Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 27 Avril 2013.
Qu'est-ce qui fait qu'on trouve les pieds “beaux”. Je ne parle pas d'un fétichise à la Georges Tron ou à la Quentin Tarantino, mais d'un critère de beauté très spécifique de la Chine Impériale : les fameux « pieds en lotus d'or ». 7,5cm de long. Et quand on sait que de tels pieds sont recherchés par les nobles et les riches bourgeons, on comprend d'un coup pourquoi des milliers de filles eurent les pieds torturés dès leurs 6 ans.
J'ai amené un mètre à notre émission, pour mesurer la longueur de nos pieds. La taille relevée de ceux de l'équipe de l'émission varie entre 25 et 30cm. 7,5cm, c'est plutôt la longueur de nos mollets. Ouch.
Chunxiu subit donc la souffrance des pieds bandés, où les os sont tordus, et où il ne lui est pas possible de poser un pied au sol pendant deux semaines. Impossible de marcher, « la potion est amère, mais le jeu en vaut la chandelle » lui répète doucement sa mère. 6 ans est l'âge idéal, quand la peau est douce, les articulations tendres et les os pas totalement durs. Je lis ici l'opération telle qu'elle est racontée dans le livre :
Il faut d'abord préparer deux petites paires de souliers bien cousus, et tout l'équipement nécessaire : une bande blanche de tissu de chanvre, raidie avec de l'amidon, bien sèche et enroulée ; également une paire de ciseaux, un dé à coudre, une bonne aiguille et du gros fil de couture, sans oublier de l'alcool jaune, une cuvette, du coton, des chutes de tissu… ah oui, j'allais oublier, il faut du sang frais de chèvre.
[…]
Son sang a immédiatement détendu mes pieds. Puis [ma mère] les a pris sur mes genoux, a saisi quatre orteils dans sa main… et les a recourbés avec force contre la plante de mon pied.
Un tonneau de larmes, mais l'assurance d'être mariée à un beau parti.
Dans son précédent triptyque « Une vie Chinoise », Li Kunwu racontait l'idéal de son père, une histoire de la Chine de 1946 à nos jours. Là, ce sont les rêves brisés de sa nounou Chunxiu secoué par les différentes révolutions. Celle de la République, puis celle de la Révolution Culturelle. Et le martyr, l'idéal, la mutilation subie pour ce qui allait devenir une époque révolue.
La Révolution Culturelle où les nattes furent coupées, les statues brisées, les rouleaux de poèmes brûlés. L'ère d'une autre culture qui ouvrait la Chine à une autre modernité. Et aussi pour Chunxiu, ses pieds dont elle était si fière qui vont devenir pour elle l'objet de brimades.
C'est encore plus troublant quand au milieu du livre, on tombe sur la photo d'un petit meuble à maquillage et surtout des chaussons de soie, qui font 7,5 cm de long.
Je vous laisse découvrir dans le livre si elle a trouvé un beau parti, et comment son destin fut lui aussi tordu au point de devenir nounou d'un commissaire du peuple.