Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 16 Février 2008.

1974, frappé par l'illumination divine, Jean-Pierre Dionnet fonde un magazine de bande-dessinée et de science-fiction. Pour être dans l'esprit du moment, il débauche Phil Man, alias Philippe Manœuvre, journaliste rock toujours sur la brèche de Rock'n'Folk, spécialiste de la chronique de concert vu sur la fin et de la descente de cocktail, un gonzo reporter à la Française bien avant de se retrouver jury à la Nouvelle Star. Autour d'eux Mœbius, Philippe Druillet, les grands et les futurs grands de la bande-dessinée. Sans capitaux, monté sur un coup de tête dans une petite mansarde sous les toits, l'aventure s'annonce folle comme sa vision pour un lectorat exigeant... mais très rare. Le rédac'chef improvisé Dionnet, qui n'a aucune connaissance commerciale, mais juste une envie de qualité et d'une bande-dessinée réellement adulte, apprend sur le tas, tout en livrant des scénarii pour des dessinateurs comme Enki Bilal.

Serge Clerc entre dans la rédaction de Métal Hurlant au dixième numéro. Monté de sa province natale et abandonnant derrière lui un fanzine prometteur d'une très courte carrière, il arrive à Métal et découvre tout. JP et Phil Man deviendront ses mentors, lui inculquant classiques et incunables de la culture de base : le rock, les films des années 1950s, les polars, le chic, les soirées arrosées avec style, les séries tv, le design, les comics, les pulps et lui ouvrant son carnet d'adresse comme Manchette qui édite déjà de la science-fiction.
Une époque folle où un journal jongle entre les interdiction de la censure, les périls financiers, les difficultés de distribution et ses bouclage. Malgré tout, la machine à rêver s'emballe. L'épopée s'annonce épique !

Car cette histoire arrive juste avant l'explosion du punk. Quoi de plus paranormal que ce mouvement musical éructant “no future” correspondent aux années dorées d'un journal de science-fiction. Car cette époque vit débarquer dans les salles obscures « Blade Runner », « Star Wars », « Rencontres du Troisième Type », « Brazil »,... Le futur n'a jamais été autant d'actualité qu'au moment des rockeurs à crête et à épingles à nourrices. Ces derniers atteindront vite la date de péremption.

Serge Clerc, lui, va se lier avec Denis Sire, Ted Benoît, Joost Swarte, et Yves Chaland. Ensemble, ils transformeront le style graphique si désuet de Hergé, Franquin, De Saint-Ogan, Macherot et Jacobs au rang d'art, d'épure ultime du Neuvième Art, la fameuse Ligne Claire. (Quel nom prédestiné, Serge Clerc !) Et quitte à admirer ces dessinateurs de leur enfance, ils maintiendront cette intemporalité, ce rétro-futurisme des années 1950s avec son mélange art-déco moderniste et néons.

Pendant ce temps-là, Métal Hurlant croule sous les dettes, se fait racheter par son imprimeur espagnol, Jean-Pierre Dionnet part dans un délire et vit à crédit dans un hôtel particulier avec majordome, tandis que Philippe Manœuvre toujours aussi chic, fait complètement tâche dans les concerts punks. Jean-Pierre Lescure les repêchera et poussera Les Enfants du Rock à la tv. (Là encore, quel nom prédes... ah non, c'était fait exprès !).

Le « Journal » de Serge Clerc arrive en même temps que le « Futuropolis » de Florence Cestac. Livres sortant au même moment, sur le même principe autobiographique en bd noir et blanc, parlant de la même époque et du même tournant pour la bande-dessinée adulte. D'ailleurs, de nombreux acteurs de cette époque sont présents dans les deux ouvrages.
Mais si le livre de Florence Cestac, en plus d'avoir eu une bonne promo, s'attelle à donner son témoignage d'éditeur, celui de Serge Clerc raconte principalement les vies de Jean-Pierre Dionnet et de Philippe Manœuvre. Comme si leurs aventures étaient justement contées dans Métal Hurlant.
Bourré d'allusions graphiques aux films de la RKO, aux « Contes de la Crypte », et au Journal de Spirou sans compter une bande-son qui arrache les tépaz, ce n'est pas la véracité qui importe, mais l'esprit dans lequel vivait les acteurs de l'époque dans leurs délires, et immergés dans les bd qu'ils publiaient. C'est décalé, un vrai trésor à lire à la loupe, à milles années-lumières du « c'était mieux à vent » qu'on aurait pu croire.
Résultat, un traitement à hurler de rire.

Alors toi, le Jeune ! Achète les deux livres, prend la peine de te pencher dans ce graphisme anguleux, stylisé et surchargé que tu trouveras sûrement repoussant mais qui a tant nourri la publicité, et tu vas te dire « Mais c'est qui ce taré de Dionnet ? ».
Ce à quoi je te répondrais qu'il nous a ait découvrir les polars sud-coréens, « Mon Voisin Totoro » et les Tsui Hark. Le geek ultime qui en ce moment disperse aux enchères sa gigantesque collection d'incunables sur les 7ème et 9ème Arts.
L'Homme qui pour nous au Supplément Week-End est l'envoyé de Dieu sur Terre :
Le prophète de la Contre-Culture !

T'aurais pas eu Dionnet, t'aurais pas vu « Akira » !