Supplément Week-End, le magazine des cultures geeks Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 20 Juillet 2013.

La première BD de Gess que j'ai lu, c'était « Teddy Bear » en 1992 chez Zenda. Du concentré de cyberpunk sous un dôme :: un policier junkie dans un monde surubanisé, surinformatisé et totalement corrompu. Par la suite, il a créé l'excellente série « Carmen Mc Callum » chez Delcourt, l'épopée d'une mercenaire contractuelle des mafias, toujours dans un futur cyberpunk très proche, très moche et bien corrompu. Donc pour moi, L'univers de Gess, ce sont des équipements blindés avec une imposante coque plastique, des armes à feu d'un fort beau gabarit, des hologrammes tueurs, des visages burinés et et surtout beaucoup de drogues.
De Serge Lehman, je n'ai lu aucun roman, sinon le film « Immortel » qu'il a co-scénarisé pour Bilal. Je sais, ça fait léger, mais j'imagine son univers.
C'est donc une sacrée surprise pour moi de retrouver ces deux signatures dans un bouquin qui se passe au sortir de la Première Guerre Mondiale. Et puis, d'un coup, je me suis souvenu que William Gibson, Bruce Sterling, plein d'autres auteurs phares du genre cyberpunk sont passés à l'heure Victorienne, décrivant des ambiances lourdes au gaz de ville et mues par d'immenses chaudières, un monde sururbain, câblé aux réseaux pneumatiques et domptant la puissance de la vapeur. Avec beaucoup de drogue : morphine, cocaïne, absinthe et gin.

Alors j'ai pris une grande respiration, et j'ai plongé dans cette univers à pleine vapeur.

Et j'ai rejoint le Capitaine Lebris. Un de ces vaillants jeunes dont le destin sera fauché par une bombe sur le Chemin des Dames en 1918. Aveugle, le visage horriblement mutilé, son calvaire ne s'arrête pas là : dans l'heure ou son corps a été soufflé, il se fait kidnapper dans une mystérieuse machine souterraine. Là, des inconnus lui feront subir une opération osée, coiffant sa tête d'un appareil qui lui permet de retrouver une vision qui n'a plus rien d'humaine. Une vision où il voit des réseaux d'énergie, et où les notions de beauté et de laideurs sont très différentes des perceptions humaines.

Lebris réussi à fausser compagnie à ses geoliers/sauveurs, réfugié dans une forêt au nord de Paris. Il vit de nuit, commettant quelques rapines, entretenant contre son gré une légende de croquemitaine dont son avides les journaux à scandales de l'époque. Son cas intéresse bien des gens, et Marie Curie et son ami Le Nyctalope semblent les mieux à le retrouver.
Marie Curie est en fait une justicière discrète, d'où son surnom dans les journaux à sensations, la Reine du Radium. C'est aussi une des très grandes spécialistes de la SuperScience, cet ensemble de disciplines qui font avancer la technique à une vitesse stupéfiante. Après tout, n'est-ce pas elle qui a découverte une puissance énergétique sans aucune comparaison avec le gaz, le pneumatique ou la vapeur ?

Alors s'ils arrivent à mettre la main sur le pauvre Capitaine Lebris, peut-être vont-ils pouvoir le soigner et comprendre qui a fait cette opération extraordinaire. Et surtout dans quel but.

Les références à des affaires politiques, à la vie culturelle et bien sûr à la vie quotidienne pullulent. De la rue parisienne renommée pendant la Guerre, aux sorties cinéma, et bien sûr à la presse à sensation de l'époque : qu'une une du Petit Journal introduise un nouveau chapitre, une affiche façon Art Nouveau, ou même le photographe qui clos l'album, c'est un véritable bonheur à lire. On sent que l'album vie dans cette chronologie parallèle.

Il y a aussi d'excellentes idées de mises en scène. Et la superbe idée des feuilletonistes attitrés aux super-héros. J'ai eu le même frisson que celui que m'a procuré Tardi dans la série « Adèle Blanc Sec ». Et du coup, cela donne envie de découvrir les 6 précédents albums qui réunissent une partie des personnages, à savoir « La Brigade Chimérique ». Surtout dans l'idée géniale que Marie Curie en précurseur du Professeur Xavier.

Finalement, que les auteurs de cyberpunk des années 1980s/1990s se soient mis au steampunk, c'était une transition qui allait de soit. Et l'évidente influence de « la Ligue des Gentlement Extraordinaire » en donne un souffle encore plus épique.