Avec Marie et Eugène Lawn. Réalisation : Philippe Pitet.
Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui nous écoutera dans quelques secondes, le temps que les électrons rebondissent dans les cables…
Je commence ma chronique branchée en citant cet extrait de « Nerdz » (série où officiait Monsieur Poulpe quand il fut drôle donc sur Nolife), épisode « des geeks dans la brume » : Tous les geeks sont égaux face à la prise péritel cachée derrière la télé.
Dans l'univers formicapunk™ des années 1980s arriva cette bien étrange prise péritélévision
au dos des téléviseurs couleurs vendus en France. Oui, exclusivement les télés en couleurs, celle des riches. Une prise rectangulaire avec un angle bizarre, 23 broches en fines lames. Elle a été imposée par décret ministériel, dans l'espoir de ralentir l'invasion des téléviseurs japonais. Horreur ! non seulement elle ne les a pas ralenti, mais elle a même favorisé les magnétoscopes, les ordinateurs familiaux et consoles de jeux qui venaient d'en-dehors de notre post-giscardien et triste hexagone.
Eh oui… ni Thomson, ni Radiola, ni Brandt, ni Telefunken, ni Vedette n'ont survécu ! La prise française a surtout marché pour Sony, Philips, Akai, Commodore, JVC et Atari.
Néanmoins, elle fut l'outil oublié qui permit à Canal+ de devenir un empire : ses ingénieurs reconnurent qu'ils n'avaient aucun moyen de faire un décodeur fiable et peu cher à produire sans elle. Les constructeurs de décodeurs pirates étaient parfaitement d'accord là-dessus.
Ses broches permettaient de prendre le signal décodé par la télé et de le transformer avant de le réinjecter direct dans le tube cathodique et le haut parleur. Nous avions le contrôle des horizontales et des verticales. Et donc, elle aida l'explosion de l'informatique familiale en proposant une image stable et particulièrement nette transformant la télévision du salon en moniteur vidéo tout à fait acceptable, là où les autres pays devaient passer la plupart du temps par la fiche antenne et donc avec une image très peu stable.
Oui, parce qu'à l'époque nos téléviseurs avaient rarement des coins carrés et une image plane. Foin d'image stable, nos pixels étaient ronds et baveux comme des œufs. Et comme ces téléviseurs étaient plus prévus pour afficher des images que du texte, la prise péritel fut un gain énorme qui a permis en Europe à l'informatique familiale de prospérer. Le ZX Spectrum, le Commodore 64, l'Amstrad CPC, l'Atari ST, et last but not the least, l'Amiga de Commodore furent bien moins chers dans nos contrées car nous n'avions pas à acheter avec un moniteur exprès. Ces ordinateurs qui la plupart démarraient sur un langage genre Basic ont fait sauter bien des petits jeunes avides de jeux vidéos à la programmation. On n'avait que son ordinateur à trimbaler chez les copains ! Pas ce foutu meuble familial d'une vingtaine de kilos.
Les quarantenaires qui construisirent internet en sont tous passés par là : d'une putain de prise au cul difficilement choppable à tâtons, mais qu'on trouvait sur tous les téléviseurs. Et des schémas bricolages amusants de Science & Vie qui ont appris à certains et la soudure, et le signal vidéo et les joies de la haute tension accolée à une bobonne de verre blindée sous vide. Tu la sens la châtaigne à 5kV ?
La péritel fut vantée aux US sans être adoptée. D'ailleurs, savais-tu que la prise VGA possède des propriétés qui te sont proches ? Et que la prise HDMI sur ses premiers documents de travail te citaient nommément ?
Néanmoins, elle avait de sérieux inconvénients : franco-française, elle n'existait quasiment pas hors de l'Europe, ou sinon sous le nom de SCART. Purement analogique, elle n'a jamais été conçue pour le son 5.1 ou les résolutions HD, on a simplement bricolé pour passer l'écran au format large 16:9. Elle était au final assez fragile, avec ses dents en lames et il n'était pas rare de voir qu'un bourrin avait enfoncé la prise à l'envers, en utilisant une télécommande en guise de marteau.
La péritel se meurt, assassinée dans sa belle décadence par un décret ministériel (eh oui, encore) en ce mois de novembre. Elle qui fut synonyme de Canal+, de meilleure image sur les VHS et de bidouilles à coup de fil à wrapper dans les broches 1, 3 et 4 pour avoir la sortie son, comment croyez-vous que les radios associatives vous passaient des extraits de tv ? Grâce à elle vécurent de leurs plus beaux atouts le magnétoscope, l'informatique familiale, le camescope, tous ces vieux gizmos incapables de vivre sans une prise 220v et un écran de télévision furent les outils qui ont fait exploser la première génération de geeks micros, les vrais bidouilleurs de la vidéo.
Enfant du futur immédiat, la péritel fut ce qui transforma le téléspectateur en acteur et metteur en scène de sa télévision. La HDMI était censée la cadenasser, heureusement que ce n'est toujours pas gagné.
La péritel a vécu son heure, gloire à elle et garde à vous !
♬ Allons enfants du tub'cathodiiiiiqueuuuh
Le jour de gloire est arrivé
Contre nous de la synchro hostile
La broche 8 est à +9 volts ! (bis)
Commutons le signal vidéo
et prenons le contrôle du tube
pour mettre nos ordinateurs
nos consoles et nos VHS....Aux pads et cætera !