Ceci est une partie du script de la release Ex0007 du programme CPU, diffusé Jeudi 29 à 11h. Plus d'infos sur le site de l'émission. logo de l'émission CPU

Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui nous écouteras parce que tu as trouvé notre programme d'une manière quelconque.

La première chose qu'un enfant apprend à faire, et la première chose avec laquelle on note son intelligence, c'est de nommer les choses. Ainsi fut le verbe, et p-a-papa !

Dans les protocoles réseaux d'internet, les machines discutent entre elles en s'appelant par des adresse chiffrées, qu'on appelle une adresse IP. Celles-ci ne sont pas forcément faciles à retenir pour les humains. D'ailleurs, maintenant que nos téléphones ont tous un carnet d'adresse intégré, je doute que vous ne connaissiez plus d'une dizaine de numéro de téléphones de vos proches.

Pour accéder à un site internet, le faire à partir de son adresse numérique est nettement moins évident. Il y a des cas qu'on retrouve facilement, par exemple une page web grâce à un moteur de recherche, comme on en a parlé il y a 15 jours. Mais pour un serveur non indexé, pour une adresse e-mail, et que sais-je encore, n'avoir qu'une adresse numérique est tout sauf pratique.

Heureusement, il est possible de donner un nom d'alias à votre ordinateur. Et donc indiquer que le site cpu.pm pointe vers l'adresse IPv4 89.234.156.173 ou en IPv6 2a01:6600:8083:ad00::1. Ceci peut se faire en éditant le fichier hosts, en général dans le répertoire /etc de votre ordinateur. Et d'ailleurs, c'était plus ou moins comme ça que faisait les gros centres informatiques reliés aux origines d'internet dans les années 1970s et 1980s, avec les responsables systèmes qui s'envoyaient par e-mail les modifications d'adresse IP et leurs noms.
Mais comme ce n'était pas très pratique à maintenir surtout une fois passé de 10 machines à quelques centaines, en 1984, les responsables décidèrent de créer un annuaire commun, le système de nom de domaine, ou Domain Name System (oui, je m’entraîne déjà pour l'émission de la semaine prochaine). Avec une convention de nommage allant de la droite vers la gauche.

Tout à droite, vous avez le TLD, ou Top Level Domain, ou encore Domaine de Premier Niveau. Les 6 TLD génériques qui furent d'abord créés permettaient de catégoriser et donc de comprendre à qui on s'adresse :

  • en .com, à une entreprise
  • en .edu, à une université
  • en .org pour une organisation à but non lucratif
  • en .net, à un prestataire technique d'internet
  • en .gov pour un ministère ou tout autre organisme du gouvernement fédéral américain
  • en .mil, à un ordinateur du Pentagone, classement totalement à part rien que pour faire plaisir aux illuminés des théories du Complot
< De ces 6 TLD, on commença par la suite à créer des TLD en deux lettres, ou cc-TLD, rattachés à des pays. Le code est lié à une nomenclature déjà existante, la ISO 3166-1. Vous connaissez le .fr, qui est celui de cocorico, la Frrrrrance. Il y a .uk pour le Royaume Uni, le .de pour l'Allemagne.
Sauf que tout le monde a oublié qu'il existe un .us pour les États-Unis, sans compter les pays qui ont disparu de nos jours comme le .su pour ... l'URSS (que l'on peut encore demander) ou le .cs pour la Tchécoslovaquie.

Avant le TLD, vous avez le qualificatif de domaine, par exemple radio-fmr . C'est en général le nom de la marque d'une entreprise. Le qualificatif et un TLD forment un nom de domaine, et c'est pour l'obtenir que l'on loue à l'année.

Et en dessous, on peut mettre des sous-domaines. Comme par exemple "www" pour www.radio-fmr.net , ou encore "admin" ou encore "pc-de-dascritch". Mais ces sous-domaines sont quasi gratuits : je peux en créer autant que je veux, addossé à mon nom de domaine. Leur création relève de la responsabilité de celui qui aloué le nom de domaine, et à son entière discrétion.

En fait, ces registres DNS sont les derniers éléments réellement centralisés d'internet. Et l'enregistrement d'un nom de domaine se fait en s'adressant, directement ou non , à une entreprise gestionnaire du TLD voulu.
Et la règle d'obtention est la plupart du temps très simple : si le nom est disponible et que tu paies, premier arrivé, premier servi !

Alors évidemment, la question de la légitimité d'un nom de domaine fut très vite posée. Prenons lotus.com . Laquelle de ces entreprises pourrait y avoir plus le droit que les autres ?

(le plateau passe en mode quizz)

  1. L'éditeur de la suite logicielle d'entreprise Lotus 1 2 3 et Lotus Notes ?
  2. Le constructeur britannique de voitures de course, que vous pouvez vous payer si vous avez été revendeur de la suite logicielle précédemment nommée ?
  3. Le fabriquant de papier toilettes ultra-doux que vous ne manquerez pas d'utiliser la première fois que vous aurez eu à faire un freinage d'urgence avec votre voiture de course homonyme ?

Allez, je tue le suspens : actuellement, c'est IBM qui l'a, ayant racheté l'éditeur logiciel.

Afin d'organiser la gestion de ce business est créé en 1998 l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) qui régule à la fois les règles de ce business, distribue les TLD entre registrars et maintient les serveurs DNS racines qui sont à la base des annuaires d'internet.

À partir de la fin des années 1990s eurent lieu des réservations de noms de domaines dits en or. Parce qu'ils représentaient ceux d'une marque, d'un mot commun ou d'un verbe en anglais, d'une ville ou d'un nom de famille plutôt courant.
La plupart de ces noms de domaines aboutissaient nulle part. Ou plutôt, presque nulle part : un site web était placé derrière, une simple page, qui disait que le nom de domaine est disponible à la vente, à un prix d'achat singulier.
Singulier au sens que le nombre n'a pas qu'un chiffres, mais plusieurs, parfois les possesseurs de certains noms demandent plusieurs centaines de milliers d'euros, et que tant que personne n'est prêt à débourser un tel chiffre, et bien ils continuent à louer leur nom pour une dizaine de dollars annuels.

Bien évidemment, il y eu très vite des abus, que l'on appelle cybersquatting, l'art, non pas de faire de la trottinette en tenue de Robocop, mais bel et bien de revendiquer un nom connu sans en avoir dessus le moindre droit, et en exiger une somme escroquatoire assez importante.
L'ICANN a créé une procédure de résolution en 1999, le UDRP (ou Uniform Dispute Resolution Policy). Pour l'Europe, ces conflits se résolvent devant l'OMPI, Office Mondial de la Propriété Intellectuelle.

Seulement... Si vous êtes dépositaire d'une marque internationale, il faut néanmoins la protéger le plus possible, donc déposer le plus possible de noms de domaines, dans le plus de TLD possibles. Or, il y a depuis une dizaine d'année une inflation délirante du nombre de Top Level Domain, avec parfois des limitations ubuesques comme le .mobi mais plus souvent des tarifs démentiels .

Et ça, je suis retombé dedans en voulant déposer un nom de domaine pour l'émission qui redirige vers son site web, mais qui soit facile à prononcer à la radio, à retenir dans la tête et à écrire sur un téléphone portable.
Il est vrai que les noms en 3 lettres en .com en .net ou en .org sont tous occupés depuis la fin du précédent millénaire. Mais j'ai quand même testé...
Sauf qu'en faisant mon shopping chez le registrar Gandi, j'ai eu des propositions plutôt délirantes, genre "cpu.space" pour 423,32 €/an, inutile de dire qu'on obtient vite des prix stratosphériques sans réelle justification.
J'ai pris les 5 plus chers.

Or qui "classement" dit "top" et qui dit "5" dit .... Le Top 5

  1. cpu.tech pour 11347,64 € /an
  2. Ex-aequos cpu.online , cpu.site, cpu.review, cpu.software pour 3816,18 €/an
  3. cpu.website pour 1670,07 € /an
  4. cpu.八卦 (gossip en chinois) pour 1579,36 €/an
  5. cpu.market pour 1353,35 € /an

Classement non exaustif, effectué en fonction des noms disponibles et des tarifs proposés par gandi.net cette semaine, hors promotions et rabais pour achats en lots.

À noter qu'on tombe à 9€/an avec trois autres lettres, genre "zlo". Car certains noms sont considérés "en or", et donc revendu au même prix au gramme par le gestionnaire du TLD, mais hélas sans divulgation publique des critères. Je lis la réponse officielle de Gandi sur le sujet, que nous avons donc sollicité, faute de documents officiels et publics sur le sujet :

Depuis un peu plus d’un an, 600 nouvelles extensions de noms de domaine (TLD) sont venues s’ajouter aux extensions existantes (.COM, .FR, .NET, …), et il est courant de constater depuis des différences de prix substantielles sur une même extension.

L’enregistrement de zlu.tech, par exemple, serait facturé au tarif standard de 50€ par an, tandis que le domaine cpu.tech se retrouve propulsé à plus de 11.000 euros.

En cause, l’utilisation par les registres du mécanisme dit « premium », à savoir l’application d’un tarif plus élevé à une liste de noms de domaine ayant la particularité d’être facilement mémorisables, souvent très génériques et par conséquent très intéressants en termes de référencement naturel.

Qu’il soit générique ou qu’il vise un secteur niche, les registres établissent leur liste de noms premiums parmi ceux qui semblent les plus bankables, et en fixent les tarifs de manière discrétionnaire, le bureau d’enregistrement (registrar) n’ayant d’autre choix que de l’appliquer lorsqu’un client souhaitera l’enregistrer, à moins qu’il préfère ne pas les commercialiser.

Chaque liste de noms premium est spécifique à chaque nouvelle extension, tout comme la politique tarifaire appliquée. Ainsi, le nom de domaine cpu.tech est il considéré comme un Premium, mais pas les noms de domaine cpu.photos ou cpu.immo qui sont commercialisés à un tarif annuel standard, leur attractivité publicitaire étant moindre.

Ainsi lol.news monte à 46788 €/an. Pour vous iTélé, puisque vous allez changer de nom.

Évidemment, inutile de vous dire que quand j'ai dû choisir le nom de domaine de l'émission, je me suis attardé sur le moins cher, le plus logique et le plus facile à écrire avec un téléphone portable.
C'est pour ça que le programme CPU a comme site web raccourci cpu.pm , nom que j'ai donc déposé, pour 12 € annuel. Le .pm est le ccTLD de Saint-Pierre Et Miquelon, que j'ai le droit d'utiliser en tant que citoyen Français. Mais je le renvoie sur un sous-domaine, au cas où...

Enfant du futur immédiat, le système de nom de domaine est le dernier service centralisé d'internet, mais très pratique. Il ne repose que sur de la location d'adresse, mais a ses vices : il est devenu un business très lucratif, et l'explosion du nombre de TLD "génériques" démontre que nous sommes clairement dans une bulle spéculative latente. Il est probable qu'un jour, cette bulle éclate, des noms de domaines ne résolvant plus rien.


Mercis à Sophie Gironi, Alexandre Hugla et les équipes de Gandi qui ont pris le temps de rédiger une réponse officielle.