme, ce qui peut s'expliquer par les torrents de larmes déversées, mais bon soit ;
  2. Vous croyez vraiment que vous êtes plus honnête que votre voisinage, ce qui n'est pas gentil pour la brave dame d'en face qui remet votre courrier qu'elle reçoit par erreur dans sa boîte aux lettres ;
  3. vous vous sentez incroyablement chanceux, alors que la Roue de la Fortune se prépare à vous faire un mauvais sort ;
  4. vous êtes tellement naïf que vous allez donner au premier inconnu qui vous flatte l'accès à votre compte bancaire, qu'il ne se privera pas de piller…

Ce genre d'e-mail est appelé un scam. Ce type d'escroquerie purement textuelle vieux comme la Poste a connu son pic durant les années 2000, alors que se popularisait le courrier électronique. Ben oui, la mémé du Cantal découvrait subitement que plein de gens qu'elle ne connaissait pas lui écrivaient spontanément, chose qui ne lui arrivait plus dans son courrier papier, surtout depuis que le facteur ne le lui apporte que 2 fois par semaine.
Alors certes, le scam se voit moins qu'il y a 10 ans, mais ne croyez pas qu'il a totalement disparu : il est toujours aussi vivace et à une grande échelle malgré sa mise en œuvre artisanale.

Alors, qu'est-ce qu'un scam ? Un scam est une forme de hacking dite d'ingénierie sociale qui joue non pas sur l'ordinateur mais sur la personne qui s'en sert. Car la plus grande faille de sécurité pour tout ordinateur a toujours été l'humain, comme le rappelle l'expression PEBKAC, « le problème est localisé entre le clavier et la chaise ».
En général, ces malfaiteurs épistolaires se cachent dans des pays qui n'ont pas une justice compétente, ou sinon totalement corrompue. Comme le Nigéria, le Zaïre, la Russie ou la pile d'exécution de Windows XP.

À noter qu'au Nigéria, le scam est dit 419, du numéro de l'article du Code Pénal qui punit l'obtention d'une propriété par une fausse déclaration. Ce qui n'empêche pas des aigrefins de faire des albums de rap expliquant comment escroquer ces riches idiots du Nord. Les lyriques y sont explicites :

« I Go Chop Your Dollar » par Uzodinma Okpechi, scamer qui ne nie pas
« je vais te rendre mugu, je serais ton maître, tu vas me donner tous tes dollars, tu vas me rendre riche »

Mais il ne faut pas se leurrer ni être raciste : une bonne partie des escroqueries dont sont victimes des Français viennent de Français.

Le scénario relève soit de la prisonnière espagnole, soit de la loterie mirobolante, soit du hameçonnage, soit du passe-passe bancaire. Dans la plupart des cas, il s'agit d'obtenir l'accès au compte bancaire de la victime, ou qu'il en crée un officiellement pour le truand. Et comme toujours, la naïveté est exploitée à fond, soit sur le trop grand cœur soit sur l'appât de l'argent facile.

Mais pourquoi faire des messages aussi grossiers ? Tout en majuscules, en couleurs incroyables et avec des fautes de français criardes ?

L'intention est bel et bien d'être visible comme un nez au milieu de la figure qu'il s'agisse d'un faux, car malgré ce que vous pourriez croire, des gens se font quand même avoir, démontrant que plus la ficelle est grosse, mieux mord le pigeon. Ou le poisson, je ne sais plus…
Comme le public est de mieux en mieux informé, il s'agit de ne pas se trouver face à des personnes soupçonneuses qui feraient perdre du temps à l'artisan aigrefin. Pour trier encore plus vite le bon grain de l'ivraie, ou plutôt la bonne poire de la personne sceptique, les filous derrière ne s'embarrassent pas d'être totalement crédibles, au contraire. D'où les fautes d'orthographes, les prétentions délirantes (comme la fameuse loterie Microsoft de la fondation Bill Gates) et les tampons photoshopés avec Corel Draw 98. Oui, cela existe encore !
Malgré tout, un simple coup de fil peut parfois suffire pour piéger les gens plus soupçonneux.

Et il n'y a pas de quoi rire de la naïveté des victimes : les personnes escroquées se raccrochent à la chimère d'une bonne fortune promise, continuant à payer des frais imaginaires pour l'atteindre, se ruinant définitivement jusqu'à se retrouver à la rue.

Il existe néanmoins des activistes, des justiciers autoproclamés qui tentent de s'amuser aux dépends de ces bandits. Les sites scamorama.com ou 419eater.com se révèlent être très drôles et totalement jouissifs.
Le principe est de renverser la tentative d'escroquerie, allant des demandes délirantes comme obtenir un maximum de certificats aussi officiels que la veuve est bidon, une photo ridicule avec un texte quelconque, proposant un rendez-vous dans un lointain aéroport, une preuve d'artisanat local ou encore de l'argent pour prouver la réalité de la personne derrière. Les anti-scammers inversent la tentative de duperie pour faire perdre un maximum de temps et d'argent aux escrocs. Le but étant de les empêcher de consacrer du temps à de vraies victimes qui pourraient se faire rouler, voire au mieux, de les mener à la faute qui permettrait de les faire écrouer à coup sûr.

Ce jeu, tout le monde peut théoriquement y jouer, mais l'exercice est très dangereux ; n'oubliez pas qu'en face, ce sont des escrocs souvent membres du crime organisé local, parfois rompus à l'enlèvement et à l'extorsion de force. Il convient donc d'utiliser là aussi une identité totalement falsifiée.
Moi-même, entres autres crimes contre l'Humanité, je me suis amusé à rédiger une belle réponse, expliquant qu'étant actuellement en logement imposé à Fleury Mérogis, il valait mieux pour mon interlocuteur de prendre contact avec mon oncle le président de la banque du Crédit Lyonnais (ancien nom de LCL), sis forcément à Lyon, au 200 quai Charles de Gaulle, une adresse correspondant étrangement au siège social d'Interpol.
Oui, j'ai ri. Et j'ai envoyé mon courrier à Scamorama.

Grands dieux que c'est bon.

Enfant du futur immédiat, l'aventure est parfois au bout de la rue, et les déconvenues au bout d'un e-mail. Car la naïveté des gens est malheureusement une source inépuisable d'escroqueries en tout genre.


le 28 Avril, le comptoir d'Eccone est une rencontre pour partager vos expériences sur les biens communs numériques.