Notes de direct pour la 200ème émission « Supplément Week-End » diffusée le Samedi 30 Mai 2009.
Rien ne va plus pour la Civilisation : L'Humanité s'est mise au bord du gouffre. Une suite de conflits régionaux s'est muée en Guerre Mondiale, et on ne peut que s'étonner que l'arme atomique soit restée sagement dans ses silos au lieu de s'exprimer avec ses copines d'Apocalypse. Les deux super-puissances se sont morcelées en une multitudes de factions régionales, des nations complètes sont revenues à l'âge de pierre, des villes complètement éliminées ou vidées de leurs habitants... La race Humaine a pratiquement réussit à s'auto-anéantir à coup d'armes biologiques, chimiques et autres saloperies plus ou moins conventionnelles.
Deunan Knute est une jeune femme qui a vécu la guerre de plein fouet. Fille d'un des patrons du SWAT de Los Angeles, son père, en guise d'éducation, lui a donné un entraînement de commando qui lui a permis de survivre dans ces temps troubles. Accompagnée de Briareos, un cyborg de combat qui fut le meilleur ami de son père, mais surtout un militaire calme et d'expérience.
Les deux soldats d'infortune (jeu de mots, comprenne qui pourra) sont récupérés par Hitomi, une envoyée du Comité des Sages, l'organe exécutif d'Olympus. Olympus, une cité-état construite sur des thèses humanistes, qui est passé du statut de curiosité utopiste à celui de capitale dominante à la sortie de la Guerre. Seulement, Deunan et Briareos ne savent faire qu'une chose : combattre. Leur place dans une cité basée uniquement sur le pacifisme n'est donc pas évidente, encore plus quand cette urbanité hypermoderne est majoritairement peuplée d'humains synthétiques, et régulée informatiquement jusque dans la politique puisque le barebone Gaia est partie prenante de la construction législative. Deunan et Briareos vont se retrouver impliqués dans une tentative de coup d'état par des immigrants, avant d'être incorporés dans la police mécanisée.
Depuis leur arrivée, ils ont l'impression d'être les pions d'une politique qui tente de museler les anciennes superpuissances, de calmer les ambitions des puissances émergeantes, de minimiser ceux qui utilisent la religion comme vivier à gogos tueurs, mais aussi des luttes de pouvoir entre les différents organes étatiques d'Olympus. Deunan va ainsi apprendre par hasard que le génome de son père est fortement représenté dans la population locale. Un mystère de plus à résoudre.
Et c'est là que cette série devient passionnante. Plus qu'une simple science-fiction militaire avec des mechas, les choix politiques, scientifiques, écologiques et surtout philosophiques sont les véritables moteurs de l'intrigue. De nombreuses interrogations sont levées par les différents protagonistes (les dialogues entre “méchants” se retrouvent loin d'être manichéens et plutôt critiques). Et on sent bien que ce qui a motivé la création de cette cité avant-guerre semble avoir un rapport avec l'escalade de violence qui allait dégénérer, mais aussi une volonté d'évolution génétique de l'espèce humaine.
Masamune Shirō (士郎 正宗) est un mangaka de renommée internationale, qui agit sous un pseudonyme, lequel a été forgé d'après un genre d'épée. Son véritable nom est Masanori Ôta, né en 1961 à Kobe. C'est l'un des très rares mangaka célèbres qui dessine sans assistant.
Il est notamment l'auteur de « Black Magic M-66 » (qui commence dans un univers médiéval-fantastique pour plonger science-fiction), « Dominion Tank Police » (parodie purement cyberpunk où les policiers sont armés de tanks pour lutter contre des criminels qui eux-aussi alourdissent leurs équipement), « Orion » (gros délire où l'électricité est remplacé par la magie, série surtout prétexte pour montrer un max de fan-service de l'héroïne Seska) et « Ghost in the Shell ».
Shirō est un auteur mythique : une production devenue rare, de qualité et considérée comme inadaptable telle quelle. Ses prises de becs avec Mamoru Oshii, le réalisateur des films GITS, sont homériques.
Appleseed est l'oeuvre du mûrissement. Le graphisme évolue radicalement entre les tomes 1 et 2, mais l'histoire est déjà parfaitement maîtrisée. Shirō adore les phylactères bien remplis et fait introduire la politique de couloir dans l'action, bien avant que nous soyons séduits par la série TV « West Wing » (« À la Maison Blanche »).
Il aura surtout, par son trait très dynamique et bourré de détails, influencé d'autres dessinateurs cyberpunks comme Yukito Kishiro (« Gunnm ») et Kazushi Hagiwara (« Bastard !! ») pour le Japon, Trantkat (« HK ») et Philippe Buchet (« Sillage ») sous nos longitudes.
La principale différence entre « Appleseed » et GITS, c'est que l'héroïne Deunan Knute est une fille fragile. Elle a eu un entrainement militaire par son père, mais perd de nombreux combats, se retrouve dans des situations qu'elle maîtrise mal et se fait régulièrement remonter les bretelles voire mise à pied par sa hiérarchie. Elle a des problèmes financiers (aaaah les achats en leasing de Landmates...) et aussi des soucis avec ses amis. Sa vie privée peut interférer avec une nécessité de prendre des décisions instantanées sous la pression, la faisant parfois prendre un choix peu justifiable. Le fantasme de la fille à flingues est désacralisé quand elle se retrouve éborgnée, continuant l'action avec un bandeau sur l'oeil et les inconvénients de son handicap. Loin d'être le personnage froid et hyper-professionnelle du major Kusanagi ou encore la petite délurée de la série Orion, Deunan se montre plus accessible pour le lecteur.
Graphiquement, on sent que dans cette série, Masamune Shirō passe de ses derniers tics de fanziniste à celui d'illustrateur reconnu que le monde entier acclamera dans « Ghost in the shell » (GITS). Le dessin est très daté années 1980s, on le remarque notamment par les coupes de cheveux et de vêtements typiques dans la japanimation contemporaine (de mémoire, la série originelle « Macross » a les mêmes brushings et les vêtements civils féminins sont quasiment de la même collection). Mais rétrospectivement, cela donne justement le charme de cette cité utopique, déconnectée d'un monde réel en pleine guerre. Une partie des cyborgs se branchent par liaison filaire, mais pas encore les armures, ça sera justement sa révolution dans GITS. Par contre, il adore déjà montrer des filles en position lassives, si possibles, entourée d'un matériel cybernétique. Il maîtrise parfaitement la dynamique des mises-en-scènes de combats, aussi bien tactiques que les corps-à-corps. Le lecteur est plongé dans l'action, voyant juste ce qu'il faut pour mieux comprendre la scène au cessez-le-feu.
Scénaristiquement, il se documente à fond, citant le « Godel Escher Bach » (de Douglas Hofstader) qui est un manuel initiatique de logique formelle, et dont la notation d'équation est disséminée dans le tome 2, indiquant à l'initié les évolutions politiques. Oui, je sais, pour décoder ça, il a fallut s'accrocher. Ce qui risque de perdre nombre de personnes, au risque aussi de le passer pour un intello de la SF comme Michael Crichton.
Une OAV réalisée par le studio Gainax (avec un scénario qui pourrait se caser entre les tomes 2 et 3, VHS éditée en France par Manga Vidéo, c'est dire si ça fait longtemps...), un film en 3D et sa suite (dont la trame prend de sérieuses libertés et le graphisme nous a fait peur), toutes ses adaptations sont tout à fait oubliables. Par contre, plus difficile à éviter, la traduction Française, faite à partir de la version Américaine qui n'a pas pu tout traduire, font que la version Francophone massacre l'œuvre à cause d'erreurs de traduction grossières. La série était sortie au Japon en deux recueils, son édition Francophone est en 4 tomes de 192 pages, format comics et sens européens. Le studio Américain Proteus, en inversant les planches pour la version Américaine, a aussi pas mal gommé de petits écrits (inscriptions dans les décors, sur les véhicules et les vêtements), ce genre de petits détails distillés par l'auteur pour mieux prolonger l'ambiance et donner des pistes de lecture.
Le tome 5 (192p) est en fait la traduction du databook américain (96p), qui correspond au quart de la version originale (un pavé de 320p). Ok, je te dis pas le calvaire à traduire car le texte est affreusement technique, mais avoir oublié les ¾ de ce précieux contenu est frustrant pour les lecteurs occidentaux. Ne jetons pas la pierre à Glénat pour un travail que je qualifierais de saboté s'il était sorti hier. Les 4 tomes sont parus entre 1992 et 1996, et à l'époque, les traducteurs japonisants qualifiés ne courraient pas les rues. Surtout vu les thématiques abordées par la série.
Un tome 6 (comprendre “tome 5”) est annoncé depuis 20 ans. Le problème, c'est que Shirō n'a rien sorti depuis plus d'une décennie, sinon des illustrations pour des revues ou des jeux vidéos.
« Appleseed » mériterait d'être redécouvert. Édité en Français à une époque où le manga n'avait encore qu'un lectorat réduit et où l'éditeur osait des maquettes repoussantes pour tester la motivation du marché, sa réputation a été salie par les deux précédents films alors que son univers est très riche. Malgré le fait que l'auteur cherche encore ses marques dans les deux premiers tomes, la solidité scénaristique n'a rien à envier à GITS et se montre justement moins froid. Sa lecture à l'époque fut une immense claque qui préparait l'arrivée dans nos cyber-espaces du major Kusanagi. Son intrigue à plusieurs niveaux de lectures est une invitation à lire les pistes laissées par l'auteur.
« Appleseed » mériterait une ré-édition retraduite, maquetée depuis les planches originales et avec des notes documentaires.
8 réactions
1 De Da Scritch - 30/07/2009, 21:23
Et si vous n'aviez pas remarqué, pas de chatons dans ce billet !
Pour votre information, Shirō, en vrai geek, a au moins un chat.
2 De Thomas - 30/07/2009, 23:33
Shiirow est un auteur passionnant, mais je comprends que beaucoup de gens le trouvent imbitable. En tout cas, il a une patte unique.
Et personnellement, bien qu'il se soit apparemment engueulé avec Oshii, pour ne pas le nommer, sur le 1er film GITS, je considère le film comme un chef d'oeuvre absolu, et idem pour le suivant.
3 De Mitch 74 - 03/08/2009, 14:42
GITS (le film d'animation), sorti en 1997 (et qui a fait baver les spectateurs du festival international du film d'animation d'Annecy lors de sa projection sur écran géant, j'le sais j'y étais), était plus un prétexte pour Oshii de dévoiler son savoir-faire considérable en matière de réalisation et d'animation avec un titre vendeur (Ghost in the Shell, le manga, avait eu son petit succès) après le coup d'essai qu'était Patlabor (sortie directe en DVD en France) dans lequel on retrouve, d'ailleurs, la trame scénaristique de GITS, la même animation avec clairs-obscurs et une musique lancinante du même auteur.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que le film Patlabor WXIII faisait de même pour le film GITS 2).
Note: AppleSeed est effectivement un pur produit des années 80; par contre, les coupes de cheveux, des vêtements etc. rappellent davantage le film _Macross: Do You Remember Love_ que la série d'origine (laquelle était davantage orientée seventies).
Autant que je sache, si Shirow n'a plus rien sorti sur Appleseed depuis cette époque, il me semble cependant qu'il travaille encore sur une suite de GITS: des albums récents, avec moultes pages couleur utilisant du rendu informatisé (probablement moins de 10 ans), sont parus il n'y a pas si longtemps.
Puisque tu le mentionnes, sache que les 4 OAVs de Dominion Tank Police ont été réédités en 2 DVDs il n'y a pas si longtemps. A se dégotter juste pour le strip-tease des deux cat-girls jumelles (non, j'bave pas! Enfin, si un peu :p ) la série ayant été arrêtée avant de devenir intéressante (il y avait un début d'intrigue politico-médicales qui n'est pas sans rappeler AppleSeed, ni GITS...)
4 De Da Scritch - 03/08/2009, 15:39
Je suis heureux de ta remarque, car je croyais être le seul a avoir relevé cette forte similitude entre Patlabor 2 et GITS. J'ai préféré le premier.
5 De Mitch 74 - 03/08/2009, 16:54
En fait, Patlabor 1 (1989) et 2 (1993) étaient déjà deux réalisations d'Oshii; le premier était un exercice scénaristique (Eiichi Hoba et les robots qui deviennent fous; il est intéressant de penser que Shirow a pu s'inspirer de ces éléments pour GITS (manga), puisque la prépublication commença après la sortie du film...), le second un exercice d'animation (essentiellement les passages de Shinobu dans les ruelles submergées, qui préfigurent la balade en bateau de Kusanagi) sur fond d'intrigue policière; les deux combinés ont donc essentiellement servi de formation à Oshii pour GITS 1 (1995).
Patlabor WXIII (fin 2002) reprend le scénario d'un des épisodes de la première série d'OAVs Patlabor, mais n'est ni du même réalisateur, ni du même studio; le seul point commun avec GITS 2: Innocence (2004), c'est Kenji Kawai. Et pourtant, bizarrement, ces deux films se ressemblent quand même pas mal... Mais je crois qu'en fait, le Production I.G. (producteur de GITS 2:Innocence) a racheté le studio Madhouse - ce qui a pu entraîner la présence d'animateurs-clés et d'intervallistes communs aux deux films. Mais malheureusement, vu le peu de diffusion de Patlabor hors Japon, la production et réalisation de WXIII n'a pas été très creusée, du moins dans une langue que je maîtrise.
6 De Da Scritch - 06/08/2009, 20:15
IG et MadHouse sont complètement indépendants : MadHouse est en fait acheté par une importante corporation japonaise qui a été mon employeur. Mais comme bien souvent, les studios sous-traitent entre eux, cela n'a rien d'étonnant que la confusion aie pu t'arriver.
J'ai entretemps appris que c'est Shirō qui a bloqué la deuxième partie de la traduction anglaise du Databoook d'Appleseed, qu'il a récemment autorisé après une "mise à jour" en 2007. Néanmoins, info venant de l'éditeur Glénat, rien ne sera fait en France
À noter qu'une version remaniée a été publiée sur ActuaBD . Ça peut toujours faire bouger les choses.
Warren Ellis vient de se outer en citant le nom du premier artbook de Shirō
7 De Mitch 74 - 10/08/2009, 22:53
Ah, si seulement... Il est vraiment très malheureux que toutes ces séries aient été éditées il y a si longtemps, et chaque fois à partir de remaquettages US dégueulasses.
Mais gardons espoir! Si des trucs comme Maison Ikkoku ont eu droit à une republication remaquetée depuis l'original japonais (malgré l'intérêt graphique assez relatif de la série), on peut espérer qu'il en sera de même pour des références comme AppleSeed.
Merci pour la précision MH/IG; les sources que j'aie pu trouver sont pas mal contradictoires, les avoir par quelqu'un d'informé fait du bien.
Glénat a les droits exclusifs de GITS en France?
8 De da scritch net works - 13/03/2013, 13:32
« Knights of Sidonia #1 »
Tsutomu Nihei revisite l'un des thèmes archiclassiques du manga pour garçons, en interrogeant sur le destin de l'Humanité. Traduction Francophone chez Glénat. Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 16 Février 2013....