English version here
Tout récemment, on me posait la question Que peut apporter le développeur dans une salle de rédaction ?
. Extatique, j'ai parlé de l'open-data qui est en pleine explosion, mais dont les données brutes sont encore à croiser, à présenter et à interpréter pour qu'elles deviennent lisibles pour les citoyens. J'ai aussi parlé des possibilités amenées par le HTML5 comme le SVG, Canvas et bien évidemment par WebGL pour transformer en vraie page interactive un article.
J'avais tort
En fait, ce n'est pas d'un développeur que les salles de rédactions ont le plus besoin, mais d'un hacker. Un Vrai. Un Tatoué, un Parano, un Qui-Fait-Peur.
Pourquoi ? Par ce que l'actualité immédiate vient de nous le prouver : Un très bon journaliste est un journaliste qui dérange, qui demande des comptes, qui n'hésite pas à dénoncer les abus de pouvoir, qui enquête et qui fait éclater les affaires.
Et en ce moment, c'est le scandale de la surveillance globale des États-Unis, dont le programme PRISM de la NSA n'en est qu'un tout petit bout. Une écoute globale et automatisée du monde et des propres citoyens américains à une échelle que la Gestapo et le KGB rêvaient d'avoir. Une surveillance sans juge, sans contrepartie, sans aucune représentativité d'un pouvoir élu, et donc ouvert à tous les abus. Des données sensibles manipulées par des contractants d'entreprises privées, comme Edward Snowden, puisqu'on estime que par le jeu de la sous-traitance, 2% de la population Américaine aurait accès à des données personnelles collectées par des agences de renseignements. Une industrie ou la France aussi est malheureusement présente, surtout dans des contrées très hostiles envers les opposants au pouvoir en place.
Et tout cela, bien évidemment, avec le prétexte du terrorisme. Mais plus personne n'étant dupe, il faut fermer les ambassades pour encore en exagérer la menace.
Pendant ce temps là, 1984
Quand l'État utilise l'intimidation, la coercition, la détention abusive de proches, il se montre digne de régimes totalitaires. Ainsi, les services secrets Britanniques se sont doublement distingués dans les dernières 72 heures :
D'abord en emprisonnant d'une manière abusive David Miranda car il est proche d'un journaliste qui travaille au Guardian sur les documents sortis par Edward Snowden.
Ensuite, en se rendant dans ce même journal pour détruire physiquement des ordinateurs ayant manipulé lesdites pièces, tout en sachant pertinemment qu'il existe des milliers de copies déjà disponibles par ailleurs. Donc une opération soit par intimidation, soit par frustration, mais une destruction inutile et vexatoire.
Entre le hacker
Celui qui lit les journaux spécialisés dans la sécurité informatique, celui qui regarde deux fois derrière lui, celui qui dort avec ses gizmos, et qui en maintient des copies dans des caches, celui qui crypte ses données, celui qui ne fait plus confiance dans les machines contaminées de DRM, un cyberpunk, un androïde paranoïaque.
bref…
Celui qui porte un chapeau en papier d'alu.
En fait, il faut que le hacker organise dans les rédactions des CryptoParties pour apprendre aux journalistes
- que l'open-source est vital,
- en quoi le cloud peut devenir toxique,
- comment installer un OS propre sur son smartphone,
- pourquoi et comment un site peut se faire trouer,
- comment concevoir une stratégie de sauvegarde et de reprise,
- comment utiliser la navigation privée de son navigateur,
- comment utiliser OpenPGP dans ses e-mails,
- en quoi le chiffrage peut être fort ou faible,
- comment crypter ses partitions
- et bien choisir ses mots de passe
Car le journaliste doit absolument maîtriser ces bases quand ce qu'il raconte génère autant d'abus.
Et à ce sujet
Il faut qu'avec le Tetalab, je relance une CryptoParty.
Car la vie privée numérique, ce n'est pas que l'affaire des journalistes, c'est avant tout l'affaire de tous les citoyens.
4 réactions
1 De Laure Colmant - 20/08/2013, 11:10
On pourrait peut-être commencer par des sessions de sensibilisation et de formation dans les écoles (de journalisme) ?
2 De Da Scritch - 20/08/2013, 12:52
Laure, n'est pas urgent d'expliquer à cet abruti de Laurent Joffrin pourquoi contrôler les e-mails est très dangereux ? Et si possible qu'il se fasse sortir par une motion de défiance de sa rédaction ?
http://www.numerama.com/magazine/23...
Il n'y a pas que ceux qui sortent d'école de journalisme qui sont dans cette profession, ils sont même une minorité des porteurs de carte officielle en France. Et ils serait bien aussi de l'expliquer à ceux déjà en place, ceux qui sont d'autant plus vulnérable qu'ils ont déjà travaillé sur plusieurs dossiers très chauds.
3 De LordPhoenix - 20/08/2013, 22:36
Peut-être commencer par virer Google Analytics de son propre site…
4 De marc - 06/05/2015, 09:26
… hélas non, mon cher DaScritch, hélas non. Je pense –j’espère que tu ne t’en offusqueras pas-, je pense donc que tu commets strictement les mêmes erreurs que tes adversaires politiques et que les politiques en général (et des généraux et colonels qui sont entrés en politique et jouent le rôle de « conseillers occultes » en particulier)
L’erreur que tu commets est de vouloir expliquer la technique à des gens dont ce n’est pas le métier, afin qu’ils comprennent les implications sociétales d’une loi ou d’un dispositif. Je sais, tu as été nourri au sein de la BD Franco-Belge, et pour toi, très tôt, la science a été sujet de passion. Les expériences de Duranton (hacker avant le mot) dans Pif Poche par exemple. Ou les aventures des Fantastic 4 ou de Black et Mortimer qui, par la science, domptaient le mal grâce à la puissance du XR395, touché coulé.
Tu aurais plutôt te plonger avec délice dans les « belles histoires de l’oncle Paul ». Parce que c’était du Charlier pur sucre tout d’abord, parce qu’il expliquait l’histoire par la « petite histoire », qu’il vulgarisait par l’anecdote, qu’il faisait entrer dans nos têtes vides des éléments de l’aventure humaine. « L’histoire nous apprend que l’histoire n’apprend rien », phrase que l’on attribue à Shaw, à Engels, à Marx, se vérifie hélas souvent. Et c’est cette histoire qu’il faut rappeler aux journalistes de la presse généraliste. Pas les conséquences d’une attaque « man in the middle », fût-elle légale ou non. Mais sont-ils prêts à l’entendre ?
La loi sur le renseignement a été portée comme un seul homme par l’ensemble des députés toutes couleurs politiques confondues, mais également par la majorité de ses opposants. Lesquels, généralement interviewés sur ce point, débutaient leur propos par « Certes, il faut une loi pour encadrer les services de renseignement mais… »
NON ! par sainte Anastasie, patronne de la censure. Non ! C’est ce qu’exprime d’ailleurs fort justement une personne du « marais », Hervé Morin, qui clame depuis le début qu’il ne faut surtout pas une loi sur le renseignement –ou sur l’encadrement de ses pratiques- car c’est faire entrer dans le droit commun des pratiques d’exception qui doivent demeurer dans le domaine de l’exception. Et le franchissement de ce cap, conduit à la banalisation de l’acte.
Laissons aux barbouzes ce sale boulot et cette latitude de mouvements qui consiste à espionner son prochain. Lorsqu’il dépasse les bornes, le politique peut le remettre à sa place sans avoir à se justifier. S’il (le barbouze, le flic) bénéficie de l’encadrement de la loi, il bénéficiera également d’une totale liberté de mouvement et d’une totale protection des éventuels reproches de la part des politiques, car le seul obstacle à la mise sur écoute sera le prétexte. Et, en matière de prétextes, nos « vaillantes synthèses de l’esprit et du muscle » sont de véritables champions, ils en trouveront toujours un de très convaincant. Ah la dépèche d’Ems ! A les terrifiants Irlandais de Vincennes ! Ah, les accents convainquant de Colin Powell lors de son discours à l’ONU. Au cri de « mes barbouzes m’ont dit », il justifiait le Patriot Act, il entrainait des dizaines de pays dans une guerre sanglante et totalement inutile –une guerre est-elle utile d’ailleurs-, il ouvrait la porte à la légalisation des écoutes sur Internet. L’histoire nous apprend.
J’ajouterais également que la voie légale, en matière de défense, est systématiquement un prétexte aux régimes sinon totalitaires, du moins « musclés ». Les pires dictateurs, durant ces 70 à 80 dernières années, sont parvenus au pouvoir par les urnes. Et les moyens mis en œuvre pour conforter leur position ont tous fait l’objet de procédures administratives tout aussi légales. L’encadrement de tels procédés n’est pas un rempart contre la dictature, bien au contraire. C’est le premier pas vers cette dictature, que subira tôt ou tard notre pays. Les régimes autoritaires font régulièrement surface dans notre histoire… le dernier n’est pourtant pas si lointain, le prochain pourrait concerner notre descendance directe. L’histoire nous apprend.
La solution à un problème politique ou géopolitique ne peut être que politique, pas technique. En découvrant l’informatique et les outils de communication, les politiques actuels pensent avoir découvert la panacée scientiste aux problèmes qu’il était difficiles de résoudre par des moyens politiques. D’autres s’y sont essayé. Napoléon III, le gouvernement Tiers, le gouvernement de Vichy… En matière d’écoute des réseaux postaux, téléphoniques, radio, ils se sont montrés très efficaces.
Faut-il des hackers au sein des rédactions ? –ou faut-il instiller aux journalistes la fibre hacker ? Sur ce point, je te rejoins. Mais qu’est-ce qu’un hacker ? Avant toute chose, c’est un curieux polymorphe, un assoiffé de connaissances des sciences et des techniques. Ce n’est donc pas un spécialiste du « make-make install », de l’intrusion DNS, de la faille PHP ou du cassage de clefs 1024 bits. C’est également un individu qui s’intéresse à la chimie, qui se passionne pour la mécanique, qui s’emballe pour la physique, mais aussi –mais surtout- qui se vautre dans la sociologie, se plonge avec délices dans Michelet ou Sainte Beuve, et qui ne répond pas « Lucrèce… tu parles de Borgia, celle de la série TV ? » lorsqu’on lui cause du tetrapharmakon. Bref, un hacker qui soit capable de dire, dans une rédaction, « tiens, c’est pas la première fois qu’un gouvernement de gauche tente de faire passer des lois qu’un gouvernement de droit n’aurait jamais oser proposer sans que la foule hurle au fascisme ». Ou qui fait remarquer, tant au journaliste qu’au politique, des conséquences historiques à longue échéance d’une décision prise à la hâte aujourd’hui.
Autrefois, on appelait ça l’humanisme. Aujourd’hui, cela relèverait plutôt de la culture générale. Peut étonnant, dans ces conditions, que le nouveau projet de loi sur l’enseignement vise à faire disparaitre les langues mortes –et par conséquent la lecture des philosophes « dans le texte »- minimiser l’histoire, cette matière honnie mère de la plus abominable perversion qu’est l’analyse ou la réflexion, au profit des savoirs « immédiatement exploitables ». Normal… des fois qu’un jour un journaliste explique à ses lecteurs, preuves historiques à l’appui, les dangers d’une loi.
Mais c’est bizarre, personne n’est là pour manifester contre ce nouveau projet d’aménagement de l’enseignement qui, d’un point de vue sociétal, est tout aussi dévastateur que la loi sur le renseignement.
Marc