Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 5 Décembre 2009.
Dieu peut-il être un prix littéraire ?
Je veux dire, après qu'on aie parlé d'intolérance, de communautarisme, de rejet de l'autre, a-t-on encore le droit de parler de religion autrement qu'en facteur de guerre ?
Ça va quoi, on vient à peine de foutre une ambiance délétère pendant les interviewes, et voilà que le prix de la Critique 2010 va à Dieu, en personne...
Bon ben puisque je suis de corvée pour en faire la promo... Note, faire la promo de Dieu, y'a rien de plus facile. Alors commençons par l'auteur.
Marc-Antoine Mathieu est un expérimentateur de la bande-dessinée. C'est un plasticien, et quand il nous sort une bande-dessinée, il y a un vrai jeu avec le média, faisant parfois passer ses personnages de l'autre côté de la page, les inversant en négatif,... Il manie l'épure avec brio, mais surtout ses sujets.
Sauf que là, son sujet d'expérimentation, c'est Dieu.
Dieu, descendu sur terre sans aucun pouvoir, aucun artifice, ni même deus ex machina.
Dieu, seul, le seul, l'unique.
Alors Dieu parmi les hommes, dans notre société de communication, cela entraine forcément une folie journalistique. Tous les médias ne parlent que de lui, tous les écrivains à succès veulent écrire sur lui. Cela inaugure aussi aussi une crise spirituelle sans précédent : les curés, prêtres, moins, bonzes, télévangélistes, tous doivent revoir leurs prêches. Les coachs font fortune.
Mais en fait, Dieu en descendant parmi les hommes, ne pensait pas qu'il allait se retrouver en procès. À cause de ses faits, sa création, son absence,... Est-il responsable de tout le malheur du monde ? De la moindre malfaçon ? Le fait qu'il n'arrive que maintenant malgré les prières en recommandé doit-il être une faute ? Et si oui, doit-on le juger au civil ou au pénal ?
Et là, devant le moindre guichet tout comme à la barre se pose le problème de l'identité de Dieu, Nom, Prénom, Profession, Date et Lieu de naissance, identité des parents. Mais enfin, comme se fait-il monsieur ? Vous n'avez ni numéro de carte d'identité, mais pire, vous n'avez même pas de nationalité !
Devant un procès dantesque, kafkaïen avec un dossier qui se pèse en mégatonnes de papier, Dieu a besoin d'être défendu. Mais si le Diable a droit à son avocat commis d'office, devant les charges qui pèsent contre lui, Dieu est obligé d'engager plusieurs prestigieux cabinets. Au commencement étant le Verbe, il faudra une foule de bavards pour le justifier. Ce qui veut dire payer ses avocats. Et là, une seule solution : vendre Dieu, son image, son nom, sa marque déposée, sa communication, ses interventions, ses licences, ses produits dérivés,...
Et plus on avance dans le bouquin, plus on met le doigt dans une machine délirante, celle de notre société, de sa communication exacerbé, de sa commercialisation à outrance et de ses dommages et intérêts.
Le Prix de la Critique est donc placé cette année sous le signe divin d'un humour sophistiqué, référencé et iconoclaste. Les citations littéraires sont nombreuses, indiquées à la fin de l'album. Quant à la maîtrise du Neuvième Art de Marc Antoine Mathieu, l'album est moins déroutant que sa série « Julius Corentin Acquefacques », donc justement plus accessible pour un public curieux de découvrir une BD adulte au sens intellectuel du terme.
Le Prix de la Critique est décerné par un jury constitué des 72 membres de l'ACBD dont votre humble serviteur.