Augurant des vacances si courtes que j'aurais pu les rallonger sans tomber sous la barre des 60 jours de congés à prendre, j'ai fait un petit crochet par un de mes collègues au civil et à la radio (lundi, 20h à 21h30). Le brave garçon a la convivialité de me prêter la deuxième saison de « 24 heures chrono ». En voulant visionner le deuxième DVD, ma télé s'allume sur BBC World. Des malades que Dieu réprouve venaient de fêter à leur manière les olympiades de 2012. Par un hasard que je ne m'explique pas, je me suis brusquement souvenu de l'étrange constatation du CSA. Selon la fine analyse des 9 sages dont dépend mon émission, les séries « NCIS » et « Agence Matrix » verseraient dans l'apologie de la torture tout en dépeignant Guantánamo en sympathique colonie de vacances. Hum... Paraît que Fox News nous manque pour une info « fair & balanced ».

Un gros boîtier sur un coin de mon bureau me clignait de l'œil. Les textes en vrai papier sont enterrées quelque part dans mon fourbi. Ladite édition poche fut tellement feuilletée, annotée, pliée/repliée/dépliée que le bouquin commence à en découdre d'une décennie de lecture vénérée. Les paroles s'envolent, les écrits aussi. Marqué à vie dans mon enfance par ses angoissantes et titillantes « Minutes de Monsieur Cyclopède », je souhaitais regoûter à cette madeleine proustienne de l'insulte polie mais ferme. Et ainsi donc, avant de partir pour l'autre bout de la France, j'ai lâchement profité d'une autre amitié pour lui ripper dans mon baladeur l'intégrale du regretté Pierre Desproges (site officiel, wikipédia).

Quelqu'un qui exprime son mépris en maniant aussi bien la langue Française mérite le respect. Une hargne verbale téléguidée sur la médiocrité du genre humain uniquement, tel l'Œil de Moscou, dans un esprit propagandaire, celui du bon sens. Des cibles qui, 20 années après la disparition de son vociférateur, sont malheureusement encore d'actualité. Un cynisme trempé dans l'humour noir et couché à la plume d'oie des plus grands auteurs classiques, ceux qu'on rencontre dans les manuels de Français au lycée. Car Desproges fut d'abord un littéraire. Un écrivain maniant la citation latine délicieusement approximative, la phrase de 25 lignes de long façon Proust mais qui fait rire, dégaine des mots compte-triple du Scrabble révélant la richesse de notre langue. Des papiers particulièrement délicieux en radio car titillant l'esprit, éveillant l'oreille qui restait trop souvent “en coin”, bref un déclameur qui allume l'auditeur. Là où Michel Audiard régalait par ses répliques vernaculaires, Pierre Desproges usa de mots dûment certifiés par l'Académie dans un usage qui ferait rougir la bourgeoise en dîner mondain tout en y conviant des gros mots. La grossièreté se mesure en la comparant aux lettres nobles.
Ensuite, il fut jouisseur Rabelaisien. Par les mots, par la culture, mais aussi physiquement. Ses descriptions d'amours, de nourriture et de boisson démontre qu'il aimait vivre l'instant présent (Væ victi^W^W Cave cane^W^W Carpe diem... d'ailleurs le syndrome carpien me guette). Il arrivait à le faire partager par ses textes. Savoir manier son vocabulaire et déclamer son papier au micro n'est pas donné à tout le monde. Arriver à faire passer sa passion comme il le faisait est suffisamment rare pour vous rendre accro.
Pour l'animateur de radio libre qu'il haïssait (eh oui, Raskal !) et le bloggueur qu'il raillerait, ses textes sont des modèles qu'il est rageant de n'avoir les qualités. La citation étant trop facile, le plagiat pure bêtise, je ne peux que m'incliner à pisser de la copie dans l'espoir qu'un jour je puisse tutoyer le Maître dans mes exercices. Regarder la Lune en la touchant du doigt (non, là, personne ne comprend que je massacre une parabole).

Pourquoi vouloir l'écouter alors que je possède le bouquin ? Par flemme, comme aux USA on vend les cassettes des résumés de romans lus pour automobilistes embouteillés ? Nullement. L'intérêt de ses enregistrements radios sur son bouquin, c'est les aléas du direct, les « Pouf ! Pouf ! Je recommence... », les rires de son petit comité en studio pour ses “Chroniques de la Haine Ordinaire”, ou du grand public du “Tribunal des Flagrant Délires” pendant ses réquisitoires où il attisait la vindicte populaire à grands éclats de rire. Et la bête sur scène. Deux one-show, où il arrive à maintenir son public, parfois en le provoquant directement là où ça fait mal, mais sans violence gratuite (contrairement à Jean-Luc Lemoine “... est inquiétant”, un titre qui s'annonce comme "mal barré" en vulgus pécul). Son côté bourgeois parigot, tendance rive Gauche Caviar, ressort subtilement avec une auto-critique permanente délicieuse.

Ses réquisitoires où il ne manque pas de vouloir la tête de l'accusé/invité, d'abord parce qu'elle lui revient pas, et ensuite qu'avec le retour de Mitterrand, on va bientôt ranger au placard l'échafaud alors on va en profiter, faut pas déconner. Principale faiblesse, le rythme quotidien qui le fait sombrer dans la facilité de running-gags souvent lourdaux. Le « plus bas d'Inter » lui coûtera un vrai procès, d'ailleurs. L'émission de Villers donne vraiment envie de le remettre au goût du jour. Avis aux producteurs, je suis volontaire.

« Pouf ! Pouf ! Je recommence... »

Donc, disais-je, je partais en “vacances” pour l'Alsace, dans l'automobile familiale. La spécialité paternelle est de ne jamais prendre d'autoroute payante, par pur radinisme. Soit-disant pour visiter la région. Personnellement, je préfère abréger la route, ça permet de visiter 6 heures de plus à l'arrivée, et de ne pas se perdre 3 fois en 100km.

Malgré la présence dans le véhicule du bricolage idoine, la migraine simulée de ma soeur et le Giscardisme convaincu de ma mère protestèrent de concert pour que je me régalasse de l'intégrale en question au casque plutôt que dans l'installation embarquée. Mon père, piqué au vif mais n'osant exprimer une jalousie compréhensive, usa de moult prétextes pour mettre l'autoradio fort. Ce qui en soit ne me gênait nullement vu la qualité d'autisme de mes écouteurs in-ear (Être semi-pro vous donne des goûts de luxe souvent justifiés), mais cassait les oreilles des passagers arrière. Ma sœur et ma mère.

Ma mère... Son formalisme pincé l'empêche de se réjouir des joies simples de la vie comme un film dialogué par Audiard. Est-ce que vous vous rendez compte que je vais devoir louer « Les Bronzés » uniquement à des fins professionnelles ? Ça va jaser dans les bureaux pendant mes visionnages. Parce que ma maman n'aimait pas les humoristes français, qu'elle préférait Jacques Chancel à Gérard Jugnot.
Par la même elle boudait Desproges car sûrement vulgaire. Jugement à l'emporte-pièce et censure que je jugeais intolérable dès 10 ans, son manque de curiosité me navre encore. Elle n'a jamais été satisfaite de ma situation. Elle rêve qu'à sa retraite je reprenne le manoir qu'elle rêve de s'offrir pour en faire un motel. Ou qu'en guise de Psychose, je paie un praticien pour lui parler d'elle. Syndrome Woody Allen... À cause de son attitude tellement blessante et assassine, je ne lui présenterai plus une seule de mes fiancées. Je tiens trop à ma réputation usurpée de noceur pour celle que me taille sa mama méditerranéenne rive sud.

Pour finir ce billet tout en balançant sur la famille, nous arrivâmes en terre d'Alsace pour le mariage de la cousine anti-cléricale et pacifiste. Un cérémonie civile... dans une ville de garnison. Ça ne s'invente pas. Et vous savez quoi ? Sur 100 invités, pas un seul pour faire le cadre à sa place. Cheese.

PS : Curiosité ou incongruité, une adaptation bd est sortie chez les très opportunistes éditions Jungle. Étonnement, ce collectif tient la route, grâce à la qualité des dessinateurs invités.