Avec Philippe Pitet. Réalisation : Mika Slayki
Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui nous écoutera dans quelques secondes, le temps que le stream fraie son chemin depuis la Cinémathèque.
En ce spécial Extrême cinéma, festival dont j'observe la folie depuis 15 ans, il fallait forcément que je parle de film de bords, et de ceux tout aussi décalés qui les font, les regardent, les commentent et les remixent.
Extrême Cinéma présente des films rares, des films parfois enthousiastes, barrés, étranges, qui ne sont pas soutenus par une puissante machine commerciale, qui n'ont aucun nom connu au générique, qui ont rarement plus de 50 copies distribuées dans le monde, qui ont parfois des conditions de tournage aussi rocambolesques qu'archaïques. Des films issus de cerveaux fous, de réalisateurs monomaniaques, d'acteurs étranges, d'accessoiristes débrouillards et de montages financiers improbables.
Passée leur époque d'exploitation dans les salles obscures, ces films disparaissent parfois plus vite que leur affiches ne sont recouvertes par les sorties du Mercredi suivant. Mais parfois, il suffit qu'un professeur Thibaut ou qu'un Franck Lubé ouvrent une boite métallique au format pizza géante pour qu'une œuvre oubliée bien avant la naissance de Canal+ aie à nouveau la chance d'être projetée sur le silver-screen de la rue du Taur.
Une œuvre que ne renierai pas feu Jean Rollin, malgré le tampon Eurociné sur l'amorce du film.
Et des comme ça, y'en a des rayonnages. Si la place et les moyens de consultation sont forcément comptés dans une cinémathèque physique, inutile de dire que la place est théoriquement gigantesque sur internet.
Avant le web, seules des revues spécialisées du CNRS comme Mad Movies pouvaient nous tenir informés de ce genre de spécimen. Désormais, nous avons des sites à haute-réputation de sérieux comme Nanarland qui proposent de très courts extraits. Mais je ne te parle que du matériel critique, il te reste à devenir spectateur immédiat, et plus l'homme qui a vu l'homme qui a vu la dernière séance.
Alors quid d'un festival de films barrés sur le web ?
La projection sur internet se heurte aux problèmes de la gestion des droits et des coûts de bande passante :
Il existe une réalité qui fait froid dans le dos à Hollywood : la conservation sûre et certaine des œuvres cinématographiques purement numériques est bien plus chère et moins certaine que celles sur film analogique. À tel point que les films à budget modestes entièrement tournés en numérique, et qui ne sont plus tirés sur pellicule argentique 35mm, pourraient bien disparaître des archives des studios en cas de glitch.
Il existe une autre réalité qui est celle des droits, des copyrights et des licences. Les contrats d'exclusivités de catalogues rendent parfois impossible de re-projeter un film, parce que plus personne ne sait exactement à qui il appartient, ou qu'il y a tellement de droits partagés entre des centaines d'entités commerciales qu'il est impossible d'en sortir un accord de rediffusion.
Mais le plus gros souci concernant l'éventuelle diffusion online de ces œuvres, qu'elles soient de genre ou transgenre, c'est cette obligation nouvelle que le CSA et le CNC veulent pousser sur tous les sites audiovisuels
disponibles en France : la Loi des Quotas. Dans leur illogique manière de croire qu'un site web est identique à une radio ou une chaîne tv hertzienne, celle-ci imposerait qu'au moins 40% des œuvres proposées à leur catalogue soient issus de l'agriculture française; intensive et subventionnée. Ce qui laissera plus de place pour notre bouse nationale que pour les petites pépites comme les films d'action Turcs, les opéras Hindis, les westerns Patagoniens, les comédies d'action Hong-konguaises, le Nollywood qui redéfini les sociétés d'Afrique, et les litres d'hémoglobines de Miike Takashi.
Nous n'avons pas le monopole des cinéastes enthousiastes mais fauchés.
Si nous laissions le CSA légiférer sur internet pour y imposer notre Glorieuse Exception Culturelle, que deviendrait la scène culte imaginée par Tim Burton dans son biopic « Ed Wood » il y a 20 ans ? Cette scène où le réalisateur en question, enthousiaste en diable mais tâcheron en puissance, rencontre fortuitement le génie pur d'Orson Welles ? Elle serait remakée en Yann Moix qui croise ce cinéaste de légende qu'est Gérard Pirès. Avouez que ça nous ferait vraiment mal.
Enfant du futur immédiat, s'ouvrir à toutes les cultures et à toutes les passions, c'est non seulement en accepter les excès, mais devenir quelqu'un qui en sait trop pour la médiocrité des parvenus. Alors, si le cinéma n'est jamais mieux qu'au cinéma, vient profiter de trop rares bobines à la Cinémathèque de Toulouse, vient te rincer l'œil à Extrême-Cinéma.