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Ce billet est dans le cycle « La Psychanalyse du Clavier ». Cliquez ici pour lire l'intro et les autres billets publiés.

Dans l'épisode précédent, on a mélangé les lettres. C'était l'Histoire Classique du clavier. Voyons la Renaissance et le clavier DVORAK.

Son nom ne représente pas ses 6 premières lettres (je garde l'écriture tout en majuscules afin de ne pas vous perturber), mais avec son inventeur, August Dvorak (Rien à voir avec le compositeur Anton Dvořák, quoiqu'ils seraient de la même famille).

Le clavier DVORAK est censé accélérer la vitesse de frappe. Grâce à une étude que le créateur de la première machine à écrire (et du clavier QWERTY) n'ont pu faire avant que son invention ne soit réellement populaire : Les habitudes de frappe. En fait, Sholes avait proposé un layout plus rapide dès la deuxième version de leur machine à écrire, mais son associé était contre (cela est expliqué page 5 du Dvorak zine). Au début des années 1930s, le professeur August Dvorak conduit donc une analyse complète du travail sur clavier, aussi bien physiologique, psychologique que linguistique sur la fréquence et positions des lettres. De là, il va concevoir un layout (une disposition des touches) totalement nouveau, faisant fi de ce qui existait déjà. En simplifié : les lettres les plus fréquentes, les voyelles, sont disposées sur la rangée du milieu exactement sous les doigts au repos, (c'est la première leçon, comme le montre l'image à droite issue de « A Basic Course in Dvorak »). Les consonnes les plus fréquentes sont les voisines immédiates des voyelles (leçon deux). Sur un clavier classique (AZERTY ou QWERTY), les touches F et J sont munis sur leur face d'un petit relief souligné pour “positionner naturellement” les index de chaque main. Manque de bol, les lettres statistiquement les plus utilisées en Français sont plutôt E, N, R… ce qui fait déjà bouger les doigts.

Et à l'époque, pour taper sur un clavier, chaque lettre se méritait et demandait une certaine force pour lancer le marteau, et une longue course pour aller jusqu'à la feuille. Un vrai biathlon. Vous pouvez pas savoir comme les claviers d'ordinateurs sont incroyablement confortables par rapport aux machines à écrire mécaniques.

En limitant ces déplacement digitaux (de digit, doigt in latinum in textum), en alternant l'usage des mains, le positionnement des lettres préconisé par Dvorak est censé réduire les douleurs du poignet (Syndrome carpien, j'en parlerais dans un billet à venir). Le DVORAK Zine l'explique en bd et largement mieux que moi (mais en Anglais, une traduction Francophone est annoncée pour bientôt sur ce site). Si les Monthy Python vous font rire en version originale, allez-y.

Anarchy in ABC

(Mashup improbable entre Sex Pistols et Jackson Five. Désolé si cette blague ne fait rire que moi.)

Dvorak ne s'est imposé qu'une seule contrainte : garder la disposition des touches des machines à écrire en QWERTY. La raison est plus économique qu'une peur de bouleverser les utilisateurs : Changer la sérigraphie des touches et la marque des marteaux vaudrait toujours moins que devoir complètement bouleverser la mécanique des machines à écrire déjà en production.

N'empêche qu'il a été assez punk pour aller jusqu'à changer la disposition des chiffres sur la ligne haute. Dans la version "standardisée" (par le comité ANSI), ceux-ci étaient classés 753190246. Avouez que ça change de l'arbitraire 123
Là où l'on commence à toucher à la confusion, c'est qu'en approfondissant ses travaux, Dvorak a décrit trois types de claviers, suivant que l'utilisateur serait droitier, gaucher ou ambidextre.

La revanche du Sapeur Camember

Bien évidemment, pour flatter, il fallait que nous ayons un équivalent pour la Langue Française, non ? Théoriquement non. Les lettres qui font partie de la zone “centrale” du DVORAK Anglais sont aussi les plus utilisées en Français. Il suffisait juste de rajouter les lettres accentuées. Mais pour satisfaire notre ego cocardier, ils ont fait plus fort : Il y a 4 dispositions francophones ! Même les sites spécialisés s'y perdentCe Wiki est le site le plus complet sur la question.

Ce qui est à noter, c'est que cette effervescence de versions francophonisées du DVORAK est relativement récente. Donc probablement plus adaptée à un usage informatique. Ce que l'on remarque aussi, c'est des débats ésotériques touchant plus à la linguistique. Par exemple, doit-on attribuer une touche morte à l'accent aigu comme pour les accents circonflexe et tréma ? Il est effectivement moins présent que l'accent grave en Français. Idem pour la cédille, utilisé que sur pardon sous la lettre c, on l'atteint désormais par la combinaison ⌈ ` + c ⌋. Effet de bord, les utilisateurs de MS-Windows peuvent accéder à ces lettres accentuées en majuscule (on en reparlera plus tard). Par contre, cela demande une certaine initiation avant de pouvoir taper un simple texte en Français sur ce type de clavier.

Niche

Si le DVORAK est plus pratique, il est étonnant qu'il ne soit pas autant répandu. C'est peut-être parce que la performance et le confort ne sont pas si importants. Comme l'a dit son inventeur : « Je suis fatigué d'essayer de rendre la vie plus simple pour l'Espèce Humaine. Ils refusent tout changement. ». Il faut dire aussi que le gouvernement fédéral Américain a tenté de l'imposer, tout comme le système métrique dans les années 1970s, ce qui a immédiatement fait pousser des boutons dans ce vaste continent où l'esprit d'entrepreneur et de non-interventionnisme étatique est enseigné à la messe.

L'autre raison est plus sombre. Issu d'une étude systématique et scientifique, sur la disposition traditionnelle, il se trouve qu'aucune étude comparative menée dans les canons scientifiques et aux méthodes irréfutables n'a été menée sur la vitesse pure (usage à court terme) et les bienfaits physiques (usage à long terme). La palette d'“analyses” effectuées à ce jour vont du bénéfice nul à l'enthousiasme trop débordant.
Bref. Les bienfaits du switch [NB1] restent à démontrer aux sceptiques.

Alors faut-il voir DVORAK comme étant une lubie de geek ?
Un des inconvénients majeurs (et modernes) du DVORAK, ce sont les raccourcis claviers. Un problème que certains utilisateurs connaissent bien en voulant utiliser un logiciel anglo-saxon mal internationalisé avec un clavier AZERTY. Même avec seulement 4 touches interverties, on sent parfois des incohérences. Alors imaginez sur un placement qui est complètement différent du QWERTY
Réapprendre une disposition de lettres après avoir bien investi peut parfois être assez rageant, surtout si tout fonctionne différemment. Et ce genre de comportement erratiques passera plus pour des bugs de la disposition du clavier que pour des erreurs de conception de l'interface du programme.
Or, faut pas se leurrer, ce qui rebute la plupart des utilisateurs face à une innovation, c'est ce temps mort où il doit désapprendre ses habitudes pour en avoir des nouvelles.

Et puis évidemment, ces fourbes de claviers QWERTY ont toujours les arguments…
Une fille en soubrette avec un soutient-gorge clavier USB
…qu'il faut où il faut. Crédit photo AngelKitty

Théoriquement, il y a encore nettement plus rapide que le clavier DVORAK : le clavier de sténotypiste. Mais son usage serait strictement inutilisable dans notre époque fortement informatisée pour pas mal de gens. Pourtant, avec la création des dictionnaires prédictifs d'écriture, l'informatique l'aura rendu incroyablement plus efficace.

Un clavier avec ma touche

Mais revenons à la remarque de Vric dans le dernier épisode, si tu veux créer ton propre layout, après le clavier en bois, je te propose le clavier sans rien d'écrit dessus comme ça tu le paramètres comme tu veux avec des scripts de repositionnement de touches (ça existe pour Mac comme pour Linux. Je suppose que MS-Windows doit aussi avoir ça). Après tout, les positions des touches son censées être connues par cœur dans un usage intensif du clavier.
Pour les plus fortunés, la solution sera le clavier à afficheurs. Un rêve. Cher, mais un rêve qui résout bien des problèmes dont je parlerai par la suite.

Prochain épisode : on jouera avec les chiffres.


Post-its

  1. Les bienfaits du switch : Marrant que je parle de switch. Il se trouve que la ROM des claviers d'Apple II comportaient de série deux layouts, un en QWERTY (celui par défaut), l'autre en DVORAK (un nombre certain d'ingénieurs d'Apple étaient fans du DVORAK). Sauf pour les marchés européens où le layout “alternatif” était l'AZERTY. Sur Apple //e, un bouton sous la machine permutait la cartographie du clavier. À ce jour, les machines Apple II pour le marché Américain sont les premières à avoir proposer au Grand Public la possibilité d'essayer facilement cette disposition.