Dehors, le temps est à la pluie, celle-ci tambourine contre les carreaux anciens dont l'imperfection en donne tout le charme. Dans le cœur de l'ancien occupant, il y règne un curieux mélange de regrets et de soulagement, tandis que son interlocuteur nouvel arrivant ressent une ombre tenace qui précède ses pas.

« En entrant, vous avez vu le local poubelle à gauche au fond de la cour ?
— Oui, tout à fait.
— La deuxième porte est l'entrée du bunker. »

Cette partie-là de la discussion n'est pas censée durer plus de dix minutes, mais c'est le moment le plus symbolique, donc le président sortant ne ménage pas son effet.

« Et voici l'Engin. »

La curiosité et le profond respect se lit dans le visage du Nouvel Élu, si une déception y pointait, elle ne se verrait pas.

« Elle ne vous quittera pas. Normalement votre intendance fera toujours en sorte que vous ayez une prise de 220v triphasé à proximité. Au cas où.
— Ainsi c'est elle.
— Oui
— Et comment marche-t-elle ?
— On l'allume ici. Vous composez le numéro de téléphone du fax de la conciergerie, et quand ça décroche, vous appuyez sur Connexion Fin
— Je n'aurais jamais crû que la fameuse Mallette Nucléaire était un minitel. Et pour envoyer les missiles ?
— La touche Envoi »

Cet instant est sacré. Il n'appartient qu'à eux deux, dans le Saint des Saints de la République. Il semble durer une éternité pour les télévisions qui commentent en direct la passation de pouvoir. Leurs caméras n'ont que des Gardes Républicains au garde à vous pour s'occuper.

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Source image : Le Télégramme de Brest

« Et là, il est pointé vers qui ?
— Il est pointé nulle part : il est en panne. Et Matra ne semble pas en avoir un de rechange. »

Plateau d'Albion, est. 1967

La France entretient pour les besoins de son égo un nombre certain de lanceurs balistiques équipés de têtes nucléaires. Certains disent que le nom de cette base a été choisi au cas où l'ennemi redevint la Perfide Angleterre. Mais la réalité, à mon huble avis, est plus triste que ça : Depuis plus de 20 ans, celles-ci n'ont aucune utilité.

Leur principe d'utilisation éventuelle est la destruction mutualisée. À savoir qu'aucune autre nation équipée d'un tel arsenal n'osera s'en servir contre La France, car celle-ci rispoterait immédiatement en détruisant aussi l'hostile nation belliqueuse. La possession historique de la bombe nucléaire assure un siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU, et le droit de déclarer la guerre à quiconque qui oserait s'en fabriquer une en loucedé. Ben voyons. C'est bien le Coq, notre emblème national.

Évidemment, le site a été décommissionné, et le déploiement rendu plus mobile avec 4 (QUATRE) sous-marins nucléaires et des porteurs routiers.

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Relire cet épisode de la Psychanalyse des claviers pour la source de cette illustration

Mais la question reste toujours la même : en l'absence d'ennemi ouvertement déclaré et équipé de lanceurs balistiques armés de charges nucléaires, quel intérêt à dépenser annuellement plus de 2,5 milliards d'euros ?

De toutes façons, la mallette nucléaire n'a jamais vraiment existé, tout passe par une échelle de commandement hiérarchisée. Encore heureux : on est jamais à l'abri d'un faux contact.


Finalement, cette histoire aurait pu être en conclusion de mon anthologie « Ré-Élysez-moi ASAP ! ».