Un film de Martin Campbell, avec Daniel Craig, Eva Green, Jeffrey Wright, Judi Dench.

A peine promu 00 par le service secret de Sa Majesté, James Bond enquête sur le mystérieux "Le Chiffre", organisateur d'une énorme partie de poker au Monténégro. Vesper, fascinante envoyée du gouvernement britannique, est chargée de surveiller l'impétueux agent lors de cette partie prestigieuse.

Ce dernier épisode contient probablement la meilleure scène d'action jamais vue dans la série, ainsi que le magnétisme le plus évident chez l'interprète de l'espion le plus célèbre de l'univers. Explosée par les deux épisodes « Jason Bourne » (« La mémoire dans la peau » et « La mort dans la peau ») au niveau de la tension, ridiculisée par le film « XXX » au cours d'une intro mémorable, et restant le parent pauvre de l'Asie pour les cascades/actions/gunfights, la franchise « Bond » sentait la naphtaline, se bornant à ressortir des poncifs (réplique éculée déclamée par des robots désincarnés, gadgets évoquant plus Garcimore que des engins de mort, pseudo-scènes de baise aussi excitantes qu'un bisou pré-pubère dans « Hélène et les garçons ») n'amusant que des fans québlos se persuadant que l'inévitable n'était toujours pas arrivé : les « James Bond » n'intéressaient plus qu'un public adepte de rediffusions, entre « Derrick » et « La 7ème compagnie ». Cette énième tentative n'encourageait pourtant pas à l'optimisme, car la présence du réalisateur du peu nerveux « Goldeneye » aux manettes était loin de satisfaire les amateurs de sensations fortes. On est loin en effet des choix judicieux d'un Tom Cruise rameutant les plus grands formalistes de l'Action/suspense (le trio magique Brian De Palma/John Woo/J. J. Abrams). Bref, le peu d'audace des producteurs de la franchise faisait plutôt pleurer.

Cependant, contre toute attente, Campbell se révèle un surprenant metteur en scène d'une tension continue, du moins dans les deux premiers tiers du film. Comme je l'ai dit plus haut, l'introduction est tout simplement extraordinaire : le pré-générique, où l'on voit Bond pas encore double zéro, dans un noir et blanc granuleux et contrasté, est un sommet de brutalité. Loin de la froideur asceptisée des scènes d'action habituelles, le baptême du feu l'a vu dérouiller dans une bonne baston dans les toilettes. La séquence suivante en Afrique va constituer le fleuron de la franchise : atteignant un niveau jamais égalé dans le reste du film, la scène voit Bond poursuivre un bad guy utilisant les techniques de déplacement gracieux "Yamakasiennes" pour échapper à un Bond massif, bourrin, mais néanmoins débordant d'agressivité et de vitalité. La caméra est mobile, chargée de secousses, boostant une scène toujours compréhensible, nerveuse, asiatique. Difficile ensuite de maintenir le rythme, mais le scénario de Paul Haggis le permet en étalant la partie de poker sur la durée. Bond va faire au cours du jeu l'expérience de l'humiliation publique. Des épreuves parmi d'autres qui vont progressivement amener le caractère du personnage à devenir cynique, tel que dans les autres films.

La rupture de ton au bout des deux tiers du film le font basculer dans quelque chose de plus convenu. La lassitude arrive, et le fantôme des rythmes de croisière des autres films refait surface. Les situations sont plus attendues, la tension décroît constamment et le style de mise en scène, froid, académique et pompeux finissent de plomber une basse excitation de fan d'action hystérique. Le film n'était donc pas un simple retour aux sources, propulsant la saga vers un terrain d'expérimentation inespéré. Ce n'est finalement qu'une nouvelle introduction, brillante, dans laquelle les apparitions successives de gimmicks bondiens ne servent qu'à faire le lien vers le futur épisode qu'on devine classique, à l'ancienne. Malgré ce sentiment de légère déception quant aux futurs opus, on retiendra quand même l'animale présence de Daniel Craig, dont le regard captivant fait l'objet de nombreux gros plans. Son côté "mastoc", brut de décoffrage, contraste avec la platitude du "bonnet de nuit" Roger Moore, et la présence élégante mais froide d'un Pierce Brosnan. Le personnage d'Eva Green n'est pas non plus étranger à la bonne impression que l'on garde de « Casino Royale » ; l'équipe du film a visiblement souhaité souligner le charme Français de l'actrice, notamment dans ce plan "magique" où Vesper est face au miroir, non maquillée, en gros plan.

(tous les articles ciné et dvd de Thomas Berthelon sont disponibles sur son site).